Michel Courtemanche se livre sans retenue sur son «suicide professionnel»
Patrick Delisle-Crevier
C’est dans une salle de répétitions du Théâtre de Quat’Sous que nous attendait Michel Courtemanche, entouré du metteur en scène Daniel Brière, de danseurs et d’artistes circassiens. Tous plongeront dans l’univers du comique, qui est là pour paver la voie à cette relève. Nous avons demandé au principal intéressé ce que ça lui faisait de retourner ainsi dans l’époque de ses débuts. Il revient sur le fil des événements et sur sa vie depuis ce qu’il qualifie lui-même de «suicide artistique».
Michel, sur papier, le spectacle Michel! – L’expérience comique, est fort intéressant. Peux-tu nous en parler davantage?
Disons que je suis le premier à être fort emballé par ce spectacle qui replonge dans mon univers. Il va y avoir sept artistes sur scène; certains proviennent du jeu, d’autres de la danse ou de l’univers du cirque. Ils ont tous une folie particulière et ils vont interpréter certains de mes numéros de l’époque, tout en conservant leur folie à eux. Ça me fait plaisir de voir certains de mes sketchs réinterprétés par d’autres personnes tout en gardant leur saveur.
Qu’est-ce que ça te fait de retourner à cette époque qui ne fut pas si facile pour toi?
Ça me met de bonne humeur, parce qu’il y a eu une époque où, à mes débuts, j’étais toujours de bonne humeur. C'est plutôt en fin de parcours, vers 1994-95, que c'est devenu difficile. J'en étais alors arrivé à maudire mon métier pour tout ce qu'il m'enlevait dans ma vie, parce que je ne faisais que ça. Avec mes 30 ans de recul, je me rends beaucoup plus compte de ce que j’ai fait à cette époque. Je ne pensais jamais que mes numéros allaient avoir une deuxième vie 30 ou 40 ans plus tard. Surtout que j’ai moi-même décidé, à cette époque, de mettre fin à ma carrière. Je voulais me faire oublier et je constate que ça n’a pas tant marché. Le plus drôle, c’est que lorsque j’ai décidé de tout lâcher, j’avais pensé trouver quelqu’un à qui passer le flambeau, quelqu’un que j’aurais formé, mais je n’ai jamais trouvé. Me voilà 30 ans plus tard avec sept artistes. C’est vraiment spécial de voir mes sketchs perdurer de cette façon. Ça me touche!
As-tu regretté ce qui a été un suicide professionnel?
Non, jamais, parce que j’avais à tirer la plogue pour plusieurs raisons, autant sur le plan de la santé physique que sur celui de la santé mentale. Avec la charge de travail que ça demandait, si j’avais continué, mon corps ou ma tête aurait lâché. J’étais partout! C’était beaucoup trop, sans compter le trac de fou qui augmentait tout le temps. Ça me rendait malade. Le dernier spectacle en a d’ailleurs été un où je devais improviser. J’ai eu une crise d’angoisse après 20 minutes. Je ne savais pas ce qui se passait, j’étais barré et incapable de continuer. C’était fou, et c’était vraiment un suicide professionnel. J’étais trop fatigué et usé pour donner un tel spectacle, et j’ai fait une crise de bipolarité sur scène. À l’époque, je ne savais pas que j’étais bipolaire, mais avec le recul, j’ai compris ce qui m’était arrivé. J’ai eu ma première crise de bipolarité à 26 ans et, habituellement, c’est vers cet âge-là que ça se déclare. Mais je n’ai su que 10 ans plus tard ce qu’était ce mal dont je souffrais.
Est-ce que ç’a été difficile de rompre avec le métier du jour au lendemain?
Pas du tout. Ça m’a fait un bien énorme, et je suis vraiment mieux derrière les caméras et les projecteurs que devant. Aujourd’hui, je sais que je suis bipolaire et je me gère. Je n’ai plus ce trac qui m’habitait et je peux faire ce que je veux. Je pourrais même refaire de la scène, mais ça ne me tente pas. Je préfère faire de la réalisation et écrire. C’est ce que je devais faire dans la vie, la scène a été une erreur de parcours pour moi.
Quand on arrive chez soi après avoir tiré la plogue, on fait quoi?
C’est certain qu’il y a une tristesse et un deuil qui nous habitent. Il y avait aussi une grande fatigue accumulée, alors je suis tombé malade. Mais je savais que j’avais pris la bonne décision. Quand j’ai vu tout ce qui a découlé de ça après, je me suis rendu compte que le bonheur, pour moi, ce n’était pas tout ce qu’on m’avait vendu: la grosse maison, la voiture de l’année, la famille, le chien. Tout ça, c’était de labullshit. J’ai redescendu la montagne que j’avais pelletée à coup de grimaces et je suis retourné à mes racines. Je voulais plus retourner vers moi qu’être une vedette. Ç’a donc été un chemin fabuleux, de l’arrêt à aujourd’hui. J’ai fait des projets dont je suis très fier! J’ai, entre autres, réalisé des épisodes de Caméra Café, des émissions pour la chaîne Télétoon, et je me suis surtout amusé. J’ai fait des mises en scène, j’ai écrit, et j’ai surtout été heureux. Je ne l’ai jamais regretté.
Le vedettariat, aimais-tu ça?
