1000$ pour une PS5: on a jasé avec les revendeurs de Kijiji et Marketplace
Raphaël Lavoie
Qui sont celles et ceux qui achètent des PlayStation 5 pour les revendre à fort prix? Avouons-le, on ne connaît pas grand-chose de ces fameux revendeurs, qui sont aussi présents sur Kijiji et Facebook Marketplace qu’ils sont vilipendés sur le Web.
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Alors que plusieurs les accusent de faire dérailler la chaîne d’approvisionnement déjà amochée par les pénuries de la PS5, seraient-ils plutôt seulement des entrepreneurs qui ont flairé la bonne affaire?
Après avoir passé plus de 160 appels et fait six heures de route pour dénicher une seule PS5, on a voulu donner la parole à ces revendeurs, pour qui mettre la main sur plusieurs consoles à la fois semble tellement facile.
C'était l’occasion parfaite de discuter de la rareté de la nouvelle PlayStation, mais aussi de tenter de comprendre ce qui les pousse à s’adonner à ce type de commerce si vertement critiqué par les joueurs.
«Si ces gens se donnaient la peine, ils auraient déjà leur console»
«Je crois que c'est plus facile de critiquer que de s'intéresser à comment on peut en avoir une», lance d’emblée Simon*, qui tient boutique sur Kijiji et Facebook Marketplace, lorsque je lui demande ce qu’il pense des internautes qui dénoncent les nombreux revendeurs sur le Web.
«Intéressez-vous au phénomène et vous allez découvrir comment en acheter une, poursuit-il. Honnêtement, même sans mon tracker, je serais capable d'en avoir une à chaque fois ou presque.»
Thomas*, qui écoule aussi ses PS5 sur la plateforme de vente de Facebook, abonde dans le même sens. Selon lui, les joueurs qui blâment les revendeurs pour les pénuries mettent leur énergie à la mauvaise place.
«Quand je me lève le matin, j’ai autant de chance que monsieur et madame Tout-le-Monde de trouver une console. Ce qui fait la différence, c’est le temps que j’y consacre, soutient-il. C’est facile de critiquer, mais si ces gens se donnaient la peine, ils auraient déjà leur console, au lieu de répandre leur négativisme sur les réseaux sociaux.»
Le revendeur de Trois-Rivières ne croit pas non plus contribuer outre mesure au phénomène de rareté de la console. À ses yeux, Sony est le principal responsable, alors que l’entreprise «n’arrive pas à fournir à la demande».
«[Les PS5] sont aussi rares pour moi que pour n’importe qui. La différence, c’est que je suis doué pour mettre la main sur les consoles», dit-il.
Thomas se voit donc offrir en quelque sorte un service à celles et ceux qui sont prêts à payer plus cher pour acquérir rapidement une PS5, puisqu’il fait «le sale travail à leur place».
«Moi, je vends des consoles à des gens qui mettent un prix sur le temps que je passe à courir les consoles à leur place. Pendant ce temps, ils peuvent travailler, et faire beaucoup plus d’argent que ce que je leur charge, relativise-t-il. Pour eux, payer plus cher pour avoir une console sans le moindre effort est un choix logique.»
«C’est comme un jeu»
D’un revendeur à l’autre, les techniques pour mettre la main sur les précieuses PS5 diffèrent.
Certains utilisent des trackers pour surveiller les stocks en ligne, mais achètent ensuite les consoles disponibles sur le Web «manuellement». D’autres se servent de bots pour décrocher automatiquement les nouvelles cargaisons sur des sites comme Amazon, où les mesures de sécurité seraient plus faciles à déjouer.
«C’est comme un jeu, mais au lieu de tuer les méchants, le but, c’est d’attraper [une PS5]. C’est ça qui est le fun. C’est sûr que c’est plate pour des gens qui aimeraient ça en avoir une, mais je dirais que les bons gamers, qui aiment gamer, ils vont jouer au jeu, justement, de se trouver une stratégie», image Sylvie, une revendeuse de la région de Montréal.
De son côté, Thomas dit même se présenter en magasin «tous les jours» pour tenter de dénicher de rares PlayStation 5.
Cela dit, une variable reste toujours la même, peu importe le revendeur et sa routine quotidienne: l’appétit des joueurs pour la dernière console de Sony.
Ainsi, même si la demande n’atteint pas les sommets de novembre dernier, elle est encore forte aujourd’hui, notent tous ceux qui ont participé au reportage. «Je comprends tout à fait la perception envers les revendeurs, mais si personne ne les achetait, il n’y en aurait pas, de revente», illustre Simon.
En ce sens, Sylvie, qui n’en est pas à sa première revente de consoles, a souligné qu’elle avait été étonnée par la popularité de la PS5 et, tout particulièrement, sa valeur sur le marché.
«Au départ, je ne pensais pas que ça allait être aussi gros que ça. Dans ma tête, c’était un peu comme dans le temps avec les Nintendo Wii, quand j’attendais en ligne. Ça allait me donner un petit 100$, mais disons que j’ai été surprise par la valeur de revente.»
La Montréalaise, qui a réussi à décrocher pas moins de 16 PS5 lors de la première journée de précommande, en utilisant différentes cartes de crédit et les adresses de ses amis, a toutefois rapidement vu qu’elle pourrait faire bien plus de profits avec la plus récente console de Sony.
