Messieurs, voici pourquoi le droit à l’avortement vous concerne aussi
Andrea Lubeck
Le renversement de l'arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême pourrait entraîner l’interdiction de l’avortement dans la moitié des États aux États-Unis. Si les femmes américaines sont les premières victimes de ce recul du droit à l'avortement, les hommes hétérosexuels en seront également affectés. Messieurs, voici trois raisons pour lesquelles cet enjeu devrait vous intéresser.
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Conséquences financières
Avoir un enfant, ça coûte cher. Aux États-Unis, le simple fait d’accoucher signifie recevoir une facture de plusieurs milliers de dollars en soins de santé, qui s’ajoute aux dépenses quotidiennes pour prendre soin du bébé.
Pas étonnant, donc, que l’aspect financier soit la raison la plus souvent évoquée pour justifier le recours à l'avortement. D’ailleurs, les trois quarts des femmes qui interrompent leur grossesse ont de faibles revenus et près de la moitié vivent sous le seuil de la pauvreté.
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On devine ainsi que l’arrivée inattendue d’un enfant perturbe les finances d'un ménage. Une étude du Département de l’agriculture des États-Unis estimait en 2015 qu’il fallait débourser près de 13 000$ par année pour élever un enfant. Avec l’inflation, cette somme a, depuis, gonflé.
Et même si le géniteur n’est pas en couple avec la mère, il a tout de même des obligations financières envers l’enfant, à travers le paiement de pensions alimentaires.
«C’est un effet un peu plus indirect [de l’interdiction à l’avortement]», souligne Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.
La planification familiale fragilisée
Le renversement de Roe c. Wade pourrait ouvrir le chemin à la contestation d'autres droits de la santé reproductive, comme le recours à diverses méthodes de contraception.
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C’est que le raisonnement juridique sur lequel reposent Roe c. Wade et Griswold c. Connecticut, qui confirme le droit à la contraception, est «fondé sur l’idée d’une zone de vie privée qui permet aux gens d’être essentiellement à l’abri de l’intervention et du contrôle du gouvernement lorsqu’ils prennent ce genre de décision très personnelle», précise Jean Bae, professeure associée invitée de politique et de gestion de santé publique à l’Université de New York, en entrevue avec le quotidien américain Today.
«Quand on vient toucher à l’avortement, mais aussi à certaines méthodes de contraception, cela a un impact sur la capacité de planification familiale de toute l’unité familiale, et non pas uniquement de la femme», explique Andréanne Bissonnette.
Plusieurs études révèlent que la planification familiale constitue, après les finances, la raison la plus fréquente pour recourir à l'avortement, que ce soit parce que le moment n’est pas le bon, parce qu’un ménage compte déjà un enfant ou parce que le ou les parents ne sont pas prêts. Et le père prend part, lui aussi, à cette planification, faut-il le rappeler. Un recul du droit à l’avortement fragiliserait le droit à la planification familiale.
«La capacité de planifier combien d’enfants un homme veut avoir et quand il souhaite les avoir est le fruit du long et difficile combat mené par les femmes pour les droits à la reproduction», affirme l’autrice Liz Plank, spécialiste de la question de la masculinité, dans une lettre d’opinion publiée par MSNBC.
Un déclin de la démocratie
Le renversement de Roe c. Wade pourrait aussi avoir des conséquences sur le plan politique.
Les droits sociaux, qui comprennent notamment l’égalité des genres et les droits reproductifs et sexuels, comptent parmi les facteurs qui permettent de mesurer la santé d’une démocratie.
Et un recul de la démocratie fragilise, entre autres, la garantie d'élections équitables et libres, les droits des minorités, la liberté de la presse et l’État de droit, selon l’organisme américain de recherche sur la démocratie Freedom House.
«Les chercheurs qui se penchent sur cette question voient que le déclin de la démocratie peut s’amorcer à un moment où on retire certains droits reproductifs et sexuels, ou encore [lorsque] l’on diminue l’égalité entre les genres. En fait, c’est une étape parmi d’autres qui se suivent et qui viennent affecter l’état d’une démocratie», fait valoir Andréanne Bissonnette.
«Plutôt que de restreindre davantage l'accès à l'avortement, la tendance la plus courante dans le monde est de lever les restrictions à l'avortement. Le retrait du droit à l'avortement est rare dans les démocraties et constitue un signe de recul de la démocratie», a résumé Sophia Jordán Wallace, professeure associée en science politique à l’Université de Washington, dans une entrevue accordée au quotidien de l’université, UW News.