Performance incroyable de Kevin Owens contre «Stone Cold»
Patric Laprade
Je me promène dans les rues du centre-ville de Dallas. J’ai besoin de digérer ce qui vient de se passer. En même temps, un million de souvenirs me reviennent en tête.
La première fois que j’ai entendu parler de Kevin Steen. Parce que pour plusieurs c’est Kevin Owens. Pour moi ça restera toujours Steen.
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La réponse? À la suite d’un match triple menace avec Max Boyer et Handsome JF en 2002.
Le premier match que j’ai vu de lui. À Saint-Jérôme, contre le neveu de Rick Martel, Keven.
La première et seule personne à qui j’ai demandé si Kevin Steen était son vrai nom! Amélie Marcoux.
La première fois qu’on a commencé à se parler plus souvent. À la suite de son premier match à Ring of Honor dans le New Jersey en 2005. C’était contre B-Boy, avec qui j’ai justement discuté ce week-end. Il se souvenait du match.
Je me souviens de tous les voyages en auto qu’on a faits. Des aller-retour Montréal-Philadelphie, Montréal-New York. Les anniversaires de ses enfants.
Bref. Je pourrais continuer ainsi et faire 2 000 mots sans même me forcer.
Je suis tellement perdu dans mes pensées que je ne réalise pas que je suis rendu à mon hôtel. Mais je n’ai pas le goût de rentrer tout de suite. La soirée est belle. Trop belle. Comme si je rêvais.
Je n’ai jamais caché mon amitié avec Kevin. Même quand j’ai commencé à commenter la lutte à TVA Sports. Je me souviens qu’au tout début, un internaute avait écrit que Kevin et moi on était amis, et un autre, incrédule, avait répondu sarcastiquement : « ben oui, pis j’imagine qu’il a son numéro de cellulaire aussi? » J’avais envoyé ça à Kevin et il m’avait répondu de lui envoyer une photo de nous deux à son mariage. Jamais je n’aurais fait ça!
Mais les gens le savent qu’on est amis. Dans les minutes qui ont suivi la fin du combat, j’ai reçu des textos d’Arda Ocal d’ESPN et de John Pollock de Post Wrestling. Ils savaient que c’était aussi spécial pour moi.
J’étais à Toronto quand il a gagné son titre de ROH. J’étais à Orlando pour son premier match contre Sami Zayn à NXT. J’étais à Dallas il y a six ans pour son
premier WrestleMania. Rien ne pouvait nous laisser présager ce qui était pour se passer une demi-douzaine d’années plus tard.
Ce soir, comment dire, ce n’était pas juste spécial. C’était impensable. Incroyable. Parfait.
Kevin a attendu toute sa carrière – que dis-je – toute sa vie pour ce moment. Il était prêt. Depuis longtemps. Et il est entré dans sa zone. Une zone qu’il contrôle parfaitement. Il a assuré au micro. Il a assuré dans le ring. Un sans faute. Son timing était impeccable. Il a vendu pour Austin, sans jamais lui voler la vedette. La star c’était Stone Cold et Kevin a travaillé en ce sens.
La lutte professionnelle c’est une danse. Tu es aussi bon que ton adversaire veut bien le laisser paraître. Et Austin avait un danseur professionnel avec lui ce soir. Le meilleur adversaire qu’il pouvait espérer pour son au revoir.
On a eu le moment où Kevin applique le Stunner à Austin pour un compte de deux. Puis, question de garder fort celui qui va demeurer une vedette pour la compagnie pour des années à venir, une fin jouée à la perfection. Une fluidité que peu de lutteurs ou lutteuses ont.
Je me souviens encore de la première fois où j’ai pleinement réalisé que Kevin était un talent spécial. Un match contre Samoa Joe à Montréal. Tout ce qu’il faisait semblait sans effort. Comme marcher ou courir pour nous, simples païens.
Presque 20 ans plus tard, c’est toujours avec la même aisance que Kevin a affronté Austin et l’a fait paraître comme le « Stone Cold » du bon vieux temps.
J’avais le goût de pleurer à la fin du match. Je n’ai pas été capable. Mais une heure après, assis dans un parc, un doux vent, de la musique dans les oreilles, j’ai les yeux mouillés, je l’admets.
Yeux humides de fierté. C’est le gars que tout le monde remettait en doute. Il n’avait pas le physique. Il n’avait pas le look. Il n’avait pas la grandeur. Il ne sera jamais engagé par la WWE. Je les ai toutes entendues. Kevin aussi.
J’étais à ses côtés quand il est retourné à ROH en février 2007. Il m’avait dit que si ça ne fonctionnait pas cette fois-ci, il penserait à faire autre chose. Des bas, il en a eu. En 2019, j’étais à New York pour WrestleMania. Kevin n’était pas sur la carte. On s’est parlé. C’était un dur coup pour lui. Il revenait d’une opération. WrestleMania c’est le show où tout le monde veut être, blessé ou pas. Mais il a toujours su persévérer. Une de ses grandes qualités d’ailleurs.
Puis la pandémie est arrivée. Son premier vrai moment de WrestleMania, sauter en bas du logo de la WWE, il l’a connu sans spectateurs. L’an dernier, contre son ami de toujours Sami Zayn, c’était alors le moment le plus spécial de sa carrière.
Sami.
Comment ne pas en parler? Les voyages avec Kevin, il était là lui aussi. Une partie intégrante de leur carrière respective.
J’étais dans un Uber en sortant du stade AT&T et j’ai texté Sami. Fallait que je parle à quelqu’un qui comprenait ce qui se passait dans ma tête. J’avais vu son Tweet: « tellement FN fier! » J’avais le même sentiment. On s’est échangé quelques textos. On est à la même place. On ne réalise juste pas ce qui vient de se produire.
