Michel Jasmin revient sur ses ennuis de santé des dernières années
Dave Morissette
Plus de 16 000 entrevues en un demi-siècle de carrière: c’est l’œuvre impressionnante de l’animateur Michel Jasmin! Vous comprendrez ma nervosité à l’idée de rencontrer ce grand intervieweur, mais ce fut un réel bonheur de discuter en personne avec lui. J’ai découvert que, s’il a su autant toucher les Québécois, c’est grâce à sa grandeur d’âme. Entrevue avec un homme de cœur, un pionnier qui a eu le courage de ses convictions.
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Michel, j’arrive devant toi aujourd’hui la tête remplie de souvenirs d’enfance! Tes émissions, c’était un grand rendez-vous pour tous les Québécois! On sentait que c’était ton coeur qui te guidait dans ton travail. Est-ce que je me trompe?
Je ne pense pas! J’ai l’impression que ça aussi, ça se perçoit, ça se sent. Quand on parle avec son coeur, on ne peut pas être à peu près content, un peu fier ou un peu généreux. On l’est au complet! Et ç’a toujours été comme ça dans mon esprit. Je rêvais de faire ce métier depuis l’âge de huit ans.
Dans tes entrevues, il y avait de l’amour et toujours de la bienveillance afin d’aller chercher ce qu’il y a de meilleur en chacun. Il y a du travail derrière ça, mais aussi quelque chose d’unique.
Quand j’en étais encore à mes toutes premières entrevues, j’avais demandé à Lise Payette ce qui, selon elle, faisait une bonne entrevue. Elle m’avait dit: «Vous préparez une première question pour comprendre l’entrevue et une dernière, si vous en avez besoin. Entre les deux, vous écoutez.» C’est fort! Ça m’a toujours suivi et ça m’a aussi précédé dans mon travail: le besoin d’être conforme à ce qu’elle m’a conseillé. Quand on commence une entrevue, on se prépare, mais après ça, il faut suivre la conversation. Il faut dire qu’il y a des personnes avec qui on a plus de facilité, qui sont plus généreuses. Celles qui vont nous donner tout ce dont on a besoin, non pas pour faire une bonne entrevue, mais pour en tirer quelque chose. On apprend de chaque personne!
À l’époque où tu faisais de la télé aux côtés de Michel Louvain et de Pierre Marcotte, tu étais au top! Est-ce que ce n’était pas la plus belle période de la télé traditionnelle?
On donnait un spectacle et il fallait l’accepter! Le direct, c’est ce qu’il y a de plus précieux; ça génère des moments magiques. On ne peut pas avoir le même feeling quand l’émission est enregistrée. Quand l’intervieweur et l’interviewé sont sur la même longueur d’onde, ils se lâchent lousses, et c’est là que ça se passe! Il faut s’abandonner, en quelque sorte. Ça donne des moments complètement fabuleux. L’invité ne vient pas que pour vendre son livre ou son disque... Certaines émissions ont attiré jusqu’à 2,4 millions de téléspectateurs, mais je n’embarquais pas là-dedans. Je ne faisais pas une bonne émission pour aller chercher les cotes d’écoute. La personne qui était devant moi, je voulais vraiment qu’elle se sente seule avec moi pour se laisser aller...
Quand j’ai dit à ma mère que j’allais te rencontrer, elle voulait que je te demande: Comment ça va, Michel?
Je pense que ça va bien! Mais à 78 ans, les choses arrivent quand elles doivent arriver. On fait plus attention, on fait plus de bilans de santé et on va voir les médecins plus souvent qu’avant. La vie est ainsi faite! Depuis l’âge de 49 ans, je prends des médicaments pour combattre des douleurs chroniques. Quand on est pris à devoir prendre des médicaments, on le fait, mais raisonnablement. Il faut se respecter soi-même; le médecin est là pour nous soigner et nous amener à vivre un peu mieux et un peu plus longtemps. Dans les dernières années, j’ai été hospitalisé plusieurs fois; j’ai même fait un séjour à l’hôpital de plus de cinq mois. C’est long et c’est désagréable, mais quand on n’a pas le choix, il faut le faire.
Avant que mon père décède, il m’a dit qu’une des choses qu’il trouvait les plus dures, c’était de perdre des amis. De ton côté, comment vis-tu ça?
