Des milliards $ aux pollueurs pour lutter contre les changements climatiques
Raphaël Pirro
À défaut de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre (GES) à la source en mettant des bâtons dans les roues des pétrolières, Ottawa se tourne vers une solution technologique controversée: le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC).
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Les entreprises de ce secteur émergent recevront un important coup de pouce, alors que le gouvernement Trudeau s’engage à créer des crédits d’impôt allant de 60% à 37,5% pour les investissements.
Le budget prévoit que ces crédits d’impôt restent en vigueur à l’horizon de 2030, après quoi ils seront réduits de moitié «en vue d’inciter l’industrie à abaisser rapidement ses émissions».
Ottawa estime que ces investissements coûteront 2,3 G$ au trésor public au cours des cinq prochaines années, avant de grimper à 1,5 G$ par année à partir de 2026-2027.
«En permettant de réduire l’empreinte carbone des producteurs d’énergie traditionnels du Canada, le crédit vise à garantir que ces producteurs constituent une source stable d’énergie plus propre tant au pays qu’à l’étranger», explique-t-on dans le document budgétaire.
Il faut souligner que cette enveloppe ne fait pas partie du plan de lutte contre les changements climatiques de 9 G$ annoncé la semaine dernière. Ce plan était largement axé sur la modernisation des logements et des transports, notamment à travers l’installation de bornes de recharges pour les véhicules électriques dans les villes.
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Dans le budget de 2021, le gouvernement avait déjà fait connaître son intention d’investir dans le secteur des technologies de captage, en injectant plus de 300 M$ échelonné sur sept ans. Le nouveau budget vient décupler les sommes promises à l’époque.
Dénoncé par les groupes environnementaux
Des groupes environnementaux ont dénoncé cet investissement qu'ils perçoivent comme une subvention de plus pour les grands pollueurs.
Dans un communiqué de presse, l'organisme Équiterre a qualifié le CUSC de technologie embryonnaire «que le lobby des hydrocarbures instrumentalise pour continuer à produire le plus longtemps possible.»
Des scientifiques s'étaient aussi opposés à cet investissement en janvier dernier.
«Nous vous urgeons de ne pas introduire ce crédit d'impôt parce qu'il constituera une nouvelle subvention substantielle aux combustibles fossiles», avait écrit un groupe de plus de 400 scientifiques, universitaires et modélisateurs de système énergétiques dans une lettre adressée au gouvernement Trudeau.
«Tout comme elle nuira aux efforts du gouvernement pour atteindre la carboneutralité en 2050, l'introduction de ce nouveau crédit d'impôt contredirait la promesse faite par votre gouvernement aux Canadiens pendant la période électorale d'éliminer les subventions aux combustibles fossiles à compter de 2023», peut-on lire.
La semaine dernière, une étude de l'organisme Environmental Defense a révélé que les gouvernements du Canada auraient dépensé 6 G$ en subventions pour le CUSC depuis 2000 qui n'auraient abouti qu'à un taux de capture de 4 millions de tonnes de carbone par année (0,05% des émissions du Canada).
En 2019, le Canada a émis 730 millions de tonnes de carbone.
- Avec Élizabeth Ménard