Pourquoi (et comment) la droite séduit les jeunes hommes au Canada


Anne-Sophie Poiré
Un virage à droite s’observe chez les jeunes électeurs un peu partout dans le monde, et le Canada ne fait pas exception. Les intentions de vote sont claires au fédéral: les hommes de 18 à 34 ans sont plus favorables aux conservateurs que les femmes de la même tranche d’âge. Qu’est-ce qui explique que les valeurs conservatrices séduisent cet électorat masculin?
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Plusieurs sondages réalisés dans les derniers jours placent les conservateurs au sommet des intentions de vote des 18-34 ans, parfois avec une avance considérable.
Le plus récent coup de sonde de la firme Nanos, dont les résultats ont été publiés mardi, accorde un avantage de 10 points aux conservateurs de Pierre Poilièvre (43%) pour cette tranche d’âge, loin devant les libéraux de Mark Carney (33%).
«Ce n’est pas faux de parler de la droitisation des jeunes hommes, qui sont nettement plus favorables aux partis conservateurs quand on les compare aux jeunes femmes», souligne le professeur à l’école de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, Jean-François Daoust.
Il n’y a en effet que 27% des femmes de 18 à 34 ans qui prévoient appuyer le Parti conservateur du Canada (PCC) le jour du scrutin, comparativement à 39% chez les électeurs masculins du même âge, toujours selon Nanos.
En février dernier, l’économiste et président fondateur de la firme Léger s’étonnait de l’écart «fascinant» entre les deux sexes dans cette jeune cohorte.
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«Les femmes de 18-34 ans comptent voter pour des partis plus à gauche (59%) comparativement aux jeunes hommes qui voteront pour des partis plus à droite (48%)», résumait Jean-Marc Léger.
Sans associer les jeunes hommes à la droite, le professeur Daoust remarque un déplacement clair de leurs intentions de vote de ce côté de l’axe politique.
Pourquoi sont-ils plus à droite?
L’hypothèse la plus crédible selon l’expert: les priorités électorales des jeunes hommes sont différentes de celles de leurs vis-à-vis féminins.
«Ça sonne un peu cliché, mais la littérature démontre le clivage de genre. Les hommes accordent plus d’importance à l’économie et aux problèmes reliés la criminalité, et les femmes aux enjeux sociaux comme la santé, l’éducation et les politiques familiales», résume M. Daoust.

La notion de «pourvoyeur» semble toujours résonner auprès des jeunes électeurs, dit-il.
«Le PCC joue clairement la carte de l’économie. Après une décennie libérale où le déficit a explosé, il est possible que le discours conservateur résonne auprès des jeunes hommes. Les taxes, les impôts, critiquer le déficit record des libéraux: ce ne sont pas des mesures précises, mais plus un accent général mis sur l’économie», explique le professeur.
A contrario, les partis faisant la promotion de l’équité — qui passe notamment par les programmes sociaux — sont généralement plus soutenus par les femmes.
«La pression liée aux activités du care repose encore plus sur les épaules des femmes que celles des hommes dans la société», affirme le professeur au département de science politique de l’Université Laval et chercheur à la Chaire sur la démocratie et les institutions parlementaires, Marc André Bodet.
«Les soins de santé, les assurances dentaires ou le programme fédéral de garderie sont des enjeux qui touchent plus les femmes parce qu’elles y ont déjà pensé. Elles doivent composer avec tous les jours», illustre-t-il.
Les jeunes hommes changent
Peu importe le groupe d’âge, les hommes sont généralement davantage séduits par les idées des partis plus à droite du spectre politique. Le plus récent sondage de Nanos conclut que 45% d'entre eux comptent appuyer le PCC contre 28% de femmes.
«Historiquement, les hommes ont toujours voté plus à droite», confirme le professeur Bodet.
«Au moment où le droit de vote a été accordé aux femmes au pays, entre 1920 et 1940, on pensait que les électrices allaient déplacer le jeu électoral à droite parce qu’elles étaient plus religieuses que les hommes. Elles avaient des idées plus conservatrices», raconte-t-il.
Cette prédiction ne s’est pas avérée. Et la position des jeunes femmes n’a pas vraiment changé depuis.
«Ce qui est nouveau, c’est l’écart qui se creuse entre les jeunes des différents sexes», souligne Marc André Bodet.
«Les hommes ne se sont pas déplacés à droite, ce sont plutôt les jeunes électeurs qui sont plus à droite et qui tendent s’éloigner des partis plus à gauche de l’axe politique où ils votaient traditionnellement», précise-t-il.