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Montréal jette sa neige dans l'ancienne carrière Francon, un trou géant au milieu de la ville

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Axel Tardieu

2023-03-16T12:21:25Z
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Après de grandes chutes de neige, la valse des camions commence à Montréal. Mais où va-t-elle, toute cette neige? Plus de 40% de la neige récoltée par la Ville est déversée dans un trou, grand comme quatre Stades olympiques. C’est l’ancienne carrière Francon, qui divise en deux le quartier Saint-Michel. Les activités de déneigement rendent la vie difficile pour les résidents. 

• À lire aussi: Pourquoi les pistes cyclables sont toujours aussi bien déneigées?

«La cohabitation avec la neige, elle n’est pas si simple», soupire Sugir Selliah, habitante de Saint-Michel depuis dix ans.  

«Il y a beaucoup de va-et-vient de camions. C’est un secteur où il y a énormément de bruit. Ces camions sont très grands. C’est assez dangereux. Lorsqu’on traverse, on n’est pas certain qu’ils nous voient.» 

Photo Étienne Brière
Photo Étienne Brière

Un site inconnu 

Au nord-est de Montréal, le quartier familial Saint-Michel est unique en son genre. D’abord en raison de sa population – sur les plus de 56 000 résidents qui y vivent, la moitié sont issus de l’immigration –, mais aussi parce qu’il renferme un lieu peu connu du grand public que certains appellent la «poubelle de Montréal». 

Avant de devenir le principal dépôt à neige de la métropole, la carrière Saint-Michel s’appelait la carrière Francon. Entre 1925 et 1986, le calcaire extrait à cet endroit a permis de construire des bâtiments emblématiques comme le Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, la gare Centrale et le Complexe Desjardins. 

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Grand comme 98 terrains de soccer, ce trou permet maintenant à la Ville d’entreposer 40% de la neige récoltée par les 2200 appareils qui sillonnent Montréal lors d’opérations de déneigement. 

Une fois jetée, la neige prendra des mois, voire des années à fondre. Les égouts l’amèneront vers une station d’épuration pour la traiter avant de déverser l’eau dans le fleuve Saint-Laurent. 

Fenêtres sur carrière 

Les nuits d'hiver, ce site voit passer 300 camions par heure, une réalité qui s’invite dans le sommeil de Raynald Vallières. Depuis 11 ans, ce septuagénaire habite dans un HLM pour personnes âgées qui fait face à la carrière. Il préside l’association des locataires de l’endroit. 

«Le pire, c'est la nuit. Les bip, bip, bip. Les bennes qui tapent. Je suis presque sourd de l’oreille gauche alors je me couche sur l’oreille droite», explique-t-il. Un de ses voisins, fraîchement arrivé, n’a pas pu vivre avec ce bruit bien longtemps et a cherché à déménager au plus vite. 

Raynald Vallières
Raynald Vallières Photo Axel Tardieu

À l'étage en dessous, une dame a pris une décision radicale. Elle ne dort plus dans sa chambre, mais dans un petit placard, sans fenêtre, loin du vacarme. «Je n’invite plus personne chez moi. Seule la musique me permet de survivre», dit-elle sous couvert d’anonymat. 

Selon Raynald Vallières, plusieurs personnes âgées de sa résidence se plaignent, mais personne ne souhaite porter plainte. «Ils ne sont pas nés au Québec. Ils ne connaissent pas leurs droits. Ils ont peur de perdre leur logement.» 

Un dépôt de neige qui isole 

La carrière divise le quartier Saint-Michel en deux. La station de métro la plus proche se trouve à l’Ouest. Sugir Selliah habite, elle, à l'Est. «Si nous voulons nous déplacer de l'autre côté pour avoir accès aux services, ça nous prend au moins 45 minutes. Ça complique la vie. Ça amène aussi de l'isolement pour les citoyens du secteur», constate-t-elle. 

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Sugir Selliah
Sugir Selliah Photo Axel Tardieu

Coordonnateur du Forum jeunesse de Saint-Michel, Mohammed Nordine Mimoun est en relation avec une centaine de jeunes de ce quartier, où le taux de chômage est supérieur à la moyenne. 

«Ils font un grand détour pour aller à l’école, mais ne savent pas pourquoi. J’ai dû leur expliquer que c’était à cause de la carrière. Ce manque de mobilité diminue les chances de réussite scolaire et sociale des jeunes du coin», explique-t-il. 

Dynamiser Saint-Michel 

Les organismes communautaires ont plusieurs solutions à ce problème de 1,5 km de long, qui renferme des montagnes de neige hautes comme un immeuble gris de 20 étages. 

Construire une passerelle reliant l’Est à l’Ouest, transformer la carrière en logements sociaux avec une ferme d’agriculture urbaine, un marché et des espaces verts... Toutes ces idées ont été mises sur la table lors d’un processus de consultation citoyenne en 2016, avec l’aide de l’organisme Vivre Saint-Michel en santé (VSMS).  

Ces idées ne sont pas près de voir le jour, selon Dominique Perrault, directrice de VSMS. «La Ville a fermé la porte à l’idée d’une nouvelle vie pour la carrière», résume-t-elle. 

Sugir Selliah l’a bien compris: «On ne se sent pas écoutés. Ce n'est pas une priorité pour la Ville ni pour les élus de l'arrondissement.» 

Magalie Véro René Gérald, Micheloise depuis 15 ans, est allée à trois rencontres citoyennes pour parler urbanisme et écologie. Elle aussi a le sentiment que son quartier de cœur est «négligé et traité en parent pauvre» par les autorités. 

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Carrière Francon
Carrière Francon Photo Étienne Brière

Un site trop précieux pour la Ville 

Les espoirs des résidents ont peu de chance d’aboutir. La Ville n’a pas d’autre choix aussi pratique que ce site d’entassement dans Saint-Michel. 

Jusqu’à la fin des années 80, la neige était déversée directement dans le fleuve Saint-Laurent, accompagnée de saletés et de graisses en tout genre.  

Depuis l’utilisation de l’ancienne carrière Francon comme site d’entassement, la neige fondue est décontaminée et filtrée grâce à une usine d’épuration. Seul le sel continue son chemin vers le fleuve. 

Lors d’une visite au fond de la carrière Saint-Michel, le porte-parole administratif pour la Ville de Montréal, Philippe Sabourin, avoue que ces camions pleins de neige créent des gaz à effets de serre, font du bruit et représentent des dangers pour les citoyens.

Le porte-parole administratif pour la Ville de Montréal, Philippe Sabourin
Le porte-parole administratif pour la Ville de Montréal, Philippe Sabourin Photo Axel Tardieu

 

«Pour entreposer la neige dans un bâti urbain aussi dense que celui de Montréal, on n’a pas beaucoup d’options. On a besoin de cet espace-là. C’est important pour les citoyens qui veulent pouvoir se déplacer le plus facilement possible, même quand il neige.» 

Selon Philippe Sabourin, le système de déneigement de Montréal est vu comme un modèle à suivre à l’international. Il n’exclut pas néanmoins qu’un jour, d’autres façons de traiter la neige soient mises en place. 

«Ce n’est pas les idées qui manquent» pour mieux tirer profit de la carrière, avoue Laurence Lavigne Lalonde, mairesse de Villeray–Saint-Michel–Parc-Extension. «Disons que ce n’est pas simple. Il faut y aller un projet à la fois, et à l’heure actuelle, la priorité, c’est la mobilité.»  

Son équipe travaille actuellement sur une connexion entre les deux parties de la rue Jean-Rivard, au sud de la carrière. Un projet qui rapprocherait enfin les résidents du reste de la ville. 

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