Pas du tout, même que ça me tapait sur les nerfs. Moi, les soupers de mondains et de millionnaires, je trouvais ça chiant. Mes pires soupers étaient ceux de vedettes chez Gilbert Rozon. Tout le monde était pincé et parlait contre tout le monde. Je n’étais pas très bien dans tout ça. J’ai joué le jeu à un certain moment, en faisant moi aussi des blagues sur les gens, mais je sortais de là mal dans ma peau. C’était toxique. J’ai vraiment été dépassé par la popularité et par ce monde. Je n’étais pas bien dans tout ça. Moi, ceux qui m’impressionnaient, c’était les Gotlib, Robin Williams, Chuck Jones, Jim Carrey, Jay Leno. Des gens que j’ai pu rencontrer et qui m’impressionnaient parce qu’ils m’avaient influencé dans ma carrière.
Tu me disais tantôt que la grosse maison, la femme, les enfants, ce n’était pas pour toi. Pourquoi un tel constat?
Je vais avoir 60 ans et je ne regrette rien. J’ai eu une vie beaucoup plus modeste et qui me convenait. Je suis un gars bien ordinaire qui a rencontré le bonheur et qui le vit chaque jour.
Je n’ai pas eu de conjointe de longue durée, je n’ai pas eu d’enfant non plus, et je n’ai pas de regret en ce sens. Je ne pense pas que ç’aurait été une bonne idée de me reproduire, parce que
mon grand-père était bipolaire, mon père aussi, et je le suis. Donc, j’aurais mis au monde un enfant bipolaire et c’est la pire des punitions à donner à quelqu’un. Je ne pense pas non plus que j’ai la fibre paternelle pour autant.
As-tu la fibre de l’amoureux?
Pas tant, non. Même la conjointe que je t’ai présentée dernièrement n’est plus dans ma vie. En fait, ce n’est pas que je n’ai pas la fibre de la vie de couple. J’aimerais ça l’avoir, mais à cause de la bipolarité, la vie à deux, pour moi, c’est compliqué. Je n’ai pas honte de le dire: quand ça ne marche pas dans ma vie de couple, c’est pas mal de ma faute. J’ai appris à vivre avec ça. Je suis célibataire depuis peu et on s’est laissés d’un commun accord, même si on s’aimait beaucoup. On ne pouvait pas vivre avec ma maladie. Toute la journée, je suis deux et j’ai deux types de réactions différentes. Je ne suis pas évident à vivre. Par amour, on en est arrivés à la conclusion qu’il valait mieux se laisser.
Donc, on n’apprivoise pas la vie avec la bipolarité?
Non, tout simplement parce que ça se modifie tout le temps. C’est comme un virus, la bipolarité. Elle veut vivre en toi. Quand elle sent que tu l’apprivoises, elle prend d’autres moyens pour t’atteindre. Donc, il faut aller voir le médecin tous les trois mois, changer de médicament, faire des prises de sang régulièrement. Je sais aussi que je ne suis jamais à l’abri d’avoir une dépression, de faire un autre crash ou de tomber en psychose. Cependant, je n’ai plus peur de vivre avec ça. Je suis capable de me gérer et je le sais quand la bipolarité prend le dessus. Avec le temps, j’ai appris à vivre avec.
Quand, comme tu le dis, la bipolarité prend le dessus, deviens-tu une tout autre personne?
À l’époque, oui, je pouvais même être très désagréable. Mais maintenant, heureusement, c’est totalement contrôlé.
En 2022, tu as renoué avec la scène à ComediHa!. Pourquoi?
Je l’ai fait par plaisir, en tant que maître de cérémonie, et j’ai adoré la première fois où je l’ai fait. J’ai vraiment eu du fun. Quand j’ai accepté de le refaire l’année suivante, je me suis rendu compte que je m’étais trop gâté la première année et que c’était différent. Je n’avais pas le même plaisir à le faire. J’étais content qu’on ne me le demande pas pour une troisième année! (rires)
Quels sont tes autres projets?
Nous tournons cet été la deuxième partie du film Walter: Earth Day, un film muet que j’ai coécrit avec Sylvain Viau, et qui mettra entre autres en vedette Thierry Lhermitte et Dominique Pinon. Je suis aussi en période d’écriture de plein de projets, et j’en ai pour des films et des séries sur mon bureau. J’écris plein de choses, mais surtout pas un spectacle complet pour Michel Courtemanche. Ça, ça n’arrivera plus. C’est terminé. Jamais je ne vais écrire un spectacle pour partir en tournée. Je ne suis plus capable de faire ça et ça ne m’intéresse plus. Dormir dans des motels, manger des clubs sandwichs, je n’en peux plus. Mais j’aime parfois me tremper l’orteil, faire des petites apparitions ici et là.
En terminant, je ne peux pas ne pas te parler de ce qui arrive avec la chute de Juste pour rire. Ça te fait quoi de voir ça?
C’est plate... C’est ben, ben plate...
Ce spectacle, mis en scène par Daniel Brière, sera présenté dès le 31 juillet, en ouverture de la 25e édition du ComediHa! Fest-Québec, à la salle de spectacle Le Diamant. Il prendra ensuite la route à travers le Québec à l’automne. Les billets sont en vente maintenant.