«Probablement ma meilleure décision de l’année»
Louis-André Larivière
Depuis sa première rencontre avec Rafaël Harvey-Pinard, Mario Pouliot ne cesse d’être impressionné par son progrès et sa persévérance. Pourtant, il n’est pas surpris de ses succès depuis son rappel chez les Canadiens de Montréal.
En ce sens, l’ancien entraîneur-chef du produit des Huskies de Rouyn-Noranda voit en lui la fibre d’un hockeyeur digne de la LNH et qui a constamment confondu les sceptiques par son jeu.
Voyez la 2e partie de l'entrevue avec Mario Pouliot, sur Rafaël Harvey-Pinard, dans la vidéo en tête d'article.
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«Quand je vois les jeux qu’il fait (à Montréal), je l’ai vu les exécuter à un haut niveau de compétition. C’est un gars tellement brillant sur la glace, a-t-il raconté dans un entretien avec le TVASports.ca au cours de la dernière semaine.
«Très souvent, la fenêtre pour un joueur de hockey n’est pas très grande. Au début de la saison, le Canadien a rappelé quelques joueurs avant lui. Ils l’ont ramené une première fois et ils l’ont cédé à Laval, puis ils l’ont rappelé avant la pause des étoiles. Honnêtement, chapeau à Rafaël et chapeau à Martin St-Louis.
«Ce ne sont pas tous les entraîneurs qui vont prendre le gars qui arrive de la Ligue américaine, nonobstant des blessures. Il n’a pas eu peur de le placer sur le premier trio et lui redonner pour ce qu’il faisait. Je pense que Rafaël, veut, veut pas, a forcé la main à Martin St-Louis et au Canadien.»
Avec neuf points en 12 rencontres depuis qu’il a traversé l’A-15 en janvier, le Saguenéen est devenu un favori de la foule pendant qu’il dissipait les doutes à son endroit. Et des doutes, il y en a toujours eu aux dires de son ancien pilote.
«Les gens connaissaient le potentiel sur la glace, peut-être qu’ils avaient des doutes au niveau de sa force physique ou son coup de patin, à savoir s’il est capable de se rendre (au prochain niveau). Les préoccupations que les éclaireurs de la Ligue nationale avaient, c’étaient les mêmes que ceux dans la LHJMQ.»
Rappelons que toutes les équipes ont levé le nez sur RHP à ses première et deuxième années d’admissibilité au repêchage, en 2017 et 2018.
C’est après une saison de 40 buts, puis une conquête de la Coupe Memorial avec Pouliot en 2019, que le Tricolore l’a sélectionné au septième tour la troisième fois.
«Je crois que c’était, d’abord, très mérité, puis ç’a été un des plus beaux paris que le Canadien pouvait faire à ce moment-là», croit Pouliot.
Effectivement, avant les matchs de dimanche soir, Harvey-Pinard se classait au 25e rang des joueurs de sa cuvée, qui compte Jack Hughes et Cole Caufield parmi les élus, avec ses 10 points en 16 matchs.
Une décision déterminante
Après un premier sacre de la Coupe Memorial avec le Titan d’Acadie-Bathurst en 2018, Pouliot a voyagé plus de 1400 km pour prendre la barre des Huskies dans le but de diriger une deuxième formation championne consécutive. Aucun pilote n’avait accompli un tel tour de force jusque-là dans la Ligue canadienne de hockey.
Parmi les vétérans de l’équipe, plusieurs se démarquaient pour le rôle de capitaine. À la fin, un athlète se distinguait du troupeau.
«Ma première décision - et ce fut probablement ma meilleure décision de l’année, je te dirais -, c’était de nommer Rafaël Harvey-Pinard capitaine des Huskies, confie Pouliot. C’était simple pour moi. C’était un privilège de pouvoir le diriger. Il est toujours de bonne humeur. Il arrivait chaque matin avec sa réputation de travailleur et le sourire.
«Il était aussi travaillant à l’extérieur de la glace que sur la glace et dans ses études. C’était un gars "hyper" concentré sur chaque phase de la vie d’un joueur de hockey du junior majeur. C’était sa première qualité.
«Les gens aimaient appeler ça la "Husky Game", mais, pour moi, c’était la "Pinard Game".»
Si Pouliot n’a jamais regretté sa décision, encore une fois, le doute s’installait à l’égard de son protégé dans ce rôle.
«Quand je l’ai nommé capitaine, certains ont remis en question mon choix. À ce moment-là, ils pensaient que ç’aurait été Jacob Neveu ou Peter Abbandonato, qui étaient des vétérans de quatre ou cinq saisons. Ils étaient de très, très bons candidats. Rafaël Harvey-Pinard représentait exactement comment tu veux que ton club de hockey se comporte avec l’éthique de travail et la façon dont tu veux qu’il joue.
«À partir de là, durant toute la saison, toutes les rencontres que l’on avait avec les leaders, c’est Harvey-Pinard qui battait la mesure et ce club-là l’a suivi.»
Harvey-Pinard et Abbandonato, meilleur pointeur du circuit cette année-là, offraient à leur entraîneur une quiétude. Ils étaient tous fouettés par le désir de gagner. Une culture qui allait voir ses efforts être récompensés en finale face aux Mooseheads de Halifax, édition dont faisait partie le défenseur du CH Justin Barron.
