Plaqué contre un mur dans une arrestation musclée du SPVQ, il réclame 400 000 $
Pierre-Paul Biron | Journal de Québec
L’homme qui a été violemment plaqué tête première contre un mur durant une intervention musclée de la police de Québec l’an dernier met la Ville en demeure pour 400 000 $, lui qui est incapable de reprendre sa vie d’avant en raison des séquelles.
Mathieu Gamache l’admet sans détour, il n’est plus le même homme depuis le soir du 16 octobre 2021.
Il se trouvait ce soir-là avec des amis au resto-bar District Saint-Joseph. La faute qui aura fait basculer sa vie a été de ne pas porter de masque, alors que les règles sanitaires l’imposaient.
Interpellé par les policiers venus faire une ronde au district, le trentenaire croit que l’agent impliqué ne l’a pas entendu lorsqu’il lui a dit qu’il allait mettre son masque qui se trouvait un peu plus loin. C’est là que l’intervention a dégénéré.
Les images des caméras de surveillance montrent Mathieu Gamache être brutalement poussé contre un mur de l’établissement, sa tête encaissant le choc. «Tout ça parce que je dansais sans masque», laisse tomber l’homme, amer.
Existence bouleversée
C’est que ces quelques secondes ont bouleversé son existence, explique-t-il dans la mise en demeure que Le Journal a obtenue. Le choc lui a causé une commotion cérébrale sévère dont il n’a toujours pas complètement récupéré un an plus tard.
«J’ai beaucoup de difficulté avec mon énergie. Et j’ai encore des problèmes avec un œil», explique M. Gamache, qui doit constamment se battre pour faire reconnaître auprès du système le bordel dans lequel il est empêtré.
Il raconte aussi avoir développé une forte anxiété et un stress constant qui lui causent des crises de panique. «Je n’ai jamais eu ça avant puis là je me suis retrouvé couché en boule en pleurant à côté de mon panier au Walmart, à ne pas comprendre ce qui se passe», confie-t-il.
Ces problèmes lui ont finalement coûté son emploi de directeur des ventes dans une entreprise manufacturière. «Le téléphone sonnait et je n’étais plus capable de répondre. Je suis incapable de me concentrer sur rien», affirme le père de deux enfants.
Perte de confiance envers la police
Si aucun règlement n’intervient sous peu, Mathieu Gamache assure être prêt à aller de l’avant avec une poursuite au civil contre la Ville de Québec. Lui et sa conjointe, présente lors de l’altercation, réclament 396 000 $ en dommages à la Ville de Québec.
Le policier qui l’a poussé, l’agent Jacob Picard, est quant à lui visé par une réclamation de 30 000 $ «en raison des actes d’agression [...] d’une violence extrême et inquiétante».
«C’est le même policier qui est impliqué dans plusieurs vidéos qu’on a vues l’année passée. Mais combien de ces interventions violentes n’ont pas été filmées? C’est ça qui est triste, c’est ça qui doit changer», martèle l’homme, qui dit avoir perdu confiance en la police depuis.
«C’est fini. C’est rendu que je dis à mes enfants que s’il arrive quelque chose, il faut appeler les pompiers», image-t-il, la gorge serrée.
La Ville de Québec a refusé de commenter l’affaire. Le DPCP étudie toujours le dossier pour des accusations criminelles.
En plus des séquelles, il doit se battre contre le système
En plus de lutter au quotidien contre les séquelles qu’il garde de son arrestation violente, Mathieu Gamache doit se battre contre le système, auquel il reproche d’avoir de facto un biais en faveur de l’autorité.
«Personne ne me croit vraiment, personne ne croit qu’un policier peut faire ça», raconte l’homme.
Même le programme d’Indemnisation des victimes d’actes criminels.
«Je les comprends de ne pas vouloir prendre de décision parce que s’ils m’indemnisent, ils condamnent le policier. Mais moi pendant ce temps-là, j’attends», ajoute M. Gamache.
Même s’il n’a été accusé de rien en fin de compte, le système semble toujours douter de sa version, ajoute son avocat, Me François-David Bernier.
«Comme c’est une agression par un policier, il tombe entre deux chaises, il tombe aux oubliettes. Et ce, même s’il y a une vidéo accablante. [...] Il y a une frustration normale pour mon client de voir qu’on a laissé ça aller dans l’indifférence, que le policier impliqué a aujourd’hui son salaire, malgré le fait que tout a été capté par les caméras», précise le juriste.
De multiples papiers
M. Gamache peine à voir son dossier être reconnu par l’assurance-emploi, en plus de se battre avec ses propres assurances.
«On me demande sans cesse des papiers et comme je n’avais pas de médecin de famille, je dois aller dans des sans rendez-vous et raconter mon histoire à chaque nouveau médecin. Et chaque fois, ils ne croient pas vraiment que je puisse être la victime.»
Toutes ses économies
Sans revenu depuis plusieurs mois, il a aussi dû aller consulter au privé en neuropsychologie et en ostéopathie pour traiter ses blessures.
«Ça m’a coûté toutes mes économies. Ça m’a coûté 15 000 $ juste en soins en neuropsy», déplore-t-il, ajoutant que le tout a évidemment des impacts sur sa famille.
«Le policier a été réaffecté à des tâches administratives, mais il a son plein salaire. [...] Et pendant ce temps-là, moi, j’ai encore de la misère à faire des activités avec mes enfants parce que mes batteries se déchargent tout le temps», s’insurge Mathieu Gamache.
Quelques interventions de la police de Québec qui ont fait la manchette
16 octobre 2021
Intervention au District Saint-Joseph où les caméras de surveillance montrent le policier Jacob Picard poussant un client violemment contre un mur.
20 novembre 2021
Sur Grande Allée, le même policier apparaît dans une vidéo amateur où il crie à un individu « Veux-tu que je te gaze, mon ostie ? » avant de le projeter contre une autopatrouille.
26 novembre 2021
Un client du restaurant Portofino est roué de coups par des policiers de l’escouade GRIPP après être intervenu verbalement alors que les policiers s’adressaient à un de ses amis.
- Le policier Jacob Picard est impliqué dans ces trois affaires.
- Au total, cinq agents ont été suspendus en lien avec ces vidéos. Ils ont depuis réintégré leurs fonctions.
- Le BEI a ouvert une enquête sur l’intervention du 16 octobre à la demande de la ministre de la Sécurité publique. Des enquêtes indépendantes ont aussi été ouvertes pour certains des autres dossiers.
Extraits de la mise en demeure
« Lorsque l’agent Picard pose les deux mains sur son torse, notre client ne pose aucune geste de résistances et encore moins de gestes provocateurs, offensifs ou défensifs sur les policiers, ce qui démontre sans équivoque qu’il s’agissait d’une agression totalement gratuite. »
« Notre client supplie l’agent Jacob Picard d’arrêter son agression à son égard en lui répétant sans cesse qu’il ne comprend pas pourquoi on le traite ainsi, qu’il n’est pas un criminel, mais plutôt un père de famille. [...] Ce à quoi l’agent répond : “On s’en crisse de tes enfants”, tout en lui assenant des coups supplémentaires aux côtes et aux jambes. »
« Pire encore, alors que notre client présente plusieurs signes de blessures graves visibles [...] les agents ne proposent à aucun moment de se rendre à l’hôpital [...]. Les agents décident plutôt délibérément de faire fi de son état de santé et de le déposer, seul à sa résidence. »
« [L’agent Picard] a eu un comportement hautement violent, désinvolte et hautement inquiétant pour un policier en fonction de la Ville de Québec. »
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