L’Ukraine rayée de la carte? Voici 5 dénouements possibles à l’invasion russe
Gabriel Ouimet
Comment pourrait se dénouer la guerre en Ukraine? Annexion complète du territoire ukrainien à la Russie, retrait des troupes russes, changement de gouvernement par la force: rien n’est clair et plusieurs scénarios sont envisageables, alors que le brouillard de la guerre est toujours très épais en Ukraine.
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Julien Tourreille, chercheur en études stratégiques et diplomatiques à la Chaire Raoul-Dandurand, décortique avec nous cinq des scénarios qui se profilent à l’horizon.
1- La Russie annexe l’Ukraine
La motivation des Ukrainiens à défendre leur pays ne fait aucun doute et la résistance qu’ils opposent aux troupes russes sur le terrain rend ce scénario de plus en plus difficile pour Moscou.
«Les Ukrainiens n’ont pas accueilli les soldats à bras ouverts comme on semblait le penser du côté de Moscou. Ils sont déterminés. Si la Russie veut annexer le pays, elle devra y déployer un grand nombre de troupes en permanence pour combattre la résistance. L’armée russe risque d’y rester très longtemps et d’essuyer d’énormes pertes, comme ce fût le cas en Afghanistan dans les années 80», analyse Julien Tourreille.
L’invasion de l’Afghanistan est encore aujourd’hui considérée comme une des plus grandes débâcles militaires de l’Union soviétique. L’URSS y est restée dix ans, de 1979 à 1989, et elle y a perdu plus de 13 000 soldats avant de se retirer, vaincue.
Même si les combats tournaient à l'avantage de la Russie, la volonté expansionniste de Vladimir Poutine se buterait à un autre obstacle de taille: il n'aurait pas le choix de mettre en place des régimes qui lui sont favorables partout en Ukraine. Ces gouvernements ne seraient pas considérés comme légitimes par les Ukrainiens et la communauté internationale. La Russie continuerait donc d'être frappée de sanctions longtemps après la fin de la guerre.
«Ça permettrait à la communauté internationale de continuer d’imposer une escalade de sanctions très dures à la Russie, ce qui l’isolerait encore davantage.»
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2- Un violent changement de gouvernement en Ukraine
Dans ce scénario, l’Ukraine conserverait ses frontières, mais la Russie orchestrerait un changement de gouvernement à la faveur d’un régime prorusse. Ce serait une annexion déguisée. On peut s’imaginer que la population ukrainienne serait soumise à un régime autoritaire qui imposerait sa «terreur à grande échelle», en réprimant violemment toute forme de dissidence, note Julien Tourreille.
«Ça reste possible, puisqu’il y a déjà eu un régime prorusse en Ukraine avant 2014 et que la Russie est habituée à ce genre de manœuvre. On n’a qu’à penser à la Biélorussie, où le président prorusse, Alexandre Loukachenko, a presque été exclu du pouvoir après des soulèvements populaires lors de l’élection de 2020. La Russie est intervenue avec des forces policières, des conseillers militaires, et il y a eu un durcissement du pouvoir», explique-t-il.
Ici encore, la mise en place d’un tel régime devrait se faire par la violence, puisque les Ukrainiens ont déjà chassé un gouvernement prorusse du pouvoir en 2014. La Russie s’en trouverait encore une fois sanctionnée et isolée.
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3- La Russie abandonne et se retire
Si les choses continuaient à se corser pour la Russie sur le terrain et qu’une défaite se pointait à l’horizon, le président russe pourrait tenter de se présenter comme moralement supérieur pour éviter une défaite encore plus coûteuse à son pays, explique M. Tourreille.
«Il pourrait dire qu’il a décidé d’éviter le pire face aux agresseurs occidentaux et ukrainiens. Ce serait une façon de se sortir du pétrin dans lequel il s’est lui-même mis. Plus le conflit s’étire, plus les sanctions internationales coûtent cher à la population russe, et plus elle risque de se désolidariser de Poutine. Évidemment, ça n’arriverait pas du jour au lendemain, et ça serait très compliqué. Tout ça, c’est en supposant qu’il est encore raisonnable et qu’il peut encore faire de bons calculs», détaille-t-il.
Julien Tourreille note qu’il faudrait que le conflit s’étire encore longtemps pour envisager cette possibilité. À l’heure actuelle, «on n’est pas du tout dans cette logique», vu les revendications de Vladimir Poutine et l’escalade des combats sur le terrain.
4- La Russie poursuit son expansion vers un nouvel empire
Si l’objectif de Vladimir Poutine est bel et bien de freiner l’influence occidentale et la démocratie dans les anciens pays de l’URSS, son plan pourrait être d’envahir d’autres pays où on retrouve des régions prorusses, comme la Géorgie ou la Moldavie, précise Julien Tourreille.
«Il y a quelques semaines, quand on envisageait que les choses s’enveniment en Ukraine, on voyait déjà la possibilité qu’il [Poutine] puisse contrôler toute la façade de la mer noire et réactiver les mouvements prorusses dans ces pays [...] Ça reste une possibilité, mais elle est bien moindre aujourd’hui, en raison de la mobilisation de la communauté internationale pour l’éviter. Est-ce que Poutine pourrait être tenté de prendre le contrôle de ces pays autrement que par les armes? Oui, mais ce serait très difficile.»
5- L’OTAN fait un faux pas, la Russie réplique
C’est très improbable que la Russie attaque un pays de l’OTAN dans l’état actuel des choses. Il suffirait cependant que l’Alliance fasse un faux pas pour mettre le feu aux poudres, ce qui n’est pas impossible, explique M. Tourreille.
«On entend beaucoup parler des convois de blindés russes dans les environs de Kyïv. Il faut faire très attention à ça, puisque d’un point de vue de tactique militaire, c’est un peu troublant qu’on masse des troupes qui soient aussi visibles. Est-ce destiné à forcer une erreur? On ne peut pas l’exclure», mentionne-t-il.
Selon lui, Moscou pourrait faire le pari que les gouvernements occidentaux, pressés leur population en raison des images de guerre diffusées sur les réseaux sociaux, soient tentés d’intervenir plus directement.
«Les réactions des populations occidentales sont très fortes sur les réseaux sociaux. Les gens interpellent leur gouvernement et leur demandent de ne pas abandonner les Ukrainiens à leur sort», souligne-t-il.
Ce serait cependant une grave erreur que d’attaquer la Russie, prévient-il.
«Depuis des décennies, Poutine dit à sa population que les Occidentaux veulent les agresser. Il aurait maintenant un prétexte pour riposter, ce qui pourrait renverser non seulement le conflit, mais aussi la dynamique interne en Russie. Il pourrait essayer de le présenter comme une agression directe contre son pays, et ça changerait tout. On partirait dans un engrenage que tout le monde veut éviter. En se mettant le doigt dans le tordeur, on peut y perdre le bras, et même tout le corps.»