Vladimir Poutine sera-t-il condamné pour crime de guerre? À quoi s’expose-t-il?
Gabriel Ouimet
Des centaines de civils retrouvés morts à Boutcha, bombardement d’un hôpital pédiatrique et de quartiers résidentiels, attaques sur les couloirs humanitaires, meurtre de journalistes: les allégations de crime de guerre s’accumulent contre Vladimir Poutine et la Russie. Ces accusations sont-elles fondées? Qu’est-ce qui définit un crime de guerre et surtout, à quoi s’expose Poutine s’il est reconnu coupable?
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Dans sa définition la plus simple, un crime de guerre, c’est une violation des règles établies par le droit pénal international, plus précisément par les conventions de Genève, des traités internationaux signés après la Deuxième Guerre mondiale qui dictent ce qui est permis ou pas en temps de guerre.
Il y a plusieurs autres traités qui régissent le droit de la guerre, mais un principe ne change pas: on n’attaque pas les civils, ni les organismes humanitaires, ni les blessés ou les prisonniers. On s’en tient aux cibles militaires. Ensuite, d’autres interdictions s’ajoutent et encadrent notamment les violences sexuelles, la torture et l’utilisation d’armes interdites, comme les armes empoisonnées.
D’ailleurs, il n’y a pas que les Russes qui pourraient être accusés de crimes de guerre. Les Ukrainiens, par exemple, ne peuvent pas faire souffrir inutilement des prisonniers russes ou encore leur refuser des traitements médicaux.
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Une fois que l’on sait tout ça, la Russie commet-elle des crimes de guerre en Ukraine?
Pour Fannie Lafontaine, avocate et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, il ne fait aucun doute que oui.
«Ce que les Russes font sur le terrain, en ciblant des civils, des hôpitaux et des journalistes, ça ne se fait pas. Ce sont définitivement des crimes de guerre», accuse-t-elle d’entrée de jeu.
En plus des crimes de guerre, l'Ukraine accuse la Russie de Vladimir Poutine de commettre un génocide.
«Présentement en Ukraine, ce qu’on peut faire, c’est de parler de crime de guerre et de crime contre l’humanité, mais pas encore de génocide. Il faut commencer par voir s’il y a un aspect systémique et intentionnel aux crimes commis», explique Marie Lamensch, membre associée à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand et coordonnatrice de projet à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia.
«Une fois qu’on voit qu’il y a une volonté appuyée par un aspect systémique de tuer les Ukrainiens en raison de leur ethnie, alors on peut commencer à monter un dossier pour démontrer l’intention de la Russie de tuer ce groupe-là et appeler ça un génocide.»
Des enquêtes officiellement lancées
Début mars, la Cour pénale internationale a été la première instance à ouvrir officiellement une enquête sur les crimes de guerre que la Russie pourrait avoir commis en Ukraine.
En mars, la procureure générale d’Ukraine a quant à elle annoncé l’ouverture d’une enquête sur des tirs d’artillerie qui ont visé un quartier résidentiel de Kharkiv. Une enquête a aussi été lancée pour faire la lumière sur la mort d’un journaliste américain et une autre sur le bombardement de l’hôpital de Marioupol, qui a fait trois morts, dont une fillette, la semaine passée.
Il y a ensuite eu la destruction d’un théâtre à Marioupol, le 9 mars dernier, dans lequel s’était réfugié plus d’un millier de personnes, dont des enfants, qui a suscité l'indignation du monde entier. Devant et derrière le théâtre, le mot «enfants» était même écrit au sol en russe en immenses lettres blanches visibles du ciel.
Puis, ce lundi, après la découverte de cadavres à Boutcha, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé la mise en place par l’Union européenne d’une équipe «conjointe avec l’Ukraine pour (...) enquêter sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité». L’UE souhaite unir ses forces avec la Cour pénale internationale (CPI).
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La chasse aux preuves étant lancée sur le terrain, les accusations devraient se multiplier dans les prochains «mois et années», estime Fannie Lafontaine.
Poutine pourrait-il être accusé directement ?
La Cour pénale internationale (CPI), chargée de juger des personnes qui commettent des crimes à portée internationale, s’intéresse surtout aux plus hauts responsables de la chaîne militaire et politique. Dans ce cas-ci, Vladimir Poutine et son entourage.
Bien qu’il existe plus d’une façon de prouver leur culpabilité, les hauts dirigeants ne sont pas automatiquement imputables de tout ce qui se passe sur le champ de bataille, explique l’avocate.
«Il faut prouver qu’ils sont impliqués directement. Qui a donné l’ordre? Qui a planifié les attaques? Pour inculper Vladimir Poutine, ça prend des preuves précises qui sont souvent plus compliquées à obtenir. Des documents officiels, des conversations interceptées, des vidéos, etc.»
L’autre façon d’incriminer Poutine serait d’évoquer «la responsabilité du supérieur hiérarchique», principe selon lequel les commandants ont l’obligation de prévenir les crimes de guerre en voie d’être commis par leurs subordonnés, poursuit-elle.
«Si un commandant sait que ses soldats vont commettre des crimes de guerre, il doit les arrêter, sinon il est aussi tenu responsable. C’est un peu plus facile à prouver, puisqu’il suffit de prouver que Vladimir Poutine est au courant de ce qui se passe», explique-t-elle.
«Pas de police internationale»
Même si toute la preuve accumulée en Ukraine permettait de lancer un mandat d’arrêt international contre Vladimir Poutine et les dirigeants russes, la justice internationale a du mal à arrêter les criminels, rappelle Fannie Lafontaine.
«Il n’y a pas de police officielle des tribunaux internationaux. Donc l’arrestation des accusés dépend de la coopération des États. Si quelqu’un est reconnu coupable de crimes de guerre, la police de chaque État pourrait l’arrêter. Ça dépend de la volonté de l’État en question de le faire», explique-t-elle.
«Prenez l’exemple des nazis: ils se sont dispersés dans le monde, et il y en a plein qui ont été arrêtés et traduits en justice dans différents pays. Quelqu’un les reconnait, les dénonce, et ensuite, la police enquête et les arrête. Ce serait la même chose pour Poutine», illustre-t-elle.
Donc à moins qu’il ne sorte du pays, ce qui est «très improbable», Vladimir Poutine serait presque intouchable.
Pour qu'il finisse derrière les barreaux, l’État russe devrait procéder à son arrestation, ce qui n’arrivera pas... à moins d’un changement de pouvoir en Russie, avance Mme Lafontaine.
C'est une des raisons pour lesquelles certains criminels de guerre, dont des dictateurs notoires, réussissent à échapper longtemps à la justice.
Quelles conséquences sur le conflit?
«Il ne faut pas s’attendre à ce que la justice, peu importe le niveau, soit le seul instrument pour la paix. La guerre, c’est de la diplomatie, de la politique, des intérêts géostratégiques, économiques et politiques», insiste Fannie Lafontaine.
Au-delà des effets à court terme, le rôle de la justice dans un contexte comme celui en Ukraine est surtout de mettre de la pression sur les dirigeants et de s’assurer qu’ils soient un jour imputables de leurs actions, poursuit-elle.
«Poutine n’envisage pas d’arrêter ses attaques en Ukraine par peur d’être arrêté, mais, en même temps, ça crée de la pression et ça concrétise la portée de ses actions dans l’opinion publique. Dans les prochaines semaines, les Nations Unies, une multitude d’ONG, des organisations internationales, pleins d’autres gens vont aider à récolter des preuves et à bâtir un dossier solide contre lui. On pense souvent que les dictateurs sont là pour toujours, mais la justice finit habituellement par les rattraper», conclut-elle.