Des photos Instagram de plus en plus de femmes volées par des fraudeurs
Genevieve Abran et Félix Pedneault
Les photos Instagram d’un nombre croissant de femmes – pas des influenceuses – sont volées pour faire la promotion de sites pour adultes.
C’est arrivé à Marie-Claude en février dernier. Après avoir reçu des messages de plusieurs proches, elle a constaté que des photos d'elle apparaissaient sur le compte Instagram d’un utilisateur dont le nom ressemblait au sien.
Plus inquiétant: le compte était lié à la plateforme payante Top4Fans, un concurrent d’OnlyFans, qui offre des contenus de nature pornographique.
«Sur le coup, j’ai trouvé ça comique, mais j’ai vite ressenti de la panique», raconte celle qui a craint les conséquences que cette situation pourrait avoir sur sa réputation. En plus de voler ses photos, le malfaiteur s'est mis à suivre certains de ses abonnés Instagram, parmi lesquels figuraient des collègues et un ancien supérieur.
La femme de 40 ans publie à l’occasion, sous son vrai profil, du contenu body positive, comme des photos d’elle en lingerie ou en bikini. «Même si j’assume mon contenu anti-grossophobie, ça peut porter à confusion de voir ce contenu hyper-sexualisé [repris ailleurs et sans contexte]», soutient-elle.
Alexandra Campeau a subi sensiblement le même sort. Alors qu’elle se préparait pour une première date, elle a reçu un message de celui qu'elle s'apprêtait à rejoindre. Il lui apprend alors qu'il a reçu une demande d’amitié d’un compte qui utilise ses photos pour faire la promotion d’un compte OnlyFans. Dans les minutes qui suivent, plusieurs de ses amis, majoritairement des hommes, lui écrivent pour la même raison.
«Ça m’a tellement stressée. Finalement, je suis arrivée super en retard à ma date, super anxieuse et super stressée», se souvient-elle. Seule bonne nouvelle: le faux compte a vite été fermé, après plusieurs signalements de la part de ses proches.
Ce genre de scénario serait de plus en plus fréquent, regrette Alexandra Campeau. «On dirait que c’est rendu que t’es quasiment surprise si ça ne t’est jamais arrivé, tellement c’est commun», insiste la jeune femme de 25 ans.
Un geste «sexiste»
Pour Jade, qui a elle aussi été victime de ce type de vol d'identité, ces histoires sont un «rappel non nécessaire que la femme est perçue comme un objet».
«C’est fâchant de savoir qu’un compte fait la promotion de la pornographie en utilisant ton visage», déplore la femme de 30 ans qui s’est sentie mal à l’aise à l’idée que des gens puissent penser qu’elle produit du contenu pour adulte.
Elle n’a d’ailleurs pas du tout apprécié les blagues «pas drôles» qu’elle a reçues de certains hommes de son entourage à la suite de sa mésaventure. «Certaines personnes auraient été contentes que ça ne soit pas un faux compte, mentionne-t-elle. Ça a été une réalisation qu’il y a vraiment des gens cons.»
Pourquoi faire ça?
Même si elle estime que cette pratique est «horrible», Laurence Grondin-Robillard, doctorante en communication à l’UQAM et coordonnatrice au Groupe de recherche sur l’information et la surveillance au quotidien, n’est pas surprise de constater que des femmes qui ne sont pas connues soient visées.
«C’est très avantageux, pour un voleur d’identité, de s’en prendre à une personne qui n’est pas connue publiquement, parce que ça diminue significativement ses risques de se faire attraper», explique-t-elle.
L’objectif est «de faire de l’argent avec l’image de quelqu’un», poursuit Laurence Grondin-Robillard. Les fraudeurs espèrent que des gens cliqueront sur le lien et qu’ils paieront pour avoir accès à du contenu pour adulte.
Quelle responsabilité pour Instagram?
Si Marie-Claude, Alexandra et Jade ont réussi à faire fermer les comptes qui utilisaient leurs photos, toutes n’ont pas eu cette chance.
En novembre dernier, alors qu’elle revenait d’une soirée avec des amis, Émi Bouchard a été bombardée de messages de proches. Ils étaient tous étonnés de son nouveau site de contenu pour adulte. Sauf que ce n’était pas le sien.
Même si plusieurs de ses amis ont signalé le compte – duquel elle a été bloquée – et bien qu’elle ait fourni une déclaration écrite à Instagram, son compte est demeuré actif pendant plusieurs mois. Il n’a été fermé qu’en février, lorsque le 24 heures a signalé la situation à Meta, qui possède Instagram.
«Je croyais qu’en quelques jours tout serait réglé, mais non. C’est ça qui me décourage le plus: malgré les multiples signalements, Instagram n’a rien fait», déplore la jeune femme de 23 ans.
L’inaction d’Instagram pour contrer ces vols d’identité est désolante, juge Laurence Grondin-Robillard. Elle regrette que les réseaux sociaux remettent toute la responsabilité sur le dos de leurs usagers, et particulièrement sur celui de leurs usagères.
Que faire si ça nous arrive?
Si vous êtes victime de ce type de vol d’identité, la première chose à faire est de prendre des captures d’écran du faux compte (ou de demander à un ami de le faire si la personne vous a bloqué). Ça peut toujours servir, soutient Laurence Grondin-Robillard.
Il faut ensuite signaler le compte Instagram qui a volé votre identité et inviter vos proches à faire de même. Il faut aussi écrire à la plateforme de contenu pour adulte qui est associée au faux compte Instagram.
Laurence Grondin-Robillard recommande finalement d’avertir la police. «Si plusieurs plaintes sont faites, ça peut sensibiliser la police au fait qu’il y a un problème», croit-elle.
Peut-on éviter que ça nous arrive?
Malheureusement, lorsqu’on fait le choix de publier des photos sur les réseaux sociaux, il n’y a pas grand-chose qu'on puisse faire, indique Laurence Grondin-Robillard. «Ça risque d’arriver, malheureusement, et ça risque d’arriver de plus en plus», déplore-t-elle.
«Je n’ai pas envie de dire de s’afficher le moins possible sur nos photos, d’en dévoiler le moins [possible], parce que ça fait tellement années 60 de dire ça», mentionne-t-elle.
Régler son compte Instagram en mode privé – ce qui permet de limiter l’accès à votre contenu – peut néanmoins réduire les risques de vol de photos, même si ce n’est pas infaillible. Laurence Grondin-Robillard recommande également de vérifier votre liste d’abonnés pour savoir qui vous suit.
Finalement, elle propose de faire des recherches d’images inversées sur Google avec certaines de vos photos, pour savoir si elles se retrouvent sur des sites sans que vous le sachiez. Cette fonction permet notamment de vérifier si une photo pourrait se cacher quelque part sur le web.
«Ça permet de voir sur quels sites nos photos pourraient se retrouver», conclut-elle.