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Familles et amitiés déchirées par la pandémie: pas facile de parler avec un proche complotiste

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Photo portrait de Jean-Michel  Clermont-Goulet

Jean-Michel Clermont-Goulet

2022-02-03T15:16:53Z
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Le gouvernement de François Legault a fait marche arrière sur l’instauration d’une «contribution santé» au nom de «la paix sociale». Reste que le Québec est divisé comme jamais et que le dialogue est plus que nécessaire. Mais comment aborder un proche qui adhère à des théories farfelues?

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«Mettons un peu d’eau dans notre vin, essayons de [nous] parler et essayons de rassembler les Québécois pour être capables, éventuellement, de tourner la page», demandait mardi le premier ministre Legault, en conférence de presse.

Le dialogue, c’est justement la voie qu’Andréanne Talbot a tenté d’utiliser pour amener son père et sa belle-mère à sortir de la sphère complotiste. Depuis l’été dernier, toutefois, les liens sont rompus. 

«J’ai essayé plusieurs fois de voir mon père, de changer de sujet, de parler d’autre chose, mais il ramenait tout à la pandémie. Mon père et ma belle-mère disent qu’ils font ça par amour de leurs enfants et qu’ils vont se battre au front pour empêcher le gouvernement de prendre le contrôle», nous raconte, au bout du fil, la femme de 29 ans. 

Andréanne Talbot a coupé les ponts avec son père et sa belle-mère, qui sont tombés dans les théories du complot dès le début de la pandémie.
Andréanne Talbot a coupé les ponts avec son père et sa belle-mère, qui sont tombés dans les théories du complot dès le début de la pandémie. Photo Courtoisie

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En avril 2020, les quatre enfants de cette famille recomposée ont tenté de faire une intervention auprès de leurs parents, mais en vain. Peu de temps après, la famille a explosé et les parents se sont radicalisés plus que jamais. Le père a d’ailleurs rejoint le groupe anti-mesures sanitaires Les Farfadaas.

«C’est eux qui nous ont coupés de leur vie lorsqu’on s’est fait vacciner, et leur message était quand même très clair. Ils ont tenté de nous recontacter, mais c’est là qu’on leur a dit: “Non, on ne veut rien savoir”», se rappelle la Montréalaise.

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Elle concède qu’il n’a pas été facile de couper les ponts avec son paternel, «mais c’est tellement difficile d’essayer de garder un lien sain avec eux. C’est moins difficile de devoir faire le deuil de la relation».

«Dans leur tête à eux, c’est nous qui ne voulons pas reprendre contact», dit-elle, ajoutant qu’elle ne compte pas rétablir les ponts avec sa belle-mère. Pour son père, «s’il est capable de parler d’autre chose, peut-être, éventuellement. Mais ce n’est pas près d’arriver».

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Parler avec un complotiste  

Certains pensent peut-être qu’ils peuvent raisonner un proche complotiste en trois minutes et faire en sorte que cette personne ne croie plus aux théories du complot du jour au lendemain. C’est plus complexe que ça, souligne Martin Geoffroy, fondateur et directeur du Centre d’expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation (CEFIR).

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Le sociologue rappelle qu’il n’y a pas de «recette magique» pour aborder un proche radicalisé. Toutefois, il suggère d’y aller avec le questionnement socratique, technique, qui consiste à dialoguer avec une personne en la laissant exprimer ses idées, quelles qu’elles soient, mais en contestant son argumentaire pour qu’elle les raffine.

«Si le complotiste est très investi dans son affaire, ça peut prendre des années avant qu’il ne réussisse à s’en sortir, confirme M. Geoffroy. Ce n’est pas vous et moi qui réussirons à le faire, mais une combinaison de rencontres, de thérapies et de cheminement personnel.» 

La limite à ne pas franchir  

Témoin de la radicalisation de sa meilleure amie au fil de la pandémie, Mélodie ne sait plus trop si mettre fin à la relation avec celle qu’elle considère comme une sœur est la voie à emprunter.

La jeune Montréalaise confirme qu’elle n’a pas ressenti de fermeture d’esprit de la part de sa complice des dernières années lorsqu'elle a tenté de parler avec elle de sujets clivants liés à la pandémie.

«Il n’y avait pas d’animosité, mais plutôt un calme assez “freakant”, lance-t-elle. Ça m’a vraiment fait peur quand j’ai réalisé qu’elle était vraiment habitée par ses convictions.»

Mélodie ne sait pas si son amie a participé au «convoi de la liberté» du week-end dernier à Ottawa. 

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Photo Agence QMI, Maxime Deland
Photo Agence QMI, Maxime Deland

Une chose est sûre, si elle y a participé, ça pourrait remettre «bien des choses en question». Pour l’instant, son amie est toujours dans son réseau, car «l’amour de la personne pèse dans la balance». 


Voici cinq conseils du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) pour engager un dialogue avec une personne adhérant à une ou des théories du complot:

Éviter de marginaliser la personne  

Le CPRMV suggère de ne pas miser sur la confrontation, mais plutôt sur l’écoute et l’empathie, en plus de bien faire la distinction entre la personne et la théorie à laquelle elle adhère. 

S’intéresser aux besoins de la personne  

Bien que la théorie soit farfelue, la personne doit tout de même être prise au sérieux. Il faut comprendre le ressenti et les besoins auxquels elle répond en croyant adhérant à une ou des théories, mais aussi valoriser les autres intérêts de la personne et la recentrer vers les éléments sur lesquels elle a du contrôle.

Ouvrir le dialogue  

Le CPRMV rappelle qu'en ouvrant le dialogue, il faut savoir reconnaître ses propres limites et instaurer des balises de manière respectueuse, surtout si l'on s'adresse à un proche.

Les faits et les sources  

Les sources présentées par le complotiste sont-elles vraiment fiables? Discutez de la rigueur de celles-ci et proposez de nouvelles sources de confiance, en tentant de semer le doute plutôt que de convaincre.

Favoriser la nuance  

En acceptant le point de vue de l’autre, tentez de montrer les incohérences factuelles de ses propos et rappelez-lui qu’il ou elle peut, oui, douter et remettre en question certaines choses sans tomber dans le complotisme.

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