Où s’en va la guerre en Ukraine, six mois après le début des combats? On vous explique.
Gabriel Ouimet
Des contre-attaques ukrainiennes, une armée russe essoufflée, des sanctions économiques aux effets tardifs et une impasse diplomatique: six mois après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, tous les ingrédients sont réunis pour une guerre d’usure qui s’annonce «interminable», estiment des experts.
• À lire aussi: Les milliers de mines russes posées en Ukraine tueront des civils pendant des décennies
Le 24 février dernier, Vladimir Poutine envoyait des dizaines de milliers de soldats en Ukraine, déclenchant une guerre d’une ampleur inégalée depuis la Deuxième Guerre mondiale. Une invasion qui a jusqu’à présent coûté la vie à plus de 5500 civils ukrainiens et fait plus de 14 millions de déplacés, selon l’ONU.
Alors que l’armée ukrainienne estime avoir perdu plus de 9000 soldats au combat, la Russie aurait quant à elle «probablement perdu entre 70 000 et 80 000 soldats», nombre qui inclurait les morts et les blessés, selon les derniers chiffres livrés par le Pentagone. Moscou aurait également vu une grande partie de ses ressources matérielles détruite, dont des milliers de chars d’assaut et de l’équipement lourd en tout genre, selon plusieurs sources occidentales.
Résultat: après six mois de combat, l’Ukraine est toujours debout et la Russie peine à faire des gains.
Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et professeur titulaire de science politique à l’UQAM, et Éric Ouellet, professeur spécialisé en commandement militaire stratégique et en prise de décision au Collège des Forces canadiennes, nous aident à mieux comprendre où en est la guerre et, surtout, où elle s’en va.
Les combats entrent dans une nouvelle phase
Les premiers mois de la guerre ont surtout été marqués par les attaques russes. Mais le vent pourrait être en train de tourner, puisqu’au front, les combats se sont presque immobilisés.
«L’armée russe manque d’énergie et, parallèlement, l’Ukraine semble vouloir prendre l’initiative des combats. Elle prépare des attaques dans certaines villes stratégiques contrôlées par la Russie, notamment à Kherson, dans le sud de pays, et même plus modestement à Kharkiv, au nord. Si elle réussit à prendre ces villes, elle pourrait faire des avancées modestes, mais intéressantes dans les territoires contrôlés par la Russie», analyse Éric Ouellet.
Ces attaques, ainsi que celles menées par les forces ukrainiennes en Crimée dans les dernières semaines, pourraient venir «brouiller les cartes» de la Russie et la forcer à redéfinir ses objectifs, estime Charles-Philippe David.
«Vladimir Poutine voit bien que son objectif initial, qui était de prendre un maximum de territoire, est inatteignable, voire suicidaire. Il risque donc de chercher à solidifier ses acquis plutôt qu’à avancer rapidement», analyse-t-il.
Un contexte qui n’empêchera pas des attaques ciblées de part et d’autre, mais qui indique qu’aucune des deux armées n’a actuellement la capacité de faire des avancées importantes.
Les armes occidentales sont une question de survie pour l’Ukraine
Le sort de l’Ukraine dépendra aussi fortement de la volonté politique occidentale, soulignent les experts.
«Il n’y a pas de doute que Kyïv a été capable de tenir tête à Moscou en bonne partie grâce à l’aide militaire de ses alliés. L’Ukraine va donc pouvoir se défendre tant et aussi longtemps qu’elle va continuer à recevoir cette aide, mais c’est sa vulnérabilité», indique Éric Ouellet.
• À lire aussi: Les armes envoyées en Ukraine pourraient se retrouver entre les mains de terroristes
Cet appui pourrait toutefois s’effriter si la situation au front stagnait trop longtemps, estime le professeur de science politique à l’UQAM, Charles-Philippe David.
«L’Ukraine est encore l’enjeu numéro un pour ses alliés, mais ça pourrait changer. Quand les conflits traînent en longueur et sont immobilisés, ils commencent à sombrer dans l’oubli. C’est toujours comme cela», souligne-t-il.
La Russie semble justement vouloir miser sur un gel des combats, croit Éric Ouellet.
«La Russie envoie ses meilleures troupes là où l’Ukraine semble vouloir avancer et les remplace par de moins bonnes troupes là où elle ne se sent pas menacée. Ils n’auront donc pas la capacité d’avancer et ils le savent. Je crois que ça démontre qu'ils se préparent à geler les combats dans l’espoir que l’Ukraine concède éventuellement des territoires.»
Cette semaine, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a d’ailleurs martelé que le président russe Vladimir Poutine cherchait à négocier avec l’Ukraine dans le but de geler le front et reprendre des forces.
Les sanctions économiques nuisent à l’armée russe
Étirer le conflit ne serait toutefois pas nécessairement à l’avantage de Moscou. Même si les effets des sanctions économiques adoptées contre elle tardent à l’ébranler, elles causent déjà des maux de tête à ses troupes, souligne le professeur du Collège militaire, Éric Ouellet.
• À lire aussi: Moscou aurait perdu plus du quart de ses tanks en Ukraine
«La difficulté d’importer des pièces électroniques nuit à la production d’armes, notamment de blindés, de véhicules lourds et des missiles guidés. C’est un problème, parce que la Russie en a perdu énormément depuis le début du conflit», indique-t-il.
Éric Ouellet précise toutefois que si l’objectif de Moscou est bel et bien de geler les combats, son armée pourrait y arriver avec des armes de moindre qualité.
Charles-Philippe David n’en démord toutefois pas: les sanctions finiront par faire mal à l’économie russe.
«Le rouble ne s’est pas effondré et il ne le fera peut-être jamais. Cependant, je crois que les sanctions sur les exportations de ressources naturelles, surtout le gaz, finiront par faire mal. Il n’y a pas de front uni pour l’instant, parce que certains pays européens, notamment l’Allemagne, ont besoin de ces ressources à court terme. Mais à long terme, je crois qu’il y a une réelle volonté de fermer le robinet. Reste à voir si le soutien économique de pays comme la Chine et l’Inde suffira à la Russie.»
Les risques d’escalade planent toujours
Puisque la fin du conflit semble toujours très loin, les risques d’escalade dans les prochains mois sont toujours bien présents.
Et qu’en est-il de la menace nucléaire, que la Russie brandissait en début de conflit? Elle serait désormais faible, indique le professeur au Collège des Forces canadiennes, Éric Ouellet.
«Le recours à l’arme nucléaire changerait grandement la nature de la guerre, ce serait comme une invitation aux Occidentaux, et c’est la dernière chose dont la Russie a besoin en ce moment», indique-t-il.
L’inquiétude principale concerne la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande d’Europe. L’armée russe, qui contrôle la centrale depuis des mois, s’en sert afin de lancer des attaques contre les forces ukrainiennes à proximité, faisant craindre un accident nucléaire, note Charles Philippe-David. Pour cette raison, il estime que «le risque nucléaire reste élevé».
«On n’est pas au bout de nos surprises», conclut Charles-Philippe David.