«J’avais des Peter Abbandonato, Félix Bibeau et Samuel Harvey. J’ai été privilégié. J’avais un groupe de joueurs tissé très serré et élevé dans la même organisation, tous repêchés et développés.
«La chimie de groupe était tellement forte et belle à voir. Je suis chanceux d’avoir pu vivre cette épopée-là. Rafaël Harvey-Pinard en était définitivement le grand leader.»
L’été suivant, Pouliot était sur place à Vancouver pour assister à l’encan amateur. Il a vécu pas une, mais deux satisfactions.
«Je pense que le tour avant (Harvey-Pinard), Félix Bibeau avait été réclamé par les Islanders de New York. Ensuite c’était au tour de Rafaël. Pour moi, c’est un bel accomplissement pour deux jeunes passionnés travaillants. Ils étaient de bons copains sur la glace et à l’extérieur, ils étaient souvent ensemble.
«L’année suivante, ils se sont tous deux retrouvés à Chicoutimi. Yanick (Jean) avait réussi à les réunir.»
Pouliot a effectivement pris l’une des décisions les plus difficiles de son passage à Rouyn-Noranda à l’aube de la campagne 2019-2020.
«On a pris la dure décision d’échanger Rafaël à Chicoutimi. Ce qui était important pour les dirigeants, c’était de s’assurer que les joueurs se retrouvent dans un endroit idéal. On a échangé Rafaël dans sa ville natale. Il a donc pu vivre sa saison de 20 ans près de sa famille avec les partisans des Saguenéens.»
Une invitation au camp des Golden Knights
Lorsque Nick Suzuki a été acquis des Golden Knights de Vegas, il a démontré de belles choses avec Caufield au camp de perfectionnement du Tricolore. Aujourd’hui, c’est ironiquement en l’absence de ce dernier que Harvey-Pinard a été inséré à l’aile gauche du premier trio.
S’il est tout frais à Montréal, le duo Harvey-Pinard-Suzuki a déjà existé à Vegas le temps d’une clinique de hockey. Le fils de Mario Pouliot, Raphaël, est recruteur amateur pour les Golden Knights et il l’avait invité au camp de l’équipe après son année de 18 ans.
«"Raf" avait été au camp de développement. C’est là qu’il a joué un (premier) match avec Nick Suzuki. Il était revenu avec nous pour la saison.»
À savoir quelle est la différence entre le joueur qui a disputé quatre matchs avec le grand club en 2021-2022 et celui qui s’établit comme un rouage important cette année, la confiance y est pour beaucoup.
L’ailier de 24 ans a gagné en expérience et le bagage d’habiletés qu’il peaufine n’est pas à sous-estimer.
«Il est plus expérimenté, rappelle Pouliot. Comme le dit Martin St-Louis, Rafaël Harvey-Pinard, "c’est un joueur de hockey". Il a un haut niveau de compétition. Son intelligence hockey est au-dessus de la moyenne et c’est un gars avec des habiletés qu’il utilise très bien avec un travail de haut niveau.»
La confiance en hausse
Il reste que certains recruteurs, bien qu’ils voyaient son acharnement, doutaient qu’il puisse atteindre la Ligue nationale et qu’il puisse maintenir une cadence sur 82 matchs, ce que le principal intéressé cherchera à faire l’an prochain dès le camp d’entraînement.
Même dans le Midget Espoir, son avenir n’était pas garanti à l’étape suivante. Il a dû patienter jusqu’au huitième tour avant qu’une équipe le sélectionne.
«Le monde disait "ce n’est pas le plus fort, ce n’est pas le meilleur patineur, ce n’est pas le plus gros. Ça va être dur quand il va arriver dans le junior majeur". Il a fait ses apprentissages et il a fait sa place pour devenir un des meilleurs joueurs de l’année 2019, pour ensuite être repêché par le Canadien.
«Parfois ça prend plus de temps à certains joueurs pour prendre de la maturité physique et devenir plus explosif ou plus fort. L’acharnement était déjà de premier niveau. J’ai rarement dirigé un joueur aussi acharné et intelligent sur la patinoire que Rafaël Harvey-Pinard.
«Il ne faut pas que tu te trompes, il a de bonnes habiletés avec la rondelle. Quand tu ajoutes tout ça avec son acharnement et son désir d’accomplir des choses, ça devient un joueur qui s’améliore constamment.»
À Laval comme à Montréal, les habiletés défensives de Harvey-Pinard ne passent pas inaperçues non plus. Mais encore, Pouliot n’est pas surpris. Il a vu le jeune homme modeler et parfaire son jeu constamment.
«Quand je l’ai "coaché", honnêtement, je suis convaincu que si on sortait les statistiques, c’est probablement le joueur qui a réussi le plus de revirements forcés dans toute la ligue. C’était incroyable le nombre de fois qu’il appliquait une pression arrière en soulevant la palette d’un adversaire, et qu’il prenait la rondelle.
«Le nombre de fois qu’il a eu des batailles à un contre un... Rafaël n’est pas le plus fort ni plus vite, mais il est probablement un des joueurs les plus brillants que j’ai eu l’opportunité de diriger.»
Bref, une leçon inspirante de persévérance pour une génération de jeunes hockeyeurs.