Est-ce qu'on peut être dépendant à la nourriture épicée?
Sarah-Florence Benjamin
On connaît tous quelqu’un qui choisit immanquablement le plat le plus épicé sur le menu et qui submerge son assiette de sauce piquante. Est-ce dire que cette personne est accro à l’épicé? Peut-on vraiment parler de dépendance? On fait le point avec des experts.
D’abord, il faut savoir que l’attrait de la nourriture épicée se trouve, paradoxalement, dans le sentiment de brûlure qu’elle provoque. À l’origine de cette douleur, il y a la capsaïcine, un composant actif des piments.
Ce composé chimique se pose sur les récepteurs de douleurs des nerfs, ce qui fait croire au cerveau que notre bouche est en train de brûler et déclenche les réactions associées à la nourriture épicée: sueurs, nez qui coule, larmes.
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Pour contrer la douleur, notre cerveau va sécréter des endorphines, des hormones qui provoquent un sentiment de bien-être et même d’euphorie. C’est le genre de sensation qu’on veut répéter et qui nous pousse à remanger de la nourriture épicée, que l’on associe à ce sentiment bien-être.
Est-ce suffisant pour développer une dépendance à la capsaïcine?
Une question de préférences
«Si la dépendance à la nourriture épicée était un phénomène répandu, on trouverait des études sur le sujet», affirme d’emblée Angelo Tremblay, professeur de kinésiologie à l’Université Laval.
En menant plusieurs recherches avec la chercheuse Mayumi Yoshioka sur l’effet de la capsaïcine sur la satiété, il n’a jamais observé le phénomène. «Ce n’est pas complètement impossible, mais ce n’est pas connu», souligne-t-il.
Ce serait surtout une question de goût et d’habitudes.
«Si je vous sers un plat que vous trouvez délicieux, ce n’est probablement pas juste à cause des endorphines que vous avez envie d’en manger de nouveau», nuance-t-il.
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Plus on mange épicé, plus on devient tolérant à la sensation de brûlure causée par la capsaïcine. C’est que les récepteurs sur les nerfs deviennent de moins en moins sensibles à la suite d’une exposition répétée. Cette habituation permet de profiter du goût épicé qu’on aime au prix de moins de douleur.
L’habituation et des facteurs génétiques expliquent d’ailleurs que certaines personnes seront plus tolérantes au goût épicé. Comme toutes les autres préférences culinaires, c’est une question de culture.
«Il y a des gens qui amènent leur pot de sauce piquante au restaurant. Ce n’est pas parce qu’ils sont dépendants, mais parce qu’ils ont été habitués à quelque chose qui goûte plus fort», explique Jacob Amnon Suissa, professeur en travail social à l’UQAM spécialiste en dépendance.
La substance ne fait pas la dépendance
Mais attention: ce n’est pas parce qu’une activité nous fait sécréter des endorphines qu’elle est susceptible de provoquer la dépendance, poursuit Jacob Amnon Suissa.
«Si c’était comme ça que ça fonctionnait, on observerait beaucoup plus de gens dépendants à prendre des belles marches en nature», avance le professeur en travail social, qui ajoute qu’il ne suffit d’aimer une substance pour en devenir dépendant.
«Lorsqu’on consomme une substance ou qu’on fait une activité dans le but d’échapper à des émotions négatives, là, c’est plus une dépendance. L’activité va occuper une place très importante dans la vie et on peut avoir des symptômes de sevrage», précise-t-il.
Et elle est là, toute la différence: une personne qui aime mettre du piment dans tous ses plats ne mangerait pas pour autant de la sauce piquante à la cuillère sans être capable de s’arrêter même si ça fait mal.
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«Ce n’est pas la substance qui détermine la dépendance, mais plutôt le rapport social qu’on entretient avec la substance, explique Jacob Amnon Suissa. Dans le cas de la nourriture épicée, c’est un rapport convivial, on ne va pas s’isoler pour aller manger des piments comme on le ferait pour jouer à des jeux vidéo ou de hasard, par exemple.»
Rassurez-vous donc: tant que la nourriture épicée ne devient pas la seule source de plaisir dans la vie d’une personne qui met de la sauce piquante partout, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
Si le comportement d’un proche vous préoccupe, n’hésitez pas à faire appel à ces ressources:
▶ Drogue : 1 800 265‐2626
▶ Jeu : 1 800 461-0140
▶ Tel-Jeunes: 1 800 263-2266