Des Russes risquent leur vie en s’exprimant sur les réseaux sociaux contre la guerre
Gabriel Ouimet
Traqués, intimidés et violentés: en s’exprimant contre la guerre en Ukraine lancée par Moscou, des dissidents russes risquent leur vie. Parfois pour aussi peu qu’une publication Instagram.
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Manifester contre le régime a toujours été risqué dans la Russie de Vladimir Poutine. Mais un peu plus de cinq semaines après le début de l’invasion de l’Ukraine, la répression atteint un nouveau sommet, s’inquiète la directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, France-Isabelle Langlois.
«Dans les premières semaines de manifestation, on comptait plus de 13 000 arrestations de manifestants. Le contexte autoritaire a encore monté d’un cran: en plus des manifestants, les autorités visent ceux qui s’expriment dans les médias, sur des blogues ou ailleurs en ligne, et s’en servent pour les accuser de cyberterrorisme», avance-t-elle.
Le Kremlin met ainsi en application une loi adoptée le 4 mars dernier – et élargie le 22 mars –, qui interdit la diffusion de «fausses informations» discréditant l’armée russe ou les fonctionnaires russes à l’étranger. Les contrevenants à cette nouvelle loi s’exposent à des amendes de plusieurs milliers de dollars ou à des peines d’emprisonnement de 10 à 15 ans.
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Les réseaux sociaux, nouvelles armes du régime
Les arrestations ne visent pas seulement les dissidents les plus connus, mais tout un éventail de personnes influentes, selon France-Isabelle Langlois.
«Le régime surveille les réseaux sociaux, qui sont ses nouvelles armes, même s’ils sont de plus en plus bannis dans le pays. Récemment, même une blogueuse culinaire a été visée», dit-elle.
Véronika Belotserkovskaïa, dont la page Instagram @belonika est suivie par plus de 900 000 personnes, a été la première poursuivie en vertu de la nouvelle loi, le 16 mars dernier. Elle a été accusée de diffusion «en toute connaissance de cause de fausses informations sur l’utilisation des forces russes pour détruire des villes et attaquer la population civile en Ukraine, dont des enfants», selon un communiqué publié le 30 mars par Amnistie internationale.
Alexandre Nevzorov, un éminent journaliste, a quant à lui été inculpé le 22 mars pour avoir partagé de «fausses informations» sur les frappes russes contre un hôpital pédiatrique de Marioupol. Il avait critiqué le bombardement russe sur Instagram quelques jours plus tôt.
Plusieurs autres cas ont aussi été rapportés à l’organisme, notamment concernant la diffusion de messages anti-régime sur l’application Telegram.
Même si Twitter, Instagram, Facebook et plusieurs autres sites ont successivement été bannis dans le dernier mois, les publications faites précédemment continuent de faire l’objet de sanctions. Plusieurs dissidents sont relâchés en attendant leur procès, certains sont toujours incarcérés et d’autres fuient carrément le pays pour échapper à la prison, indique Mme Langlois.
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Des conditions de détention «terribles»
Pour ceux qui demeurent en sol russe, attendre leur procès équivaut à attendre leur condamnation. Les procès qui impliquent des dissidents politiques sont, en effet, corrompus jusqu’à la moelle, explique Maria Popova, professeure agrégée au Département de science politique de l’Université McGill, titulaire de la Chaire Jean Monnet et spécialiste de la répression légale de la dissidence russe.
«99,5% des Russes qui passent devant un juge pour des raisons politiques sont condamnés. Le régime microgère les tribunaux et le processus juridique est hautement manipulé. Les juges et les procureurs n'ont pas une once d'indépendance. Ils savent qu'ils doivent prononcer une condamnation et, s'ils ne sont pas sûrs de la sévérité à adopter, ils demandent à la hiérarchie ou s'adressent directement au régime pour recevoir des instructions», détaille-t-elle.
Les opposants les plus visibles recevront des peines de prison de plusieurs années, tandis que les autres purgeront des peines avec sursis au cours desquelles ils risquent à tout moment d’être envoyés en prison «pour des raisons inventées par le régime», indique Maria Popova.
Et selon les témoignages recueillis par Amnistie internationale, les nouveaux détenus, considérés comme des ennemis de la Russie, peuvent s’attendre au pire une fois incarcérés.
«Ce sont des conditions de détention terribles [...] Ils subissent les coups des gardiens, se font traîner par les cheveux... Certaines personnes ont enregistré les gardes en train de leur dire qu’ils allaient tous les tuer. Ils sont détenus sans eau, entassés à plusieurs par cellule. Il faut saluer leur courage», conclut France-Isabelle Langlois.