Pistes de solutions pour mieux enseigner l'histoire autochtone dans les écoles
Anne-Sophie Roy
La dernière réforme des cours d’histoire au secondaire, en 2017, a permis d’accorder une plus grande place aux peuples autochtones dans les manuels scolaires. C’est une bonne nouvelle, mais il reste encore bien des gains à faire, selon des experts du milieu.
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Deux grandes améliorations en 2017
Deux gains majeurs ont été réalisés dans la réforme de 2017: on aborde plus en profondeur la question des pensionnats autochtones, et le terme «Amérindiens» a été remplacé dans les manuels par «Premières Nations».
Malgré ces victoires, bon nombre de recommandations ont été mises de côté, souligne le Conseil en éducation des Premières Nations (CEPN).
«On a produit deux mémoires et près de 70 recommandations et on a eu deux gains majeurs», résume Bruno Rock, coordonnateur des projets éducatifs au CEPN. [Avant la réforme], les pensionnats autochtones étaient abordés en surface il faut absolument le traiter comme une connaissance à part entière.»
Cesser d’escamoter des enjeux
Ce n’est pas parce qu’on mentionne enfin les pensionnats autochtones que les tabous sont levés. Nombre de concepts et de chapitres historiques – pour la plupart peu reluisants – sont vites couverts, voire même sautés, déplorent des experts.
Parmi ceux-ci, l’anthropologue Emanuelle Dufour pense notamment à toute la période comprise entre la conquête britannique et le siège de Kanhesatake (crise d’Oka), dans laquelle on retrouve la dépossession territoriale, la sédentarisation forcée, la Loi sur les Indiens – toujours en vigueur -, la déportation des communautés innues et inuites, le massacre des chiens de traineau et les pensionnats autochtones, entre autres.
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«Les chapitres de l’histoire autochtone qui sont les plus escamotés sont paradoxalement ceux qui s’avèrent les plus importants pour réussir à contextualiser non seulement les enjeux actuels auxquels font face les Premiers Peuples, mais également les fondements historiques sur lesquels s’est construit le Canada et notre prospérité en tant que nation», explique Mme Dufour, qui est spécialisée dans le domaine de l’éducation et autrice de la bande dessinée C’est le Québec qui est né dans mon pays?.
Pour Bruno Rock, il faudrait aussi apporter davantage de nuances quand on parle des peuples autochtones et des différences entre ceux-ci.
«Beaucoup de gens pensent encore que les Autochtones, c’est un grand bloc monolithique, mais il y a 11 nations autochtones au Québec et ça veut dire 11 langues et 11 cultures différentes. Il y a aussi une incompréhension du lien qu’entretiennent les Autochtones avec le territoire.»
Outiller les profs pour parler d’enjeux racistes et violents
Enseigner l’histoire est une chose, mais être outillé pour parler correctement d’enjeux racistes et violents à ses élèves en est une autre. Il faut s’assurer que les enseignants savent comment déconstruire des concepts difficiles à enseigner, pour éviter que des élèves autochtones vivent de la colère et que les élèves allochtones se replient sur eux-mêmes, croit Emanuelle Dufour.
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«Considérant le manque ou la rareté des enseignants autochtones au sein de nos établissements scolaires, il me semble que la création de postes de conseillers avisés, autochtones ou formés en la matière, ou le travail en collaboration avec des organismes autochtones compétents est essentiel», dit-elle.
Et les questions autochtones ne concernent pas uniquement les profs d’histoire!
«Ça peut très bien de faire au sein de d’autres cours», croit Bruno Rock. Il y a un engouement autour des auteurs autochtones. Les enseignants en français peuvent prendre la balle au bond et et en profiter pour parler des enjeux autochtones.»
Devant ce grand défi, le CEPN, l’Institut Tshakapesh et le Centre de développement de la formation et de la main-d’œuvre huron-wendat ont proposé l’ajout d’une 15e compétence professionnelle pour les enseignants au Québec.
«On a proposé au Ministère une 15e compétence pour intégrer des connaissances plus marquées des Premières Nations, mais elle n’a pas été retenue pour faire partie du référentiel de compétences des futurs enseignants», déplore Bruno Rock.
En parler dès le plus jeune âge
Devrait-on garder les pans sombres de notre histoire pour les élèves du secondaire? Non : les enfants du primaire peuvent comprendre des réalités dures si elles sont amenées de la bonne façon, croit l’anthropologue Emanuelle Dufour.
«Je pense que la rencontre et la sensibilisation progressives de l’enfant aux histoires et réalités du territoire qui les ont vus naître ou qu’ils habitent aujourd’hui est essentielle», dit-elle.
L’autrice évoque d’ailleurs une scène bouleversante qu’elle a vécue avec sa fille lorsque celle-ci avait trois ans et demi. La petite a surpris une conversation entre adultes sur les horreurs des témoignages entendus au cours des audiences de la Commission de vérité et réconciliation et a demandé à sa mère, en pleurant, si les «Blancs» viendraient la chercher à son tour.
Après l’avoir rassurée, l’anthropologue a eu plusieurs discussions intéressantes avec sa fille. «Je me suis rendu compte que les enfants sont capables de comprendre beaucoup plus qu'on pourrait le croire, en développant une saine empathie, sans les sentiments de culpabilité ou repli identitaire qu’on associe souvent aux citoyens adultes en période d’éveil aux histoires coloniales», explique-t-elle.