Terres autochtones non cédées: voici pourquoi le message du Canadien fait controverse
Andrea Lubeck
Avant chaque match joué à domicile, le Canadien présentera un message de reconnaissance territoriale. Mais le texte lu par l'annonceur maison, dans lequel le CH reconnaît que Montréal se trouve sur un territoire non cédé appartenant aux Mohawks, ne fait pas l'unanimité. On vous explique pourquoi.
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Le message lu au Centre Bell
«Les Canadiens de Montréal souhaitent reconnaître les Kanien'keha:ka, également connus comme la Nation Mohawk, pour leur hospitalité sur le territoire traditionnel et non cédé où nous sommes réunis aujourd’hui», a-t-on pu entendre de la bouche de Michel Lacroix, l’annonceur officiel de l’équipe, avant la partie contre les Rangers de New York, samedi soir dernier.
L’organisation, qui a fait appel aux conseils du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, souhaite rendre hommage aux peuples autochtones.
«Elle atteste de leur présence tant historique qu’actuelle. La reconnaissance et le respect sont indispensables à l’établissement de relations saines et réciproques avec les populations autochtones et à la poursuite du processus de réconciliation», a indiqué le tricolore dans un communiqué.
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Une déclaration controversée
Si l’initiative du club de hockey est louable et soutenue par des organisations autochtones, le discours en a fait sourciller plus d’un, à commencer par les historiens. C’est que plusieurs réfutent l’idée même que Montréal soit un territoire non cédé des Mohawks.
Selon le sociologue et historien Denys Delâge, il s’agirait plutôt d’une terre appartenant historiquement à la nation algonquine. D’autres historiens sont plus nuancés et préfèrent parler de l’occupation du territoire par diverses nations autochtones au fil des années, et d'un territoire où les Mohawks auraient voyagé, sans toutefois l’habiter.
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Le Groupe CH valide d'ailleurs avec des experts la possibilité d’apporter des précisions à la reconnaissance du territoire mohawk non cédé.
Mais d’où vient cette confusion?
Le fait est que les Mohawks appartiennent à la même famille linguistique que les Iroquoiens du Saint-Laurent que Jacques Cartier a rencontrés lorsqu’il est arrivé à Montréal, en 1535. Cette nation serait essentiellement disparue vers 1580, à la suite de guerres et d’épidémies. En s’établissant à Montréal après 1666, les Mohawks, qui revendiquent une parenté avec les Iroquoiens du Saint-Laurent, affirment revenir sur leur territoire ancestral.
Or «cette interprétation ne cadre pas [...] avec la tradition orale des Mohawks recueillie au XVIIIe siècle», a écrit l’historien Alain Beaulieu dans une lettre d’opinion parue dans les pages de La Presse en 2017. «Cette tradition n’associe jamais leur présence dans ce secteur à une occupation antérieure», a-t-il poursuivi.
Les recherches archéologiques contredisent également cette version des faits, mentionne Denys Delâge.
Malgré tout, ce dernier fait état d'une «belle et grande histoire d’amitié» avec les Mohawks. «Il faut marquer l’amitié sans pour autant oublier les Algonquins. Quand on lit les descriptions anciennes de Montréal, il y a toujours des mentions des Iroquois [la famille linguistique autochtone dont font partie les Mohawks]», explique Denys Delâge.
Une tradition importante
Tradition plus répandue dans le Canada anglais, il se fait de plus en plus de déclarations de reconnaissance territoriale en français, que ce soit lors d’événements culturels ou au début de séances de conseil municipal.
La reconnaissance territoriale provient d’une coutume diplomatique autochtone. Lorsqu’il était de passage sur le territoire d’une autre nation, un Autochtone annonçait alors reconnaître que l’endroit où il se trouvait était traditionnellement attribué à cette nation.
«C'était une façon de dire: “Je reconnais que vous êtes la nation responsable de préserver ce territoire et, surtout, je viens en paix”», peut-on lire dans le Guide de reconnaissance des Premières Nations et des territoires traditionnels.
D'autres initiatives du CH
Le Canadien de Montréal affirme qu'il s'agit de la première d’une série d’initiatives visant à «reconnaître, honorer et soutenir les Premières Nations et les communautés autochtones locales». L'équipe espère également en inspirer d’autres à passer aux actes afin de soutenir les communautés autochtones.
Le Canadien prévoit également de tenir une cérémonie d’avant-match «plus formelle», à laquelle le gardien Carey Price, qui entretient «des liens étroits avec ses racines autochtones», pourra assister après son passage dans le programme d’aide aux joueurs de la LNH.