Pourquoi nos enfants réussissent-ils sans savoir écrire?

Luc Papineau, enseignant de français au secondaire
À Bernard Drainville, ministre de l’Éducation,
Vous avez sûrement pris connaissance de l’article de Daphnée Dion-Viens du Journal de Québec où l’on constate que certains cégépiens ont une faible maitrise du code grammatical après onze années sur les bancs d’école et avoir réussi avec succès leur examen final de cinquième secondaire en écriture. Dans certains cas, des intervenants parlent même de difficultés relevant du primaire.
Si vous vous tournez vers vos fonctionnaires, je doute qu’ils vous révèlent les nombreuses raisons expliquant cette situation puisqu’ils font partie intégrante eux-mêmes de ce système qui accepte l’inacceptable. Aussi, en voici quelques-unes.
Tout d’abord, il faut comprendre que la maitrise du code grammatical représente une faible portion de la note d’un élève en français. En effet, selon les cycles, elle équivaut à 8% de celle-ci. Par exemple, en français de première secondaire, elle représente environ 20% du volet écriture qui lui-même ne compte que pour 40% de la note globale de l’élève.
Ensuite, il existe la progression des apprentissages qui détermine quelles notions de grammaire doivent être vues lors du parcours d’un élève. Ce que l’on remarque est qu’on est peu exigeant au primaire et au premier cycle du secondaire. S’il est logique d’aborder des règles en tenant compte de la «maturité linguistique» des jeunes, on assiste à des aberrations. Par exemple, il est interdit de mettre une erreur à un élève qui écrit «Le monde sont fous» en première secondaire. Et ce genre d’exemples est fréquent.
Les élèves prennent alors l’habitude de penser qu’ils peuvent réussir sans connaître les règles de grammaire et ils finissent par cumuler un retard dans la maîtrise de nombreuses notions importantes. Bonne chance alors aux collègues de quatrième et cinquième secondaire qui se retrouvent avec des élèves démunis et sans véritables acquis pour affronter un programme fatalement fort chargé!
Il y a aussi les règles de promotion d’une année scolaire à l’autre qui permettent à des jeunes qui n’ont pas réussi leur cours de français au primaire de se retrouver dans une classe de deuxième secondaire. Dans les faits, certaines écoles coupent même deux périodes de français à des élèves du secteur régulier pour instaurer des projets particuliers parce qu’il est de notoriété publique qu’ils vont tous passer, ou presque de toute façon. Bien des enseignants sont fatigués de collaborer à ce grand mensonge.
Vous serez tenté de penser, Monsieur le ministre, que l’examen ministériel de français écrit sera plus contraignant. Or, il n’en est rien. Quand est venu le temps de supposément «resserrer» les exigences de celui-ci à la suite d’un énième scandale concernant la maîtrise du français des jeunes, vos fonctionnaires ont prudemment effectué une analyse statistique afin de s’assurer que les nouveaux critères de correction n’entraînent pas une hausse significative des échecs.
Alors, si vous leur demandez des explications, ne les croyez pas sur parole. Ils font partie du problème eux aussi.
Luc Papineau, enseignant de français au secondaire