Payez-moi en-dessous de la table!
Pierre-Olivier Zappa | TVA Nouvelles
«Je suis prêt à travailler, mais à la condition que vous me payiez en dessous de la table.»
C’est le genre de discours qu’entendent de plus en plus d’employeurs au Québec ces derniers mois. Les patrons, qui cherchent désespérément des travailleurs, n’ont souvent pas d’autre choix que de céder aux exigences d’un candidat qui demande d’être payé cash.
Je n’ai jamais autant entendu parler de travail au noir en discutant avec des entrepreneurs. La plupart m’en parlent à micro fermé. Peut-être parce qu’ils craignent des représailles, et qu’ils savent qu’ils ont perdu le plus gros bout du bâton avec la pénurie de main-d’œuvre qui s’aggrave au Québec.
Témoignages
«La majorité des candidats me demandent d’être payés au noir», m’a affirmé le propriétaire d’une entreprise de transport de Montréal. «Je refuse systématiquement, parce que j’ai reçu beaucoup d’aide du gouvernement pour lancer mon entreprise. Je ne vais pas l’arnaquer en retour.»
J’ai recueilli un autre témoignage en réglant ma facture dans un petit resto du centre-ville cette semaine. J’ai demandé à la propriétaire si elle manquait d’employés. «Deux de mes serveuses et un de mes cuisiniers sont payés en argent comptant. Je n’ai pas le choix, sinon je dois fermer», a-t-elle admis, un peu gênée.
«Je les paye moitié-moitié, m’a confié un entrepreneur en construction des Laurentides. Sinon, je ne trouve personne pour réaliser des couvertures de toit.»
Certains n’ont pas d’autre choix que de résister à la tentation. «Chez nous, personne ne travaille en dessous de la table... mais mon concurrent au coin de la rue, c’est certain qu’il accepte de le faire, m’a expliqué la semaine dernière le PDG d’une multinationale cotée en Bourse. Le fait d’être une entreprise publique, on ne peut pas se permettre ça.»
Ces quatre histoires que j’ai entendues cette semaine peuvent paraître anecdotiques, mais elles s’ajoutent à plusieurs autres témoignages recueillis ces dernières semaines.
Contexte
La pandémie semble avoir généré un terreau très fertile pour le travail au noir. À la pénurie de main-d’œuvre, ajoutez de généreux programmes d’aide pour les chômeurs...
Pour certaines PME, la rémunération en argent comptant est devenue une question de survie, tout simplement.
Il n’existe aucune statistique récente sur le nombre de travailleurs qui ne déclarent pas leurs revenus au fisc. Le phénomène demeure difficile à quantifier. Les plus récentes statistiques datent de 2016. À l’époque, le travail au noir coûtait au Québec plus de 10 milliards $, selon les estimations publiées par Statistique Canada. Au Canada tout entier, on évoquait même un montant de 42 milliards $.
Illégal
J’ai récemment reçu un courriel de la gérante d’un magasin d’articles à bas prix, à Sorel. Elle m’expliquait avoir reçu deux curriculum vitæ de candidats qui habitent la Côte-Nord et les Laurentides. Alors, pourquoi vouloir travailler à des centaines de kilomètres de chez soi?
La propriétaire a tenté de contacter les candidats, sans succès. Son hypothèse: ces candidats reçoivent une prestation de chômage ou une prestation canadienne de la relance économique (PCRE). Ils enverraient des CV à des kilomètres de leur lieu de résidence pour prouver à l’Agence du revenu du Canada qu’ils sont à la recherche d’un emploi, et ce, dans le but de continuer de recevoir leur prestation.
Cette gérante travaille seule au magasin les vendredis. Elle enchaîne 12 heures consécutives de travail. «Parfois, je ne me sens pas en sécurité, mais je n’ai pas le choix.»
Pendant ce temps, il y a toujours 781 250 Canadiens qui reçoivent un chèque de PCRE chaque semaine. Bien entendu, la plupart ne sont pas des profiteurs du système. Mais on en vient tout de même à se demander: est-ce que l’Agence du revenu fait ses recherches? Prend-elle la pleine mesure du phénomène?