Réforme dans le réseau de la santé: déjà des inquiétudes et de la résistance
La création de l’agence Santé Québec fait déjà fortement réagir
Héloïse Archambault
L’imposante réforme dans le réseau de la santé crée déjà des frustrations et inquiétudes sur le terrain, alors que plusieurs dénoncent une centralisation encore plus grande des pouvoirs sans avoir été consultés.
«Ça commence mal, croit Nadia Sourial, professeure à l’école de santé publique de l’Université de Montréal, spécialisée dans les soins de santé. C’est possible qu’il y ait des retombées bénéfiques [...] mais c’est encore une approche top-down.»
«On essaie de forcer les choses. Quand c’est imposé, ça crée cette résistance», souligne-t-elle.
Un changement qui bouscule
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, a déposé mercredi matin son projet de loi pour créer l’agence Santé Québec, qui vise à améliorer l’efficacité du réseau.
«Les colonnes du temple vont shaker», avait-il promis, qualifiant son projet de véritable révolution pour libérer le réseau du «carcan syndical». Un des objectifs est de devenir un «employeur de choix» pour les 350 000 employés du réseau.
«Le traumatisme qu’a créé la réforme Barrette, on l’amène à un niveau stratosphérique. La CAQ réalise un fantasme de tout contrôler de bout en bout, réagit Réjean Leclerc, président de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN). C’est clair qu’il va y avoir des chocs. On va concentrer le pouvoir dans les mains de quelques individus» , ajoute-t-il.
Fusion des conventions collectives, abolition des conseils d’administration, meilleure prise en charge des patients par les médecins spécialistes: plusieurs changements majeurs s’opéreront dans les prochains mois. Au total, 35 lois doivent être modifiées.
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«Le statu quo n’est pas une option», a dit le ministre Dubé.
«Un changement comme ça, ça bouscule, c’est clair», réagit Danielle Girard, présidente-directrice générale de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux.
«Ce qui nous inquiète, c’est qui va avoir à gérer ça sur le terrain, ces chocs-là? Ce sont les gestionnaires, souligne-t-elle. Il ne faut pas que cette transition-là soit pire que ce qu’on vit aujourd’hui.»
Fait majeur, l’ancienneté syndicale des employés sera reconnue dans toute la province, ce qui leur permettra de déménager sans retomber au bas de l’échelle.
«Il y a des gagnants et des perdants. À court terme, ça va heurter certaines personnes qui ont attendu pour des postes. Mais à long terme, c’est préférable», croit Philippe Voyer, professeur à la faculté des sciences infirmières à l’Université Laval.
- Écoutez l'entrevue avec Robert Comeau, président de l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux sur QUB radio :
Équité entre les médecins
Quant aux médecins spécialistes, ceux-ci devront prendre en charge plus de patients en région, et seront appelés à travailler davantage en heures défavorables.
«Il faut qu’il y ait une équité entre les médecins de famille et les spécialistes», a dit M. Dubé.
Dans un communiqué émis mercredi après-midi, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) dénonce l’attitude de «confrontation» du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).
«Il est profondément inacceptable de laisser croire que les médecins spécialistes ne sont plus présents dans les hôpitaux après 16 heures, écrit le Dr Vincent Oliva, président de la FMSQ. Nous n’accepterons pas d’être désignés comme les boucs émissaires des problèmes d’un réseau que nous avons tenu à bout de bras avec les autres professionnels de la santé.»
Ce qu’ils ont dit
«L’inquiétude, quand il y a des grands projets comme ça, c’est qu’il faut que les gestionnaires soient impliqués pour les mettre en place. Il faut qu’il y ait une gestion du changement.»
-Danielle Girard, présidente de l’Association des gestionnaires des établissements de santé et de services sociaux
«Je veux voir le projet de loi faire diminuer les listes d’attente en chirurgie, voir un professionnel de la santé quand j’en ai besoin, avoir un lit en CHSLD, avoir un rendez-vous rapide pour une problématique de santé mentale et avoir des soins à domicile. Si le projet de loi ne fait pas ça, ça va être une autre patente qu’on va me demander de commenter dans quelques années.»
-Paul Brunet, président du Conseil de la protection des malades
«Les actions proposées devront ultimement rendre le réseau de la santé plus efficace en matière d’accès aux services, de qualité des services pour l’ensemble des usagers, et ce, le plus possible par des services de proximité accessibles et adaptés à l’ensemble de leurs besoins.»
-Pierre Hamel, président du regroupement provincial des comités des usagers du Québec
«À l’hôpital ou en clinque, les médecins spécialistes travaillent en collaboration avec l’ensemble des professionnels de la santé. L’absence générale d’écoute et de discussions a des répercussions sur tout un climat de travail au détriment des besoins des patients.»
-Dr Vincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec
«On souhaite continuer à travailler à améliorer les services dans un esprit de collaboration.»
-Dr Marc-André Amyot, président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec
«On a encore de la misère à voir qu’est-ce qui fait en sorte que c’est un plus value [...] surtout au niveau de l’attraction et de la rétention. [...] On éloigne tous les pouvoirs décisionnels des gens sur le terrain qui devront vivre avec les décisions prises.»
-Julie Bouchard, présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ)
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