Pourquoi les Américains tiennent tant au deuxième amendement... et à leurs fusils
Andrea Lubeck
La tragédie survenue mardi dans une école primaire du Texas a relancé pour une énième fois le débat sur le contrôle des armes à feu aux États-Unis. Comme à chaque fusillade, des Américains souhaitent un resserrement des règles, alors que d’autres s’accrochent au deuxième amendement de la Constitution américaine, auquel ils tiennent mordicus. On vous explique.
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C’est quoi, au juste, le deuxième amendement?
Dans la Constitution des États-Unis, écrite en 1791, voici ce qui dit le deuxième amendement: «Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit du peuple de détenir et de porter des armes ne doit pas être transgressé».
À l’époque où cet amendement a été écrit, les pères fondateurs craignaient surtout la tyrannie d’un gouvernement, explique Francis Langlois, chercheur à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, qui se spécialise notamment sur la question des armes à feu.
«Ç’a été écrit de façon un peu automatique, explique-t-il. L’idée, c’était d’éviter qu’un gouvernement tyran désarme la population, comme des rois anglais avaient déjà fait, pour qu’elle puisse conserver son droit de révolte.»
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Les représentants du sud des États-Unis de l’époque voulaient absolument que cet amendement soit inclus à la Constitution pour continuer à organiser des milices pour contrôler leurs esclaves, dans l’éventualité où le gouvernement fédéral abolirait l’esclavagisme.
Les mots clés dans l’amendement: milice bien organisée. Car les pères fondateurs étaient «des hommes blancs riches, qui ne voulaient pas d’une foule de gens armés tout croche», précise le chercheur. «Ils avaient très peur des rébellions et voulaient donc une milice encadrée, pas que n’importe qui puisse s’armer.»
«Les pères fondateurs, dans toute leur sagesse et leurs défauts, ne se seraient jamais imaginé un jour qu’il y aurait des armes comme celles qui se trouvent sur le marché actuel», fait valoir Francis Langlois.
La Cour suprême change tout
Fast forward à notre époque: un jugement de la Cour suprême des États-Unis rendu en 2008 a complètement changé l’interprétation de l’amendement, comme il était devenu «caduc» après l’implantation de la garde nationale américaine au début du XXe siècle.
Ce jugement a transformé la partie caduque de l’amendement en droit individuel défendu par la Constitution.
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«Maintenant, tous les Américains ont le droit de posséder et de porter des armes à feu», précise Francis Langlois, lequel souligne que le jugement donne tout de même le pouvoir aux États d’encadrer la possession et le port d’armes.
Une cause sur laquelle se penche actuellement la Cour suprême laisse cependant présager que les États seront limités dans leur capacité à limiter la possession et le port d’armes.
«Si je me fie aux commentaires des juges durant les auditions et à leur tendance idéologique, mon impression c’est qu’on s’en va vers une libéralisation encore plus grande de ce que couvre le deuxième amendement», avance le chercheur.
Des milliards de dollars en jeu
En s’intéressant au deuxième amendement, c’est impossible de passer à côté du puissant lobby américain des armes à feu. Ce dernier a réussi à changer complètement la culture des armes à feu aux États-Unis dans les dernières décennies. La National Rifle Association (NRA) y travaille d’arrache-pied depuis les années 1980, raconte Francis Langlois.
«Jusqu’au début des années 2000, la raison principale pour laquelle une personne s’achetait une arme à feu, c’était pour le loisir, la chasse, etc. Mais depuis, on cite davantage la protection individuelle et de la famille», précise-t-il.
C’est que les armes à feu, «c’est un marché de gros sous». Selon la firme Fortune Business Insights, l’industrie des armes à feu et de ses accessoires s’élevait à plus de six milliards de dollars en 2019 et devrait atteindre près de 10 milliards d’ici 2027. Il s’est vendu plus de 20 millions d’armes aux États-Unis en 2020, comparativement à environ cinq millions par année, à cause de la panique engendrée par la pandémie.
Une autre preuve que les armes à feu sont réellement ancrées dans la culture américaine: des vétérans ont fondé l’entreprise Black Rifle Coffee, «l’équivalent à droite de Starbucks». «C’est une compagnie cotée en bourse, partie par des vétérans ayant une attitude un peu commando, qui vend du café et qui fait la promotion d’un style de vie basé sur les armes à feu», relate le chercheur.
Pas tous les Américains...
Il ne faut cependant pas oublier que la majorité des Américains ont une position plus modérée sur les armes à feu et que le phénomène de chambre d’écho est particulièrement puissant sur cet enjeu. On entend donc davantage ceux qui ont des positions très clivées, rappelle Francis Langlois.
«Une grande partie de la population demande des contrôles plus serrés en matière de vérifications d’antécédents et se place en porte-à-faux face aux élites politiques et judiciaires, qui bénéficient du lobby proarmes à feu», conclut-il.