Agressions sexuelles: pourquoi se tourner vers les tribunaux civils plutôt que criminels?
Maxime Auger
Après la comédienne Patricia Tulasne et la réalisatrice Lyne Charlebois, c'est au tour de la comédienne et metteuse en scène Danie Frenette de poursuivre au civil l'ex-magnat de l'humour Gilbert Rozon. Mais pourquoi poursuivre au civil plutôt qu'au criminel? On a demandé à un avocat de nous l'expliquer.
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Qu'est-ce qui différencie une poursuite criminelle d'une poursuite civile?
Avant de se demander pourquoi certaines personnes optent pour un procès civil dans des cas d'agression sexuelle, il faut savoir ce qui le différencie d'un procès criminel.
Poursuite criminelle
Dans le cas d'un procès criminel, «c’est l’État qui prend les choses en main», indique d’entrée de jeu l’avocat François-David Bernier. Le gouvernement va donc poursuivre, au nom de la victime, la personne accusée d'avoir commis un crime. Par le fait même, l'État va payer et fournir un avocat que l'on nomme «procureur aux poursuites criminelles et pénales».
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Avant le dépôt d'une poursuite, le représentant de l'État doit décider, au vu des preuves qui lui sont présentées, s’il y a une chance de succès devant un juge ou un jury. En d'autres mots: la preuve est-elle suffisante pour que des accusations soient portées?
Le droit criminel vise donc à réprimer un comportement répréhensible et à assurer la sécurité des citoyens. Pour ce faire, le procureur doit présenter une preuve plus imposante qu’au civil, avec pour objectif de prouver «hors de tout doute raisonnable» les faits reprochés. Parce qu'au criminel, une personne qui est accusée est présumée innocente.
«Vu le concept – très important dans notre système – de la présomption d’innocence [...] il vaut mieux dix criminels en liberté qu’un innocent en prison. Ce qui veut dire que c’est une procédure très stricte», illustre Me Bernier.
Poursuite civile
Dans une poursuite civile, l’individu qui lance la poursuite doit assumer les coûts du procès. La victime joue un rôle central, puisque c’est généralement elle qui poursuit la personne qui lui aurait causé un dommage. La victime n’a donc pas à «demander la permission», comme au criminel (où c'est l'État qui poursuit l'accusé), explique Me Bernier.
Plutôt que de viser une peine d’emprisonnement comme au criminel, la poursuite civile a pour objectif la réparation des dommages que le défendeur aurait causés à la victime.
Même si le mécanisme de défense reste le même que dans un procès criminel, il est «plus facile». Pour un procès civil, il est question de «balance des probabilités» ou de «prépondérance de la preuve». Cela signifie que, lorsque l’on tient compte de l'ensemble des preuves, une conclusion est plus vraisemblable qu’une autre. Les faits reprochés ne doivent pas être prouvés «hors de tout doute raisonnable».
François-David Bernier apporte cependant un bémol aux causes civiles: «Ces poursuites-là, quand tu vas jusqu’au bout, ce n’est pas long que ça puisse coûter 40 000 ou 50 000$.»
Ce n’est donc pas une avenue que tout le monde peut emprunter.
Pourquoi peu de victimes d’agression sexuelle vont au civil?
«C’est quand même nouveau, que les victimes pensent aux recours civils, indique Me Bernier. De plus en plus, les victimes sont mieux informées, plus conscientes qu’il existe un recours au civil quand le criminel ne fonctionne pas.»
Pour les victimes qui en ont les moyens, le civil peut aussi permettre «d’aller chercher de l’argent».
Les victimes veulent que justice soit rendue. Qu'un accusé soit reconnu coupable et prenne le chemin de la prison peut être un baume pour la victime, mentionne l'avocat qui anime le balado Avocats à la barre sur QUB radio.
Aller chercher un dédommagement monétaire peut être une autre façon, pour les victimes, d’avoir gain de cause et de faire payer une personne pour un dommage causé, poursuit l’avocat.
Les juges: des spécialistes en crédibilité
Dans les cas d’agression sexuelle, lorsque la preuve scientifique n’est pas disponible (donc dans la majorité des causes), c'est la parole de l’un contre celle de l’autre. Il revient donc au juge de trancher en déterminant qui dit vrai.
«Autant au civil qu’au criminel, on oublie souvent que les juges sont des spécialistes de la crédibilité des gens», mentionne François-David Bernier. Ils sont outillés pour repérer les faiblesses dans les témoignages. De plus, pour les causes criminelles, les juges ont une marche à suivre très stricte pour évaluer la crédibilité des gens.
Encore des lacunes dans le système de justice
L’analyste judiciaire ne le cache pas: le système n’est pas parfait, surtout en ce qui concerne les causes d’agression sexuelle. «C’est un chemin qui n’est pas toujours facile et, d’avoir des tribunaux spécialisés, c’est une bonne idée, parce que, des fois, il faut prendre en charge certaines victimes», précise Me Bernier.
Il déplore par ailleurs que certaines personnes se servent du système de justice pour accuser à tort. Cela a pour conséquence d’enlever beaucoup de crédibilité au système et aux vrais cas d'agression.
Il rappelle finalement le droit à la présomption d'innocence pour tous les accusés. «De nos jours, avec les médias, ça n’existe plus toujours, quand une personne est connue», conclut-il.