Ainsi, dès qu’elle a reçu sa quinzaine de PS5 à la sortie du système en novembre, Sylvie les a d’abord mises en vente sur le Web à un prix de 900$ chacune. Cependant, elle n’en est pas restée là longtemps. «Quand j’ai vu que j’avais reçu au bout de deux minutes quasiment 50 messages, eh bien, je me suis remise en question et j’ai changé le prix», se remémore-t-elle.
Même en demandant 1000$, Sylvie a reçu encore «des tonnes de messages». C’est à ce moment-là, voyant que d’autres revendeurs vendaient la console encore plus cher, qu’elle a décidé de «suivre le courant» et d’afficher ses PS5 à 1300$, pour l’édition avec un lecteur Blu-ray.
Vendre des PS5 à en «perdre le compte»
Depuis, les prix sur le marché de la revente ont redescendu graduellement, mais cela n’a pas empêché Sylvie d’avoir vendu, à ce jour, environ 39 PS5 et une soixantaine de Xbox Series X/S.
De son côté, Simon dit avoir «perdu le compte» des «plusieurs» PS5 qu’il a vendues, alors que Thomas estime recevoir une à deux consoles par semaine, qu’il écoule ensuite rapidement sur le Web, où les gens lui font toutes sortes d’offres.
«On est inondé d’échanges, on m’offre des MacBook, des autos, des prix gagnés au bureau durant le temps des Fêtes, énumère-t-il. Ensuite, on a les gens qui t’offrent le prix du magasin sans les taxes. On les ignore. Et puis il y a ceux qui t’offrent 1000$. Ça, il y en a plein. 90% du monde t’offrent 1000$.»
Cela dit, le Trifluvien affirme qu’en «règle générale», il sait «qu’il y en a un qui va te donner ton prix.» «Deux-trois jours, c’est réglé, mais là, c’est plus cinq-six jours. L’engouement va bientôt s’estomper», remarque-t-il.
Simon, lui, soutient qu’encore aujourd’hui, il n’a pas de difficulté à revendre les PS5 qu’il achète, car il «ajuste le prix en conséquence». «Il y a toujours de nouvelles personnes qui en veulent», juge-t-il, même s’il remarque que le marché évolue. «C'est sûr que les personnes qui payaient 1200$, il n’y en a plus.»
La fin est-elle proche pour les revendeurs?
Alors que Thomas constate que les stocks de PS5 semblent arriver de façon de plus en plus régulière chez les détaillants, il se montre assez pragmatique. «Ça rentre dans les magasins à coup de 20-25, c’est bientôt fini», lance-t-il.
Et même s’il profite encore de la revente de la dernière console de Sony, il ne voit pas non plus cet éventuel ralentissement des affaires d’un si mauvais œil, lui qui attend justement que «l’engouement s’estompe pour pouvoir à [son] tour en déballer une».
«Tant et aussi longtemps que les gens vont être prêts à me payer pour courir une console à leur place, je n’en aurai pas. La journée que je vais en afficher une à vendre et que je vais être pogné avec, eh bien, ce sera la mienne et tout ça s’arrêtera. Je pourrai retrouver une vie normale de gamer», explique-t-il.
«Tant qu’il y a de l’argent à faire, je continue»
Par contre, tous ne partagent pas l’avis de Thomas. Sylvie, notamment, prévoit que la pénurie de PS5 se poursuivra «jusqu’à la fin de l’année» et qu’ainsi, pendant ce temps, elle pourra encore vendre à bon prix des consoles sur le Web.
«Tant qu’il y a de l’argent à faire, je continue», déclare-t-elle.
Cela dit, quand ce ne sera plus le cas, le monde n’arrêtera pas non plus de tourner, estime Sylvie.
«Au moment où il n’y a plus rien à vendre, que, moi, ça ne marche plus, je peux les revendre au même prix ou à perte de quelques dollars. Quand tu en as vendu une à 1400$ et que tu t’es fait 700$ de profit d’un coup [...], disons que si je suis pour perdre 50$ à la fin sur trois-quatre consoles...», souligne-t-elle.
Certes, entre-temps, les activités de revente se poursuivent pour celle-ci, tandis qu’elle «forme» même certains de ses amis à l’art particulier de la chasse à la PS5 et au commerce qui s’en suit sur le Web. Sylvie n’est d’ailleurs pas la seule qui «passe au suivant» et transmet ses techniques plus ou moins secrètes.
«Il y a des personnes à qui j'ai vendu des consoles qui en revendent maintenant, car j'ai donné mes trucs. J'ai également aidé quelqu'un avec 50 000 abonnés sur Twitter à optimiser son tracker», partage Simon.
«J'ai aussi aidé des personnes one on one dans la ville de Québec à en trouver en magasin ou en ligne, alors je ne me sens pas vraiment coupable», ajoute-t-il, précisant qu’il n’a lui-même pas de PS5, puisqu’il se considère «plutôt une personne minimaliste».
Sylvie, elle, s’en est toutefois gardé une parmi la quarantaine de consoles qu’elle a acquises au fil des mois.
Et son verdict?
«Je dirais que ceux qui ont encore leur PS4 Pro, il n’y a pas grand-chose qui manque, opine-t-elle. Pour l’instant, je ne vois pas un énorme intérêt pour les jeux actuels d’aller dépenser 1400$ pour une console.»
Venant directement de la bouche d’une revendeuse... c’est bon à savoir.
*Ces revendeurs souhaitant rester anonymes, il s’agit de noms fictifs.