Nouveau procès pour l’ex-juge Jacques Delisle
L’enquête sur remise en liberté conditionnelle de l’homme de 85 ans se tiendra vendredi
Kathryne Lamontagne
Emprisonné depuis près d’une décennie pour le meurtre prémédité de son épouse, l’ex-juge Jacques Delisle aura droit à un nouveau procès et tentera dès vendredi de retrouver sa liberté dans l’attente des procédures.
• À lire aussi: Ses enfants souhaitent retrouver leur père rapidement
Au bout de six ans d’analyse et d’enquête, le ministre fédéral de la Justice David Lametti dit avoir des «motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire s’est probablement produite» dans cette affaire.
Cette décision, rendue publique mercredi après-midi, annule le verdict de culpabilité rendu en 2012, alors que Jacques Delisle était reconnu coupable devant jury du meurtre prémédité de son épouse, Nicole Rainville. Le juge à la retraite, qui aura 86 ans le mois prochain, a toujours clamé son innocence.
L’heure était aux réjouissances pour le fondateur d’Innocence Canada (anciennement l’Association pour la défense des personnes injustement condamnées) et avocat de Jacques Delisle, qui a appris la nouvelle avant le long congé pascal.
- Écoutez la chronique judiciaire de l’ex-juge Nicole Gibeault à QUB radio
«J’étais vraiment émotif, a confié Me James Lockyer, joint par téléphone à Toronto, où se situent ses bureaux.
«Cet appel-là est sorti de nulle part. Je n’avais aucune idée que ça s’en venait», a-t-il ajouté, se disant du même souffle « très reconnaissant » du travail effectué par M. Lametti dans cette affaire.
Audience vendredi
La décision du ministre étant tombée, James Lockyer entend tout faire pour libérer son client sous conditions dans l’attente du deuxième procès. L’audition de cette requête doit être débattue vendredi, au palais de justice de Québec.
La Couronne ne pouvait dire mercredi si elle allait s’opposer à cette demande ni si elle comptait maintenir, modifier ou retirer l’accusation de meurtre prémédité qui pèse contre Jacques Delisle.
«On procède à un examen minutieux et rigoureux du dossier, notamment des nouvelles expertises qu’on a reçues mardi par le biais de la défense», a commenté la porte-parole des poursuites criminelles et pénales, Me Audrey Roy-Cloutier.
Si un deuxième procès devait se tenir, James Lockyer souhaiterait procéder le plus rapidement possible.
«On veut que ce cauchemar prenne fin. Jacques Delisle a déjà perdu neuf années de sa vie, plaide son avocat. Cet homme est innocent, c’est mon travail de le démontrer au monde entier. Je n’ai pas encore fini, mais j’y arrive.»
Dix experts
Initiée en mars 2015, la demande de révision ministérielle déposée par Jacques Delisle s’appuie entre autres sur des expertises produites par dix experts canadiens qui supportent la thèse du suicide.
En plus des expertises, Jacques Delisle avait dévoilé pour la toute première fois sa version des faits dans le cadre de cet ultime recours.
Lui qui n’avait pas témoigné lors du procès a avoué avoir menti aux policiers et à ses proches en affirmant que Nicole Rainville s’était enlevé la vie.
Il a plutôt concédé avoir fourni à son épouse une arme prohibée et chargée, à la demande de celle-ci. Il aurait tenté de la dissuader de passer à l’acte, avant de quitter le domicile familial.
FAITS SAILLANTS
La thèse de la Couronne
La poursuite soutient que Jacques Delisle a assassiné Nicole Rainville d’une balle à la tête. Il aurait mis fin aux jours de sa femme, lourdement handicapée, pour faire vie commune avec sa maîtresse, son ex-secrétaire de 20 ans sa cadette. En agissant ainsi, le juge à la retraite évitait un divorce estimé à 1,4 M$.
La thèse de la défense
Dépressive, Nicole Rainville se serait enlevé la vie. Trois ans après le procès toutefois, Jacques Delisle livre pour la première fois sa version des faits et avoue avoir menti à ses proches et sa famille. Il révèle avoir fourni à son épouse une arme prohibée et chargée. Il aurait tenté de la dissuader de passer à l’acte, avant de quitter le domicile familial.
Une tache au cœur de l’affaire
Au cœur de cette affaire se trouve une tache de noir de fumée au creux de la main gauche de Nicole Rainville. Handicapée du côté droit, la dame ne pouvait se servir de cette main pour tenir l’arme à feu. Pour la poursuite, ce tatouage imposait qu’un tiers tienne l’arme. Pour la défense, cette tache concordait à un tir auto-infligé, si l’arme est tenue à l’envers.
Dix expertises
Des experts du Québec et de la France ont exposé leurs analyses contradictoires tout au long du procès, pointant tantôt vers le meurtre, tantôt vers le suicide. Dans le cadre des procédures de révision ministérielle, l’avocat de Jacques Delisle a mobilisé 10 experts issus de trois provinces canadiennes qui ont tous soutenu la thèse du suicide.
Vaines tentatives
Jacques Delisle a tenté à deux reprises de retrouver sa liberté depuis sa condamnation. Un premier essai a eu lieu en 2012, au moment des procédures en appel, puis en 2016, lorsque le comité responsable de sa demande de révision ministérielle, à Ottawa, a accepté d’enquêter sur son dossier. Ces démarches se sont soldées par des échecs.
QU’EST-CE QUE L’ULTIME RECOURS?
La demande de révision des condamnations criminelles est une procédure extraordinaire en quatre étapes qui survient lorsque tous les moyens d’appel ont été épuisés.
1. L’évaluation préliminaire
Un comité analyse la demande de révision, qui doit comporter des éléments nouveaux n’étant pas disponibles au moment du procès.
2. L’enquête
Si la décision du comité est favorable, une enquête s’enclenche. L’investigation peut comporter des entrevues, des tests scientifiques, des évaluations, etc.
3. Rapport d’enquête
À la fin de l’enquête, un rapport préliminaire est rédigé. Les parties peuvent y apporter leurs commentaires.
4. Décision ministérielle
Le rapport final, les commentaires des parties ainsi qu’un avis juridique sont remis au ministre de la Justice. Il peut ordonner un nouveau procès, renvoyer le dossier à la Cour d’appel ou rejeter la demande.
Longue et complexe, cette procédure fait l’objet d’une révision au fédéral, qui songe à la création d’une commission indépendante sur les erreurs judiciaires. Deux juges à la retraite ont d’ailleurs été désignés par le gouvernement, la semaine dernière, pour mener des consultations sur la création éventuelle de cette commission.
CHRONOLOGIE DES ÉVÉNEMENTS
Novembre 2009
Nicole Rainville, 71 ans, est retrouvée morte dans sa résidence, à Québec, une balle dans la tête.
Juin 2010
Jacques Delisle est arrêté et accusé du meurtre prémédité de son épouse.
Juin 2012
À 77 ans, Jacques Delisle devient le premier juge au Canada à être reconnu coupable de meurtre au premier degré. Il est condamné à une peine d’emprisonnement à vie, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
Mai 2013
La Cour d’appel rejette la demande de Jacques Delisle.
Décembre 2013
La Cour suprême refuse de se pencher sur ce dossier.
Mars 2015
Armé d’un avocat spécialisé en erreurs judiciaires, Jacques Delisle dépose une demande de révision ministérielle, à Ottawa. Pour la première fois, il livre sa version des faits, lui qui n’a pas dit mot de son procès.
Août 2016
Le Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), à Ottawa, accepte d’enquêter sur cette affaire.
Avril 2021
Le ministre de la Justice David Lametti ordonne un nouveau procès.