Qui est Dave «Pic» Turmel, le caïd qui fait trembler les Hells Angels?
Le gangster de 27 ans et ses trafiquants ont causé une flambée de violence en se frottant aux motards.
Kathryne Lamontagne, Félix Séguin et Eric Thibault
À tout juste 27 ans, le caïd Dave Turmel mène une improbable rébellion contre les Hells Angels. Celui qu’on surnomme «Pic» a rallié derrière lui une bande de trafiquants indépendants ou issus des gangs de rue, qui refusent de verser des redevances aux motards, comme c’est la règle dans le marché québécois de la drogue depuis une dizaine d’années. Le conflit a entraîné une flambée de violence dans la région de la capitale depuis le printemps 2023 et met les redoutables Hells sur la défensive.
Notre Bureau d’enquête dresse le portrait de ce gangster téméraire.
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Dave «Pic» Turmel n’inspire pas seulement la crainte chez les Hells Angels. Même ses proches ont peur de parler du caïd de 27 ans.
«On tient à nos vies», a plaidé l’une des personnes de son entourage approchées par notre Bureau d’enquête.
Sous le couvert de l’anonymat, certains nous l’ont toutefois décrit comme un gars «de bonne famille» mais qui n’a «pas froid aux yeux».
«C’est quelqu’un d’intelligent qui avait le cerveau pour aller à l’université, a fait valoir l’un d’eux. Mais il a choisi un autre chemin...»
Nuit d’anniversaire dramatique
Enfant unique, Turmel est né en 1996, l’année où le célèbre tueur à gages Gérald Gallant, à la solde des Rock Machine, a criblé de balles le Hells Angels Bruno « Cowboy » Van Lerberghe, après avoir mangé un spaghetti dans un restaurant de Québec. La guerre des motards, qui a fait 165 morts, faisait alors rage dans la province.
«Malgré le soutien de parents adéquats, il manifeste des problèmes relationnels dès son tout jeune âge. Il est expulsé de la maternelle pour non-respect des règles», relatera même la juge Johanne Roy en lui infligeant sa première peine d’incarcération.
- Écoutez l'entrevue avec Éric Thibault, journaliste au bureau d'enquête, via QUB :
Turmel emprunte l’«autre chemin» durant la nuit où il a franchi la majorité, le 3 mai 2014. Il célèbre d’abord ses 18 ans en allant voir un spectacle de hip-hop dans une salle communautaire à Lévis. À la sortie, les esprits s’échauffent et la soirée prend une tournure dramatique.
«Il y avait près de 300 jeunes [dehors]. Un groupe a voulu venir au bar vers 2 h du matin. Les jeunes avaient bu, dont un qui buvait du fort à la bouteille. Il était impoli», avait rapporté à l’époque au Journal de Québec Nathalie Sirois, qui dirigeait le bar Le Xanthie.
L’ «impoli» à la bouteille de spiritueux, c’était Dave Turmel.
«On ne les a pas laissés rentrer, avait ajouté Mme Sirois. Il y en a un qui a eu la brillante idée de sortir un couteau.»
Pendant une mêlée ayant éclaté dans le stationnement du bar, Turmel a poignardé un jeune homme dans la vingtaine aux côtes et à une hanche, ainsi qu’un adolescent de 16 ans qui a eu un poumon perforé. Par chance, une infirmière qui était cliente au bar a vite prodigué les premiers soins au plus amoché des blessés avant l’arrivée des ambulanciers.
Ne pas suivre les règles
Turmel a été inculpé de deux tentatives de meurtre et est demeuré détenu dans l’attente de son procès. En prison, le fautif s’est fait prendre avec un pic artisanal qu’il a lui-même fabriqué.
Il a plaidé coupable à des accusations réduites de voies de fait graves, à l’automne 2015. La juge Johanne Roy l’a condamné à 22 mois d’emprisonnement additionnels à la détention provisoire déjà purgée, en estimant que le risque de récidive était «élevé».
L’agente de probation Marie-Ève Migneault avait d’ailleurs avisé la juge que Turmel aurait besoin de «travailler [sur] ses problématiques de violence et de consommation», ainsi que ses «difficultés à respecter les règles». Dix ans plus tard, ce sont les règles imposées par les Hells Angels auxquelles Turmel refuse de se soumettre.
«Il joue au mafieux»
Son ascension dans le crime organisé a débuté après avoir purgé sa peine, alors que «Pic» a commencé à vendre des stupéfiants et à développer son propre réseau de trafiquants.
Dès 2016, la police obtient des renseignements voulant que Turmel et ses vendeurs s’approvisionnent auprès de Mathieu Pelletier, dont le père, Marc, est l’un des Hells Angels qui ont fondé le chapitre du gang de motards à Québec en 1988.