J’ai trouvé ça dur pour mon ami Pierre Marcotte, car lorsqu’il est décédé des suites de la covid-19, en juillet, j’étais hospitalisé. Je n’ai pas pu entrer en contact avec lui avant son décès et j’ai trouvé ça infiniment difficile. Je n’ai pas pu lui dire qu’il ne partait pas seul... Je n’ai pas vécu ça tout seul, car mon conjoint était là. Il connaissait le lien que Pierre et moi avions. Mon conjoint m’a dit que je ne pouvais pas sortir de l’hôpital pour aller transmettre mes condoléances à la famille. Je n’ai pas pu le faire, car j’ai respecté les consignes qu’on m’a obligé de suivre. Ce qui me fait le plus de peine, c’est quand je regarde mon téléphone et que je suis obligé d’effacer des noms, des numéros de téléphone, car je ne verrai plus jamais ces personnes. Ça, je trouve que c’est vraiment difficile... C’est très injuste. (Avec un trémolo dans la voix:) Je sens qu’il ne faut pas que je reste sur ce sujet-là...
Tu as un conjoint qui te soutient au quotidien, mais tu n’as jamais révélé son identité. Pourquoi?
J’ai un conjoint, mais je respecte son choix de rester dans l’ombre. C’est quelqu’un qui a sa vie, son travail, sa carrière, et je ne veux pas intervenir là-dedans. Ça va bientôt faire une quinzaine d’années qu’on est ensemble et ça s’est toujours bien passé. Ç’a été difficile au début, car je vivais beaucoup de bonheur grâce à lui et j’avais envie de crier son nom sur tous les toits! Avec le temps, j’ai compris qu’il n’avait pas choisi d’avoir une vie publique et que je n’allais pas lui imposer ça. Le plus beau cadeau que je peux lui faire, c’est de respecter son choix.
À quel point est-il une personne importante pour toi?
Avant lui, j’ai eu un autre conjoint à qui j’avais dit que 90 % de mon bonheur provenait de mon travail. Il a vite compris que ça ne lui laissait que 10 %... Aujourd’hui, j’ai arrêté de dire ça. Ce n’est plus vrai que je n’ai que 10 % pour mon conjoint. Je l’ai eu pendant un bout de temps, mais mon conjoint actuel a renversé les chiffres. C’est 90 % pour lui et 10 % pour le travail!
Quelque chose m’avait frappé lorsque j’étais jeune... Tu as été l’une des premières personnalités publiques au Québec à parler de ton orientation sexuelle. Tu as été un précurseur. Ça demande du courage...
Je pense que ç’a été suffisamment relaté dans les médias que j’ai un conjoint et non une conjointe. Ma vie est au masculin, et ce sera comme ça jusqu’à la fin de mes jours! À la fin des années 1960, j’ai été forcé de faire mon coming out, car à cette époque-là, mon ancien conjoint et moi avions reçu des lettres de menace anonymes. À un moment donné, c’en a été assez; ça faisait un bon six mois que ça durait. Je suis allé voir les policiers avec une grosse pile de lettres anonymes et je leur ai dit que je voulais porter plainte. Le policier m’a dit: «Vous savez, M. Jasmin, si vous portez plainte, ça va devenir public.» Je lui ai répondu ceci: «Êtes-vous en train de me dire que parce que je suis gai, je vais devoir subir ça sans pouvoir y mettre fin?» Alors, j’ai plongé: j’ai fait une plainte officielle. Ça ne faisait pas longtemps que j’avais découvert mon homosexualité et je vivais bien avec ça. Ça n’allait pas m’empêcher de porter plainte. Je ne sais pas si j’étais vraiment conscient de tout ça, mais l’individu nous avait poussés trop loin, mon ancien conjoint et moi; il fallait que ça s’arrête. Et le public l’a su. J’ai refusé qu’on me mette dans un casier...
En terminant, qu’est-ce que je peux te souhaiter?
D’être heureux! Je pense que la chose la plus précieuse qu’on peut souhaiter à quelqu’un, c’est d’être heureux, et ce, peu importe dans quelle condition de vie. Il faut se souhaiter en premier lieu d’être bien dans sa peau. Si, comme parent, vous découvrez que votre enfant est homosexuel, il faut lui en parler doucement, tranquillement. Ne le.la condamnez pas. J’ai un fils; j’en suis sûr. Si jamais il lit cet article, je lui souhaite d’être heureux. Je souhaite qu’il vive heureux en rendant les autres heureux.
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