Projet de loi 15: l’heure de vérité pour la réforme Dubé
L'étude reprend en commission parlementaire après une interruption de deux semaines
Patrick Bellerose
Les gros canons de la santé défileront en commission parlementaire cette semaine pour commenter la réforme proposée par le ministre Christian Dubé. Plutôt bien accueilli jusqu’ici, le projet de loi 15 affrontera cette fois-ci ses véritables critiques, soit les syndicats de médecins et d’infirmières, ainsi que leurs ordres professionnels.
La réforme en bref
Le ministre de la Santé, Christian Dubé, propose de scinder les opérations quotidiennes et la planification stratégique. Les premières relèveraient désormais d’une nouvelle société d’État, Santé Québec, tandis que le Ministère dicterait les grandes orientations.
Santé Québec deviendrait également l’employeur unique du réseau. La mesure ferait passer les accréditations syndicales de 136 à seulement 4, permettant ainsi aux employés de changer d’établissements sans perdre leur ancienneté.
Du même souffle, Québec propose d’imposer des activités médicales particulières aux médecins spécialistes afin qu’ils assurent une plus grande prise en charge de la population.
Le Collège craint une perte d’autonomie
Comme bien des intervenants, le Collège des médecins du Québec (CMQ) juge qu’une réforme est essentielle. Présentement, le réseau ne réussit pas à offrir un service uniforme sur l’ensemble du territoire, et le départ à la retraite de nombreux médecins risque d’accentuer la crise.
«Le statu quo n’est donc pas envisageable», écrit l’ordre professionnel dans son mémoire qui sera présenté mardi.
Toutefois, l’approche privilégiée par le ministre Dubé soulève des craintes. Le projet de loi 15 mise sur une gestion centralisée du réseau axée sur les hôpitaux, aux dépens des GMF, cliniques, soins à domicile et autres services de proximité.
«Le silence du projet de loi à cet égard nous amène à nous questionner quant à la capacité du gouvernement à remédier à l’engorgement vécu dans les urgences, où les patients aboutissent lorsqu’il leur est impossible d’obtenir un rendez-vous en clinique», écrit l’organisme.
De plus, le Collège s’inquiète de la création d’un directeur médical territorial sous la direction du PDG d’établissement (les actuels CISSS et CIUSSS). Ces deux responsables auront le pouvoir d’attribuer les postes et d’imposer des sanctions.
«Alors que la législation proposée prône une décentralisation de la prise de décisions, la structure proposée par le projet de loi concentre les pouvoirs entre les mains d’un groupe restreint de gestionnaires, entraînant un risque réel de décisions arbitraires», explique le mémoire.
De la même façon, le Collège accueille favorablement la division des tâches entre le MSSS et la nouvelle agence, Santé Québec, mais «il entretient des doutes quant à la réelle indépendance du pouvoir politique».
La FIQ en mode «propositions»
Le principal syndicat des infirmières arrivera en commission parlementaire avec une liste de 30 propositions, mercredi, après avoir été vivement critiqué ces derniers mois pour sa tendance à rejeter en bloc les réformes gouvernementales.
Le 3 avril dernier, le premier ministre François Legault partageait sur Twitter une chronique de Patrick Lagacé intitulée «Chialer pour chialer». Le chroniqueur de La Presse y déplorait l’attitude de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec dans le dossier du projet de loi 15, de même que la fin du recours aux agences privées de placement de personnel.
«Il faut parler de Julie Bouchard, présidente de la FIQ, le grand syndicat des infirmières», écrivait M. Legault en relayant la chronique, une personnalisation du débat plutôt inhabituelle de la part d’un premier ministre.
Sur le fond, les recommandations de la FIQ sont techniques et pointues. Puisque Santé Québec deviendra l’employeur unique du réseau, le syndicat propose notamment de prévoir explicitement une certaine autonomie pour les différentes unités administratives. Celles-ci pourraient ainsi faire preuve de flexibilité dans la gestion des horaires, des ressources humaines et de l’organisation du travail.
Les médecins pessimistes
Une courte majorité de médecins prévoit un échec de la réforme Dubé, selon un sondage mené par le Collège des médecins, en prévision de son passage en commission parlementaire.
À la question «Croyez-vous que le gouvernement parviendra à réformer le réseau de la santé avec ce projet de loi ?», 51% ont répondu par la négative.
Chez les plus optimistes, 42% croient que Christian Dubé réussira «partiellement». Seul 0,02% estiment que la réforme se concrétisera telle que présentée.
Sans surprise, la pénurie de personnel arrive loin en tête de liste des «plus grands problèmes» identifiés par les médecins.
Silence chez les spécialistes
Le témoignage de la Fédération des médecins spécialistes du Québec sera particulièrement attendu, mardi, après leur sortie intempestive lors du dépôt du projet de loi en mars dernier.
Le ministre Dubé n’avait pas encore terminé sa présentation lorsqu’un communiqué dénonçant sa réforme a atterri dans la boîte courriel des journalistes. Le syndicat y dénonçait le manque de consultation, mais aussi l’imposition de mesures pour une plus grande prise en charge de la population.
La semaine suivante, la FMSQ avait adouci son ton et se disait prête à collaborer. «On n’est pas contre les activités médicales particulières. [...] On est prêts à s’asseoir et à regarder ça», avait déclaré son président, le Dr Vincent Oliva, sans commenter plus en détail.
La fédération n’a pas souhaité partager ses réflexions sur le projet de loi 15, lundi.
Le mystère demeure donc entier sur l’accueil que réserveront les spécialistes à la réforme Dubé.
– Avec Alain Laforest, TVA Nouvelles
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