Les non-vaccinés ne sont pas tous complotistes et antivaccins
Gabriel Ouimet
«Les non-vaccinés ne sont pas tous des antivaccins»: des experts dénoncent la «contribution santé» que souhaite imposer François Legault aux adultes non vaccinés, un groupe de la population qui est tout sauf homogène. Mais qui sont-ils, ces 10% de Québécois non vaccinés?
«On s’imagine des gens devant YouTube qui boivent de la bière en ruminant des théories du complot, mais c’est beaucoup plus complexe que ça», s’indigne la présidente des Médecins québécois pour le régime public (MQRP), Isabelle Leblanc. Selon elle, l’imposition d’une taxe visant les antivaccins représente un danger pour plusieurs catégories vulnérables de la population.
«Le gros problème quand on présente ces gens-là comme un groupe homogène complètement déconnecté de la science, on oublie qu’il y a d’autres personnes et on n’essaie pas d’aller les rejoindre», poursuit-elle.
Pratiquant la médecine dans le quartier Côte-des-Neiges, à Montréal, Mme Leblanc évoque le cas d’un patient rencontré cette semaine pour qui la simple prise de rendez-vous est un défi.
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«Il n’a pas internet chez lui et il voulait prendre rendez-vous, mais en appelant Clic Santé, il n’a pas pu avoir la ligne parce que l’attente a grugé toutes les minutes de son forfait cellulaire, raconte-t-elle. J’ai dû l’aider à prendre rendez-vous dans mon bureau.»
Les spécialistes à qui nous avons parlé sont d’ailleurs unanimes: toutes les strates de la société sont représentées dans la population des non-vaccinés, et certains d’entre eux sont aux prises avec des problèmes qui complexifient grandement leur vaccination.
«Démunis de plein de façons»
L’épidémiologiste Nimâ Machouf fait partie de ces experts qui croient que la décision du gouvernement aura pour effet d’empirer la situation de gens qui vivent déjà dans une situation précaire.
«Il y a des gens qui ne sont pas vaccinés parce qu’ils sont démunis de plein de façons: en santé mentale, au niveau de l’organisation sociale, etc. Ils ne sont pas capables de s’organiser pour aller se faire vacciner. Il y a une partie de ces gens qui ne sont même pas capables de concevoir que la COVID existe. Ils sont ailleurs, déconnectés. Ils sont déjà au tapis. Pourquoi on les taxerait?»
Une inquiétude partagée par la coordonnatrice à La rue des femmes, un organisme qui vient en aide aux femmes en situation d’itinérance, Louise Waridel.
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«Parfois, il y a des problèmes de santé mentale qui font que les femmes sont dans une grande distorsion de la réalité, explique-t-elle. Elles s’imaginent que c’est un poison. Certaines ne veulent pas se faire vacciner et on ne sait simplement pas pourquoi.»
Et parmi celles qui sont ouvertes à la vaccination, certaines ne se rendront jamais à leur rendez-vous.
«Il y en a beaucoup qui est fait pour rejoindre la population itinérante. Je pense à des sites de vaccination mobiles, à de l’aide à la prise de rendez-vous. Mais il y en a pour qui cela ne suffit pas. Je pense aux consommateurs. Si l’appel de la drogue est trop grand au moment du rendez-vous, c’est possible que la personne décide de ne pas y aller», illustre-t-elle.
Expérience traumatisante
Même parmi ceux qui refusent de leur plein gré de se faire vacciner, les raisons varient. Ce n’est pas toujours une décision motivée par des théories du complot ou par le mouvement d’opposition aux mesures sanitaires.
Âgé de 78 ans, le père de Samuel Hary n’est pas contre la vaccination. C’est plutôt l’expérience traumatisante vécue à la suite de l'administration de sa première dose qui le freine devant l'idée d'un retour dans un centre de vaccination, explique son fils.
«Après avoir été vacciné, mon père a fait une embolie cardiaque et il a été hospitalisé. On n’est même pas certain que ce soit le vaccin, mais l’expérience l’a vraiment refroidi pour la deuxième dose. Son cardiologue lui a recommandé de se faire vacciner, mais il lui a dit que c’est possible qu’il ait encore des effets secondaires», détaille-t-il.
Son père a ainsi décidé que le risque pour sa santé n’en valait pas la peine. Il préfère rester chez lui.
«Mon père habite en campagne, il ne voit presque personne et il s’isole. Est-ce que le risque d’avoir d’autres complications cardiaques est justifié? Disons qu’il n’envisage pas de se faire vacciner de sitôt», dit-il.