Comme les Hells à l’époque de leur ancien chef Maurice «Mom» Boucher, Turmel «n’hésite pas à intimider ses compétiteurs afin de prendre plus de place» sur le marché de la drogue à Lévis, peut-on lire dans des documents policiers que notre Bureau d’enquête a consultés.
En plus du trafic de stupéfiants, Turmel tremperait dans le proxénétisme. Des jeunes femmes à l’emploi de son réseau auraient travaillé jusqu’à Ottawa, Toronto et Winnipeg, selon les rapports policiers.
L’une de ses ex-prostituées nous l’a décrit comme un «agressif» qui «joue au mafieux».
Proche d’un gang montréalais violent
En mars 2019, Turmel retourne en prison après s’être fait épingler à Montréal avec un pistolet semi-automatique de calibre .45 chargé.
Libéré au terme d’une sentence «bonbon» de 12 mois, Turmel prend la tête d’un groupe criminalisé appelé Blood Family Mafia, que les autorités policières hésitent à qualifier de gang de rue. Cela n’empêche pas Turmel et sa bande d’avoir noué de solides liens avec l’un des gangs de rue les plus violents du secteur nord de Montréal, les Profit Boys.
Ce gang lié aux Rouges a joué un rôle majeur dans la recrudescence de fusillades qui secoue la métropole depuis 2019, selon nos rapports policiers.
«Assurément qu’il y a des liens, parce qu’on arrête beaucoup de [membres de gangs] de Montréal dans la région», a reconnu le chef de police de Québec, Denis Turcotte, dans une entrevue réalisée pour l’émission J.E.
Rébellion
Dave Turmel est maintenant fiché comme le leader d’un des 80 groupes criminels les plus actifs et dangereux au Québec, selon les documents policiers que nous avons consultés.
«Son organisation pose un risque important» pour la sécurité publique, d’après ces rapports où l’on mentionne que la bande de Turmel préconise l’utilisation d’armes à feu pour arriver à ses fins.
Au début de l’année 2023, Turmel découvre une balise GPS sous son véhicule, ce qui lui aurait fait craindre pour sa sécurité. Soupçonnant son ex-fournisseur Mathieu Pelletier d'être à l'origine de cette affaire, il tourne le dos aux Hells Angels et commence à bafouer les règles du marché de la drogue, établies par les motards.
Le 7 mars 2023, la résidence de Mathieu Pelletier est la cible de coups de feu, quelques mois avant qu’il obtienne ses patches de membre des Hells du chapitre de Québec.
Plusieurs dizaines d’actes de violence liés à l’affrontement du gang de «Pic» Turmel avec les Hells ont été répertoriés par les forces de l’ordre depuis un an, dont le meurtre de Michel Guérin, un ex-prospect des Hells, abattu le 27 novembre à Québec. Les motards avaient chargé Doune Guérin de régler la chicane sur le paiement de la «taxe» qu’ils réclament aux trafiquants, une redevance représentant 10% de leurs ventes.
Méthodes terrifiantes
Selon nos sources, le gang de «Pic» userait aussi de méthodes d’intimidation inspirées des gangs de rue et des impitoyables cartels mexicains de la drogue pour parvenir à ses fins. Des individus auraient ainsi été victimes de violence et de torture, nos sources policières faisant état de doigts et d'oreilles coupés. Au surplus, ces gestes auraient été filmés et diffusés.
De plus, il semble que Turmel sache recruter des soldats qui auraient une dent contre les Hells.
Le 6 décembre dernier, la Sûreté du Québec a procédé à l’arrestation de trois hommes lourdement armés, en Beauce, parce que les policiers détenaient des renseignements leur faisant craindre que le trio allait commettre un meurtre aux dépens des motards.
L’un des membres de ce trio est Vince Bergeron, 26 ans.
Son père, Mario Bergeron, a été assassiné en 2008 alors qu’il était un porte-couleurs des Hells du chapitre de Québec. La police croit qu’il aurait été victime d’une purge interne parce que les motards le soupçonnaient d’avoir volé de la drogue à l’organisation pour financer sa consommation personnelle, rapportait Le Journal en 2016 après avoir eu accès aux confidences de l’ex-Hells Dayle Fredette, devenu délateur dans l’opération SharQc.
En négociation
La police confirme que les Hells tentent de négocier avec les trafiquants récalcitrants pour dénouer cette impasse, sans déclencher une nouvelle guerre sanglante comme celle qu’ils ont livrée aux Rock Machine.
Dave Turmel, qui est recherché par la police depuis plus de six mois pour des crimes liés aux stupéfiants et à la violence, aurait fui le pays et continue de mener sa rébellion à distance. D’après nos sources, il se cacherait en Europe.
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