Pourquoi n'y a-t-il pas plus de camions électriques sur les routes du Québec?
Anne-Sophie Poiré
Les camions électriques sont construits sur mesure pour la majorité des déplacements que font les véhicules lourds au Québec. Pourtant, le secteur du transport routier, responsable à lui seul de plus du tiers des émissions québécoises de gaz à effet de serre (GES), tarde à se décarboner.
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«Le secteur du transport est non seulement le plus gros émetteur de GES, mais aussi parmi celui qui a le plus augmenté: + 28% pour le transport personnel en véhicule routier entre 1990 et 2019, et + 168% pour le transport des marchandises sur les routes», soutient le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, Pierre-Olivier Pineau.
Sans des changements importants dans le secteur dont les émissions sont passées de quatre à dix millions de tonnes entre 1990 et 2019, il sera impossible d’atteindre les cibles de réduction des GES du Québec, assure l’expert.
C’est justement pour convaincre des gestionnaires de flottes de poids lourds de passer à l’électrique que l’Institut du véhicule innovant (IVI) — qui travaille sur l’électrification des transports depuis 25 ans — était de passage au Centre de formation du transport routier de Saint-Jérôme (CFTR), mardi dernier.
Des dizaines d’entreprises étaient sur place pour recevoir de la formation, mais surtout, pour faire l’essai de véhicules lourds électriques.
Les vertus des poids lourds électriques
Même si l’électrique ne permet toujours pas aux camions lourds d’effectuer de longues distances — l’autonomie des batteries et les infrastructures de recharge ne sont pas tout à fait mûres —, la technologie répond à la majorité des besoins des entreprises de transport au Québec, assure le directeur de l’IVI, François Adam.
«Au Québec, près de 60% des déplacements des véhicules lourds se font dans un rayon de moins de 160 kilomètres par jour, principalement en région urbaine, fait valoir M. Adam. La technologie est mature pour ça.»
Les modèles de camion électrique disponibles sur le marché peuvent en effet effectuer 280 km en moyenne avec une seule charge.
D’ailleurs, avec le programme Écocamionnage au provincial et la nouvelle subvention instaurée par le gouvernement fédéral cet été, un poids lourd électrique «devient rapidement une machine à faire de l’argent comme il ne coûte presque rien en maintenance», insiste M. Adam.
«Un camion électrique, c’est 60% d’économie sur la maintenance et 80% d’économie sur le coût en énergie, le tout, sans les émissions de diesel néfastes sur la santé, le bruit, les odeurs et les vibrations qui sont difficiles sur le corps des chauffeurs», détaille quant à lui le vice-président marketing et communications de Lion Électrique, Patrick Gervais.
Il faut savoir que les émissions de diesel sont associées à 710 mortalités prématurées par année, selon une analyse de Santé Canada publiée en 2016. C’est sans compter des cas d’asthme et de bronchite, des hospitalisations et des visites à l'urgence.
«Un seul essai vous convaincra»
Pour François Adam et Patrick Gervais, il n’y a donc plus d’excuse à ne pas avoir au moins un camion électrique dans sa flotte.
«En électrifiant un seul camion d’une flotte au diesel, on élimine environ 100 tonnes de GES par année [...] sans compromis pour l’expérience de conduite, souligne M. Gervais. C’est immense!»
Au Centre de formation du transport routier de Saint-Jérôme, la reporter du 24 heures a pu faire l’essai de trois modèles de véhicule lourds.
Comme Patrick Gervais de Lion Électrique le soulignait: aucun bruit, aucune odeur, aucune vibration. Malgré la taille des véhicules, en conduire un était d’ailleurs un jeu d’enfant. Et à tous ceux qui doutent de la puissance de la batterie, un seul essai vous convaincra. Ces engins surdimensionnés peuvent franchir les 0 à 100 km/h en cinq secondes à peine.
Ces véhicules lourds sont aussi plus performants que ceux au diesel pour le stop-and-go — la livraison de colis ou la collecte d’ordures et de matières résiduelles — qui abîme les freins prématurément et augmente la consommation de carburant.
«Au lieu de perdre l’énergie avec un camion électrique, on la renvoie dans le moteur et les freins ne sont pratiquement pas utilisés», précise M. Adam.
Pourquoi la transition est-elle aussi lente?
Malgré toutes ces vertus, les flottes de poids lourds tardent à être électrifiées au Québec. La part des camions électriques sur les routes demeure faible, confirme François Adam de l’IVI.
D’après le directeur du Centre d’innovation en logistique et chaîne d’approvisionnement durable à l’Université Laval, Jacques Renaud, il faudra attendre une dizaine d’années avant que les poids lourds électriques ne deviennent la norme.
«C’est énormément d’argent de tout changer sa flotte d’un coup. Et étant donné l’ampleur des investissements, certains attendent peut-être l’arrivée des camions à l’hydrogène. Ils ne veulent pas se tromper de technologie», prévient l’expert.
Ainsi, plusieurs entraves persistent pour accélérer la transition électrique.
Le manque d’infrastructures est le premier obstacle, selon M. Adam. «C’est facile avoir un camion électrique, mais si on veut une flotte plus large, il faut des infrastructures de recharge assez puissantes pour fournir l’énergie nécessaire aux véhicules lourds», mentionne-t-il.
Une première station de recharge conçue pour les camions a d’ailleurs été inaugurée par Hydro-Québec mardi dernier, à Laval. La société d’État souhaite en construire entre 15 et 20 d’ici 2024.
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Patrick Gervais de Lion Électrique estime pour sa part que la législation, «un des secrets de l’électrification», doit être resserrée, «comme avec les autobus scolaires». Depuis le 1er novembre 2021, Québec exige que chaque nouveau bus utilisé pour le transport scolaire soit électrique.
L’échéance est de 2040 pour les véhicules lourds.
«Les fabricants envoient donc leurs camions électriques là où la date butoir est plus rapprochée», précise M. Gervais.
L’électrification: pas la seule solution
Pour Pierre-Olivier Pineau de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, la résistance de certains acteurs du milieu du transport serait aussi à blâmer.
«Ce n’est pas l’absence de technologie qui empêche les améliorations en transport, mais la résistance à changer les mœurs et les habitudes – autant pour la gestion des déplacements des personnes que des marchandises», croit-il.
Et l’électrification des transports est loin d’être une solution unique pour décarboner, affirme celui qui plaide pour une stratégie ferroviaire et maritime.
«Ces modes de transport consomment 90% moins d’énergie que le transport routier pour le même nombre de passager ou de tonnes de marchandise. [...] Il faudra des infrastructures différentes pour arriver à une mobilité durable: plus de voies ferrées et de trains, moins d’autoroutes. Si on délaisse la domination des véhicules routiers, on pourra limiter le nombre de bornes électriques à installer.»