Je continue d’écrire et je vois passer les « likes » des gens sur mes publications et histoires sur Facebook, Twitter et Instagram.
La planète lutte ne parle que de ça. Tout le monde en ce moment a du respect pour Kevin Owens.
Au Québec, c’est rendu autre chose. Vendredi, alors que je faisais une tribune téléphonique, les gens appelaient pour partager leur moment Kevin Owens. Ils l’avaient vu à la IWS, à la ROH, à NXT, à la WWE. Je n’en croyais pas mes oreilles!
L’an dernier, lui et Sami devenaient les deux premiers Québécois à s’affronter à WrestleMania depuis 1989. Cette année, Kevin est le premier Québécois à faire la finale de WrestleMania depuis 2004. Le deuxième à vie. Vous aimez le cinéma? C’est un premier rôle d’une grosse production hollywoodienne. Vous aimez la danse? Il vient de remporter la saison toute étoile de Dancing with the Stars. Vous aimez le hockey? Il vient de gagner la coupe Stanley.
Kevin Owens est au sommet de son art aujourd’hui. Je ne sais pas combien de temps ça va durer. C’est un monde qui change vite et qui peut être cruel. Mais aujourd’hui, le 3 avril 2022, il est le roi de la montagne.
Je n’ai pas encore pu lui parler. C’est normal. Après 14 minutes de combat, plus qu’on aurait pu souhaiter, lui et Austin ont parlé du match après coup. Vince est venu les voir. Je ne serais pas surpris que Kevin ait reçu une ovation en retournant en arrière-scène et qu’il a sûrement éclaté en sanglots. C’est correct. Il a mérité ce droit. Chaque larme.
Ses parents étaient aussi présents. J’ai pris une bière avec son père Terry 30 minutes avant son match. Je pense qu’il était plus nerveux que son gars. Ses yeux pétillaient. Kevin va parler à sa famille. Mon tour va venir.
Mais en attendant, cette tribune me permet de lui dire à quel point je suis fier. Fier de son parcours. Fier qu’il soit resté le même gars à travers toutes ces années. Les millions ne l’ont pas changé. Ne le changeront jamais.
Kevin c’est un vrai comme il ne s’en fait plus.
Ce soir, il a perdu son combat. Il a gagné tout le reste.
Je vais être honnête avec vous. Je n’ai pas le goût de parler des autres combats.
Je pourrais vous dire que j’ai adoré le combat entre Becky Lynch et Bianca Belair et celui entre Cody Rhodes et Seth Rollins. Je pourrais vous dire que le retour de Cody était fou! Que je ne comprends pas qu’on ait gardé le titre sur Charlotte Flair et que son match avec Ronda Rousey m’a déçu. Que de commencer avec l’événement avec le thème de Shinsuke Nakamura était une excellente idée. Ou bien que Logan Paul a fait un travail remarquable dans l’arène.
Mais je n’arriverais pas à leur faire justice. Pas aujourd’hui. Pas maintenant. Kevin Raphael et moi, on se fait un Anti-Pods de la Lutte sur la route demain. C’est là que ça va mieux couler. Même mes prédictions pour ce soir. Je les ferai sur Twitter plus tard aujourd’hui.
Je vais aussi attendre à demain pour vous parler de la Québécoise LuFisto qui a elle aussi fait les frais d’une finale ce week-end, et pour revenir sur Mike Bailey, qui a finalement lutté neuf fois en trois jours. Je reviendrai aussi sur NXT. Mais pas aujourd’hui. S’il y a un moment où Kevin mérite toute la place, c’est maintenant. Je vais la lui laisser.
Peut-être est-ce un texte trop personnel, certains diront? J’aurais peut-être dû m’en tenir aux faits?
En même temps, je pense que Kevin mérite ce genre de texte, que peu de personnes peuvent lui livrer.
Ce que Kevin a accompli ce soir, peu de Québécois dans le monde du sport et du divertissement ont réussi à le faire. La WWE c’est international. Au Japon, en Australie, en France, au Brésil, on a été témoins de ce fait d’armes.
C’est Jacques Villeneuve. C’est Georges St-Pierre. Changeons de registre. C’est Denis Villeneuve. Et je ne veux pas faire de mauvaises comparaisons. Mais vous comprenez ce que je veux dire. Je le sais que vous le comprenez.
CM Punk a écrit qu’il était content pour Kev. Ariel Helwani, un Montréalais et le meilleur journaliste à couvrir les arts martiaux mixtes, a écrit que c’était très cool qu’un gars de Marieville ait pu réussir un tel exploit.
Faites comme eux et laissez savoir à quel point on est contents qu’un Québécois de la classe de Kevin Owens nous représente.
Il est presque deux heures du matin au moment d’écrire ces dernières lignes et je suis au bar de l’hôtel. J’avais besoin de décanter un peu. Deux gars discutent de WrestleMania. Un connaît ça plus que l’autre. Ils parlent du match. Le gars qui s’y connaît explique à l’autre qui est Kevin Owens. Il mentionne Ring of Honor, il dit que Kevin a travaillé fort pour se rendre là, mais qu’il est toujours resté humble.
Je souris et je me dis que dans plusieurs bars, dans plusieurs pays, des gens ont la même discussion.
Je peux aller me coucher. J’ai maintenant confiance que la bonne parole sera prêchée. Je vous fais confiance. Tout comme Steve Austin et Vince McMahon ont fait confiance à Kevin pour le dernier combat de la carrière d’Austin.
Et personne ne le regrette.
Bravo Kev!