Pendre Mike Pence? Compréhensible...
Luc Laliberté
Depuis que je nourris ce blogue, je reçois régulièrement des courriels ou des commentaires sur les réseaux sociaux. Généralement, j’accueille l’ensemble de ces remarques avec modestie. Malgré l’expérience et les connaissances, jamais je ne ferme la porte à une discussion saine et encore moins à des nuances ou à des analyses fines qui me forcent à me remettre en question.
Depuis le départ, j’ai cependant tracé quelques lignes au-delà desquelles je ne discute plus. D’abord, le respect le plus élémentaire. Quand on m’insulte ou me menace, vous comprendrez que je m’empresse d’ignorer ou de bloquer des interlocuteurs qui se cachent souvent derrière un pseudonyme pour s’en prendre à quelqu’un qu’ils ne connaissent qu’à partir d’un texte de 500 à 800 mots.
Mon autre limite consiste à ne commenter la politique américaine qu’en fonction du système en place et du respect de la Constitution ou des institutions démocratiques. Qu’on apprécie ensuite une vision républicaine ou une vision démocrate m’importe peu.
Ce qui me trouble profondément depuis quelques années, c’est que la protection de la démocratie est de moins en moins importante pour un nombre croissant d’Américains. Les États-Unis n’ont pas le monopole de cette tendance favorable à une forme d’autoritarisme et ce n’est pas Donald Trump qui l’a fait naître chez nos voisins.
Reconnaissons cependant que le 45e président a dédouané la parole des sympathisants d’une extrême droite qui était plus discrète avant son arrivée sur la scène politique. Trump a su exploiter ce filon mieux que les autres, au point où il fait maintenant figure de gourou.
C’est cette propension à exploiter la colère et même la violence qui explique j’aie dénoncé les comportements du président américain aussi régulièrement depuis quatre ans. Après s’être entouré de gens fourbes contre lesquels les tribunaux ont sévi à un nombre record d’occasions, il n’a jamais cessé de discréditer le système qui lui a malgré tout ouvert les portes de la Maison-Blanche.
Si j’ai renoncé depuis un bon moment à convaincre les trumpistes québécois du danger que représentent Trump et ses semblables pour la démocratie américaine, je m’en voudrais, pour ceux et celles qui hésitent encore, de ne pas relever à quel point ce qu’ils font est anormal. Sa plus récente déclaration controversée ne devrait pas être ignorée ou passer sous le radar.
Cette déclaration émane du plus récent bouquin de Jonathan Karl, correspondant d’ABC à la Maison-Blanche, sur la fin de la présidence Trump. Karl a confié à un journaliste du site Axios que le président ne s’inquiétait pas le moindrement du sort de son vice-président lors de l’assaut sur le Capitole, le 6 janvier dernier.
Le 45e président a confié à Karl qu’il jugeait la protection du vice-président suffisante. Relancé par le journaliste sur ce que scandaient les assaillants – qu’il fallait pendre Mike Pence –, le président, enregistré pour l’occasion, répond qu’il faut plutôt chercher à comprendre la frustration de ses partisans. Après tout, dit-il, Mike Pence a refusé d’invalider les résultats d’une élection frauduleuse.
When I interviewed Trump for "Betrayal" and asked him about his supporters chanting "Hang Mike Pence", he didn't condemn them, he defended them. Here's a clip from the interview. More audio from the genuinely shocking interview will air Sunday on @ThisWeekABC pic.twitter.com/MlnhTgw8Cu
— Jonathan Karl (@jonkarl) November 12, 2021
Deux choses ressortent distinctement de la réponse de Donald Trump. Dans un premier temps, il répète un mensonge éhonté qu’aucune preuve ne vient appuyer. Dix mois après son départ de la présidence, il propage encore ce qu’on appelle «the great lie», le grand mensonge. Cette élection lui a été volée et le système est corrompu.
Je peux bien déplorer le fait que les partisans de Trump vivent dans un univers parallèle et que Trump mente comme il respire, tant que les républicains le laissent faire et qu’on met à profit le vote de ses électeurs, ça donne froid dans le dos. On parle ici d’une des deux ou trois grandes puissances mondiales et de notre premier partenaire économique.
Outre ce mensonge auquel on semble s’habituer, une grave erreur, Trump semble indifférent devant la violence des assaillants du 6 janvier et les risques réels encourus par les représentants des forces de l’ordre et les élus présents ce jour-là.
Trump a la bêtise ou le culot d’ajouter que cette colère est acceptable, que c’est même le gros bon sens. Après tout, si l’élection – et tous les tribunaux qui ont rejeté ses allégations fantasques et stupides – est biaisée dès le départ, quels autres choix s’offraient aux émeutiers?
Quelques voix s’élèvent depuis peu pour offrir un contrepoids au caractère déjanté du trumpisme. Certaines de ces voix sont celles de républicains dégoûtés qui préfèrent quitter l’arène politique plutôt que de se faire complices d’un détournement, mais d’autres proviennent d’individus qui envisagent de se présenter contre Trump si celui-ci dépose sa candidature aux primaires républicaines de 2024.
L’une de ces voix est celle de Mike Pence. Plus discret, souvent terne, Pence n’a jamais caché ses intentions. S’il est demeuré loyal à son président au-delà du raisonnable, il a su retirer ses billes après les demandes répétées de son patron de s’opposer aux résultats de l’élection. Pence a forcé le jeu jusqu’à la limite de ce qui lui semblait tolérable. L’idée de renverser la démocratie lui aura forcé la main et, fort heureusement, il a largué son ancien patron.
L’autre voix s’est manifestée plus récemment, celle de Chris Christie. L’ancien gouverneur du New Jersey vient de lancer son gant au sol, espérant que Trump relèverait éventuellement le défi. Lui-même complice, puis victime de l’ancien président, Christie n’en est pas à une contradiction près. Il semble enclin à jouer le jeu de la guerre des ego dont est si friand le propriétaire de Mar-a-Lago.
Qu’on puisse envisager une opposition à Donald Trump est souhaitable, mais ni Pence ni Christie ne constituent des menaces bien sérieuses. Pence ne jouit pas d’appuis très solides hors du cercle des républicains de la droite évangélique et il ne pèche assurément pas par excès de charisme. Quant à Chris Christie, il a quitté ses fonctions de gouverneur du New Jersey avec un taux d’approbation de 9%, avant d’échouer dramatiquement face à Trump lors des primaires de 2016.
En attendant des rivaux sérieux qui pourraient ramener un peu de bon sens chez les républicains, il faut continuer à relever à quel point Trump et ses fidèles sont dangereux et, surtout, ne jamais s’habituer à la violence des discours ou des moyens. Du moins, pas si on croit encore à la démocratie.