Même une chirurgienne esthétique ne sait pas ce que le filtre «Bold Glamour» fait à votre visage
Gabriel Ouimet
Lèvres pulpeuses, nez fin, pommettes des joues saillantes, dents ultras blanches, peau éclatante: les modifications que le filtre de TikTok «Bold Glamour» apporte à votre visage sont à ce point irréalistes qu’une chirurgienne peine à identifier toutes les procédures qui seraient nécessaires pour arriver à un tel résultat.
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«J’essaie d’analyser ce que fait le filtre, comment il modifie l’image, mais même moi, avec ma vision très esthétique, j’ai de la difficulté à comprendre tout ce qui est fait», admet la chirurgienne esthétique à la Clinique K, Joan Sauvageau.
«Il y a des choses évidentes, mais aussi énormément de détails plus subtils qui font en sorte que ces images sont complètement utopiques. Il n’y a pas de technologie qui permet tout cela à l’heure actuelle», poursuit-elle.
Mais même si ces filtres nous donnent un air invraisemblable, de plus en plus de clients se présentent à sa clinique avec des photos retouchées par l’un de ces dispositifs comme référence.
Se comparer à un filtre
«Aujourd’hui, la cliente type de 20 ans, elle ne se compare pas seulement à sa voisine, elle se compare à sa voisine filtrée, et, par le fait même, à sa propre image filtrée. Il y en a plusieurs qui me montrent une photo retouchée et qui veulent précisément ce résultat et elle s’imagine que c’est simple d’y arriver», explique la chirurgienne.
Les patientes (et les patients) consultent d’ailleurs de plus en plus jeunes, remarque Joan Sauvageau. Un rajeunissement de la clientèle qu’elle attribue en partie à la popularité des filtres comme le «Bold Glamour».
À titre d’exemple, les jeunes de moins de 35 ans représentaient 74,6% des patients dans le monde qui ont eu recours à la rhinoplastie, soit la reconstruction esthétique du nez, selon le dernier rapport de l’International Society of Aesthetic Plastic Surgery (ISAPS) datant de 2021.
Encore plus de complexes corporels
Ce qui distingue les nouveaux filtres, dont «Bold Glamour», c’est qu’il reste en place en temps réel, même quand il y a du mouvement devant la caméra.
Cette particularité, rendue possible grâce à l’intelligence artificielle, pourrait nuire encore plus à l’estime de soi de ceux qui l'utilisent, s’inquiète la psychologue spécialisée en cyberdépendance, Marie-Anne Sergerie.
«À force de se voir ainsi, quand une personne se voit au naturel, elle peut avoir tendance à se critiquer sévèrement, négativement, et à être insatisfaite de son image. C’est un contexte favorable au développement de complexes corporels et à la dégradation de l’estime de soi», souligne-t-elle.
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«Chez les plus jeunes, la popularité des filtres vient beaucoup de la récompense qu’ils tirent de ces photos. Les commentaires positifs, les émojis de feu, etc. Le problème, c’est qu’à la fin de la journée, ils savent de quoi ils ont l’air sans filtre», mentionne pour sa part la psychologue et fondatrice de l’organisme Bien avec mon corps, Stéphanie Léonard.
«C’est cet écart qui est problématique, même s’ils reçoivent des commentaires positifs. Ils savent que ce n’est pas vraiment eux», poursuit-elle.
C’est d’ailleurs un cercle vicieux: plus on utilise de filtres, plus on est complexé. Et plus on est complexé, plus on utilise de filtres. Même en sachant que cette image ne nous ressemble pas vraiment.
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Des retouches permanentes, mais une solution temporaire
Une fois que l’on sait tout ça, la chirurgie esthétique peut-elle contribuer à régler des problèmes d’estime de soi exacerbés par les réseaux sociaux et les filtres? Rarement, insiste Stéphanie Léonard.
Souvent, la première intervention ouvre simplement la porte aux prochaines, souligne-t-elle.
«Ce qu’on voit souvent, c’est qu’il y a un côté euphorisant tout de suite après une intervention, mais si on n’a pas réglé l’enjeu sous-jacent, il va revenir à la surface. On va donc bientôt ressentir le besoin de poser un autre geste du genre», explique la psychologue.
La chirurgienne Joan Sauvageau abonde dans le même sens.
«C’est utopique de vouloir ressembler à ce qui donne les filtres, par exemple en ayant des lèvres toujours plus grosses. Il faut rester réaliste et se souvenir c’est important de s’accepter un minimum, parce que la chirurgie n’est pas toujours la solution», affirme-t-elle.