Pourquoi Québec solidaire mise autant sur les jeunes (et est-ce la bonne stratégie)?
Gabriel Ouimet
Pendant que Gabriel Nadeau-Dubois mène la campagne nationale de Québec solidaire, Manon Massé va à la rencontre des étudiants de partout au Québec pour les convaincre d’aller voter le 3 octobre prochain. Une campagne parallèle qui démontre la place centrale qu’occupent les jeunes dans les aspirations de la formation de gauche.
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Québec solidaire (QS) a absolument besoin des jeunes pour espérer améliorer son sort et même pour conserver les circonscriptions remportées à l’arraché en 2018, note la professeure en science politique de l’Université Laval Valérie-Anne Mahéo.
«Il n’y a aucun doute que les jeunes soient une clientèle électorale de première importance pour Québec solidaire. S’ils arrivent à mobiliser les jeunes, ils peuvent faire des gains, mais une démobilisation pourrait leur faire très mal», indique-t-elle.
En faisant de la gratuité scolaire, de la crise climatique et de l'accès au logement des priorités, QS s'établit comme «le seul parti clairement à gauche au Québec». Un positionnement qui séduit habituellement plus les jeunes que leurs aînées, note la professeure. Et force est d’admettre que le message de QS semble atteindre sa cible: le parti obtient 36% des intentions de vote des 18-34 ans, selon le plus récent sondage Léger, publié juste avant le déclenchement de la campagne dans Le Journal.
À l’assaut des campus
Avoir l’appui des jeunes est une chose, mais encore faut-il les convaincre d’aller voter le jour de l’élection. Ce qui est loin d’être une tâche facile.
Lors du scrutin provincial de 2018, à peine 53,41% des électeurs de moins de 35 ans ont exercé leur droit de vote, comparativement à 69,68% pour ceux âgés de 35 ans et plus – une différence de 16,27% –, selon des chiffres de 2019 de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval.
Le travail s’annonce donc colossal pour Québec solidaire, qui doit réussir à faire sortir les jeunes.
Pour y arriver, la co-porte-parole Manon Massé et son équipe sillonneront le Québec à bord de la «Caravane solidaire de Manon» pour aller à la rencontre des étudiants d’une quinzaine d’établissements collégiaux et universitaires.
Québec solidaire est le seul parti à déployer une telle stratégie, note le professeur au Département de science politique de l’Université Laval Éric Montigny.
«Tous les partis vont être présents sur les campus et vont essayer de parler aux jeunes, mais ce qui est particulier chez Québec solidaire, c’est qu’ils ont défini une stratégie très précise pour aller chercher le vote des jeunes en organisant carrément une tournée parallèle pour répondre au besoin de mobiliser les jeunes», souligne-t-il.
Le professeur estime d'ailleurs que cette stratégie s'explique notamment par le fait que Québec solidaire n'a pas d'aile jeunesse, contrairement à plusieurs autres partis, ce qui «impose des approches différentes».
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Potentiellement payante, la jeunesse
En misant autant sur les jeunes, QS espère répéter une recette gagnante. En 2018, ce sont ces mêmes électeurs qui ont permis au parti de garnir ses rangs à l’Assemblée nationale, note de son côté Éric Montigny.
«À l’extérieur de Montréal, ces votes ont surtout fait une différence dans les comtés où il y a des campus universitaires, comme à Rouyn-Noranda et à Sherbrooke», rappelle-t-il.
À Sherbrooke, la surprise avait été de taille: la solidaire Christine Labrie était parvenue à arracher la circonscription aux libéraux avec une majorité de plus de 3000 voix, alors que personne – ou presque – ne l’avait vue venir.
Et à l’échelle de la province, l’appui des jeunes au parti de Gabriel Nadeau-Dubois et Manon Massé à l’élection de 2018 a été tout aussi impressionnant: pas moins de 41% des électeurs de 18 à 30 ans ont donné leur appui à la formation de gauche, affirme Valérie-Anne Mahéo, qui a contribué au livre Le nouvel électeur québécois, paru la semaine dernière.
Pas assez pour gagner
QS ne pourra donc pas répéter l’exploit de 2018 et faire de nouveaux gains sans avoir les jeunes de son côté.
Dans ses communications, le parti ne se gêne d’ailleurs pas pour lancer des flèches aux «vieux partis», en se présentant comme la solution pour la jeunesse. Au moment de lancer sa campagne, le 28 août dernier, Gabriel Nadeau Dubois a, par exemple, décrit la Coalition Avenir Québec de François Legault comme un rassemblement de «vieux péquistes» et de «vieux libéraux», s’attirant des critiques.
«On a essayé au Québec le Parti libéral. On a essayé le Parti Québécois. Et on a essayé l’assemblage des deux. La coalition des deux, les vieux péquistes et les vieux libéraux ensemble, ça, c’est la Coalition Avenir Québec. Le résultat, c’est quoi? Des retards en environnement, un système de santé en ruine et la classe moyenne qui s’effrite», a lancé l’aspirant premier ministre, entouré de 75 de ses candidats.
Cibler une génération au détriment d’une autre est toutefois risqué, prévient Éric Montigny. Un parti politique qui aspire à gouverner doit en effet viser «le plus de monde possible» et «ratisser le plus large possible», rappelle le professeur en science politique.
Et à l’heure actuelle, les appuis à Québec solidaire sont minces auprès de l’électorat plus âgé: le parti ne récolte que 14% des intentions chez les 35-54 ans, et un maigre 6% chez les 55 ans et plus.
Ces deux groupes d’âge représentent pourtant le bassin d’électeurs le plus important au Québec: 4 834 816 électeurs de 35 ans et plus sont inscrits à la liste électorale, contre seulement 1 448 392 électeurs de 34 ans et moins, selon les chiffres d’Élection Québec.
C’est mathématique: pour aspirer à former l’opposition officielle ou pour accroître sa députation de manière importante, Québec solidaire n’a donc d’autre choix que de rallier un plus grand nombre d’électeurs de 35 ans et plus.
«C’est certain que QS ne peut pas gagner l’élection ou encore aspirer au statut d’opposition officielle en comptant seulement sur le vote des jeunes. Il doit y avoir une diversification de la clientèle du parti», conclut donc Valérie-Anne Mahéo.