Loi sur les mesures d’urgence: ce qu'il faut savoir sur cet ultime outil au passé controversé
Erika Aubin et Nora T. Lamontagne | Journal de Montréal
C’est la première fois dans l’histoire du Canada que le gouvernement invoque la Loi sur les mesures d’urgence, un ultime outil pour endiguer la crise des camionneurs qui a pris une ampleur nationale. Le fédéral s’était toujours refusé à le faire pendant les deux ans de la pandémie.
Cette loi a des origines plutôt controversées. À quelques égards, elle diffère de son ancêtre, la Loi sur les mesures de guerre, qui donnait « un peu trop de pouvoir au gouvernement », estime Geneviève Tellier, professeur en politique à l’Université d’Ottawa.
« C’est quand même une loi qui concentre tous les pouvoirs entre les mains du gouvernement et dans la nouvelle version, il y a un meilleur contrôle par le Parlement », précise Benoit Pelletier, professeur à la faculté de droit de l’Université d’Ottawa.
Le gouvernement peut l’invoquer sans délai, comme il a fait lundi, mais doit désormais aller chercher un appui du Parlement : tant le Sénat que la Chambre des communes ont à se prononcer.
« Bref, un débat public doit se faire », dit Mme Tellier.
Par ailleurs, il n’y a plus de suspension des libertés civiles, précise Louis-Philippe Lampron, professeur en droits et libertés à l’Université Laval. C’est-à-dire que la Charte canadienne des droits et libertés doit continuer à être respectée, ce qui n’était pas le cas auparavant.
La dernière fois que son ancienne version avait été utilisée remonte à l’époque du premier ministre Pierre Elliott Trudeau, durant la crise d’Octobre en 1970. À cette époque, son emploi avait suscité la controverse, car il avait mené à des arrestations arbitraires et des incarcérations sans procès.
Écoutez l’entrevue de Benoit Dutrizac avec Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval spécialisé en droit constitutionnel et administratif sur QUB radio:
C’est dans ce contexte et pour tendre une main au Québec que le gouvernement conservateur de Brian Mulroney avait modernisé la loi en 1988. Avant cela, elle avait aussi été utilisée lors de la Première Guerre mondiale et de la Deuxième.
Voici un aperçu des six mesures que le gouvernement souhaite a priori utiliser pour reprendre le contrôle de la situation.
Interdire les blocus
On compte interdire de faire des blocus dans certains endroits. Cela pourrait inclure les frontières ou le pont Ambassador, à Windsor, en Ontario. Rappelons que le pont d’une importance cruciale pour l’économie a été rouvert lundi matin après sept jours en raison d’un blocus par des manifestants.
Couper les vivres
Les banques canadiennes peuvent suspendre immédiatement les comptes personnels et corporatifs ainsi que geler les fonds de toute personne ou entreprise qu’elles suspectent d’appuyer le « convoi de la liberté ».
Amende et prison
Quiconque ne respecte pas les décrets de la Loi sur les mesures d’urgence pourrait se voir imposer des amendes salées. Les autorités peuvent aussi emprisonner ceux qui contreviennent à la loi.
Fini les manifs illégales
Le gouvernement souhaite interdire les rassemblements qui vont au-delà des manifestations légales. « Ce que nous voyons à Ottawa et ce que nous avons vu au pont Ambassador ne sont pas des protestations légales », a dit David Lametti, ministre de la Justice.
La GRC en renfort
On permettra à la Gendarmerie royale canadienne (GRC) de faire respecter les règlements municipaux ainsi que d’intervenir dans les cas d’infractions provinciales à la grandeur du pays.
Ainsi, les agents ont maintenant le pouvoir de donner un constat d’infraction à quelqu’un qui bloque la voie publique même si la ville possède déjà un corps policier municipal.
Des remorqueurs obligés d’aider
Le gouvernement obligera des gens à rendre des services publics pour limiter les impacts des blocus sur l’économie. Par exemple, le gouvernement pourrait ordonner à des entreprises de remorquage de dégager les camions de la voie publique au centre-ville d’Ottawa. Rappelons que les entreprises de remorquage de la région d’Ottawa refusent de se mêler au conflit depuis le tout début.