Les partis ne parlent pas du déclin de la biodiversité et c'est un problème
Anne-Sophie Poiré
Le déclin de la biodiversité est pratiquement absent des plateformes électorales. Pourtant, les mesures pour le renverser sont parmi les plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et lutter contre les changements climatiques, s’accordent les experts. Les partis politiques ont-ils raté une belle occasion d’ouvrir cette conversation avec les électeurs?
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«Les partis mettent de l’avant les centaines de millions qui seront consacrés à l’environnement, mais on n’attaque pas la question de la biodiversité de front dans cette campagne», déplore le professeur titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique de l'Université du Québec en Outaouais, Jérôme Dupras.
Or, la lutte et l’adaptation aux changements climatiques passent nécessairement par la protection de la biodiversité, plaident les experts.
Tenter de résoudre la crise climatique sans aussi régler celle de la biodiversité serait en fait inutile: ces «menaces sont inséparables» et doivent être traitées ensemble, prévient le Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
La protection et la restauration accrues des espèces et des écosystèmes — qui désignent la biodiversité — pourrait ainsi représenter près de 37% de l’effort mondial nécessaire pour réduire nos émissions de GES de 55% d’ici 2030, selon l’Union internationale pour la conservation de la nature.
«Les forêts, leurs sols, les milieux humides, ce sont d'importants réservoirs de carbone. En préservant la faune, on protège aussi son habitat naturel et ces écosystèmes. On vient [donc] stabiliser les quantités de CO2 dans l’atmosphère», résume le professeur Dupras.
«On ne peut répondre à la crise climatique avec des solutions purement technologiques. Sans penser à la nature, il y a de grandes chances de l'aggraver», signale quant à elle la chargée de projet climat de Nature Québec, Anne-Céline Guyon.
Elle cite l'exemple du rôle du secteur minier dans l'électrification des transports. En creusant pour extraire les métaux nécessaires, «on va détruire des puits de carbone naturel et relâcher beaucoup de GES dans l’atmosphère sous prétexte de lutter contre les changements climatiques», illustre-t-elle.
Les électeurs préoccupés par la biodiversité
La question de la biodiversité suscite l'intérêt la population québécoise, selon une étude menée par Jérôme Dupras et deux collègues. Les personnes interrogées se disent «préoccupées» par la faune sauvage menacée, notamment le caribou forestier et le béluga.
Au Canada, les populations d’espèces en péril ont décliné d’environ 59% de 1970 à 2016.
Un quart des répondants seraient même prêts à payer 160$ par année pour un programme de protection de la grande faune, et 12$ pour la sauvegarde des oiseaux, des insectes, des poissons et des mollusques.
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«Au-delà de ces montants, ça montre que les gens sont prêts à investir et contribuer à préserver la biodiversité. Ils sont conscients de l'interdépendance entre les humains et la nature», commente le chercheur.
La grande faune est de loin la catégorie qui intéresse le plus. «Les espèces menacées sont la figure de proue de la crise de biodiversité», indique M. Dupras.
«Le béluga et le caribou forestier sont des espèces emblématiques au Québec, étroitement liées aux traditions culturelles et économiques avec l’observation des baleines dans l’estuaire du Saint-Laurent, et aux valeurs traditionnelles autochtones, explique-t-il. Ça vient interpeller la population.»
Peu de propositions concrètes
Interrogés par le 24 heures, seuls Québec solidaire (QS) et le Parti conservateur du Québec (PCQ) parmi les cinq principaux partis ont précisé leur plan d’action pour protéger la biodiversité.
QS propose entre autres d’aménager des corridors fauniques en plus d’accorder au fleuve Saint-Laurent le statut de personnalité juridique. Le réseau de la SÉPAQ sera aussi élargi et les terrains urbains laissés vacants seront soumis à un droit d’expropriation lié à la création d’espaces verts.
Au PCQ, on répond que les moyens engagés pour préserver la biodiversité suivraient les recommandations de la science, «après un état des lieux complet». On mentionne toutefois que «l’être humain est au centre des préoccupations» du parti.
Un gouvernement libéral inscrirait quant à lui le droit à la préservation de l’environnement et de la diversité biologique dans la Charte des droits et libertés de la personne, en plus d’élaborer une Stratégie de protection des milieux naturels et de la biodiversité.
La CAQ, QS, le PQ et le PLQ promettent également de protéger 30% du territoire québécois d’ici 2030.
Le ministre sortant de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charrette, en avait fait l’annonce en juin dernier après avoir atteint son objectif de 17%. Les nouvelles aires protégées se trouvent majoritairement dans le sud de la province. La CAQ a également promis de créer trois parcs nationaux, en plus d’en agrandir cinq afin de bonifier le réseau d’aires protégées et les rendre accessibles au public.
Quant au Parti québécois, si le parti est porté au pouvoir le 3 octobre, on promet également de déposer dans les 100 jours un «plan pour sortir des herbicides» et de favoriser l’implantation de corridors écologiques.
Une occasion manquée
«Ce n’est pas suffisant», fait cependant valoir Jérôme Dupras. «On est dépendant de la biodiversité: ce qu’on mange, ce qu’on boit, ce qu’on respire. C’est comme si on laissait passer cette crise-là sans lever le petit doigt.»
La campagne électorale aurait été un bon moment pour aborder ce sujet de front, selon lui, surtout que Montréal accueillera la deuxième partie de la Conférence des Nations unies sur la biodiversité (COP15), en décembre.
«On en parle seulement de manière indirecte: limiter l’étalement urbain, protéger les milieux humides, accélérer la transition vers une agriculture biologique. Ce sont toutes des manières de protéger les écosystèmes», précise le professeur.
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Alors pourquoi les cinq principaux partis n’ont-ils pas saisi cette occasion?
«La question de la biodiversité est beaucoup plus complexe que de protéger du territoire. C’est un problème silencieux, mobile et invisible. C’est difficile de faire des propositions concrètes», souligne-t-il.
Le chercheur estime qu’il serait avisé de se servir de la notoriété des espèces emblématiques du Québec, comme le caribou forestier et le béluga, pour faire «un effet parapluie» sur l’ensemble de la biodiversité et de ses menaces, comme l’effondrement des populations d’insectes.