Mauvaise surprise dans le bulletin: elle coule en maths malgré sa note de 72% durant l'année
Le traitement statistique du ministère lui attribue finalement une évaluation de 43%

Daphnée Dion-Viens
Une élève de quatrième secondaire qui avait obtenu une note-école de 72% en mathématiques en fin d’année a vu ce résultat chuter à 43% après avoir échoué à l’épreuve ministérielle, victime d’un traitement statistique qui est remis en question par des experts.
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Il ne s’agirait d’ailleurs pas d’un cas isolé parce que le ministère de l’Éducation affirme avoir été mis au fait de «situations particulières» et procéder actuellement «à une analyse plus poussée de la situation».
Amélie Bérubé, 16 ans, a trimé dur toute l’année pour espérer réussir ses mathématiques de quatrième secondaire. Pour cette jeune fille qui a un déficit d’attention, les maths ont toujours représenté sa bête noire, raconte sa mère, Karine Boulay.
Après plusieurs périodes d’orthopédagogie, de rattrapage et «un nombre incalculable de crises de larmes et d’angoisse», la jeune fille réussit à obtenir la note de 72% en juin. Il ne lui reste plus qu’à passer l’épreuve ministérielle pour obtenir sa note finale, elle y est presque.

Mais l’examen ne se déroule vraiment pas comme elle l’espérait, l’anxiété prend le dessus. Amélie a tout de même bon espoir d’obtenir la note finale de passage, car les épreuves ministérielles comptent pour 20% de la note finale cette année, contrairement à 50% avant la pandémie.
Au début de juillet, le verdict tombe. Amélie a obtenu 46% à l’épreuve ministérielle, mais le ministère de l’Éducation a revu à la baisse sa note-école, qui passe ainsi de 72% à... 43%. Elle est en échec.
Pour Amélie et sa mère, c’est le choc. La surprise est totale. «Ça m’a jetée à terre», lance Mme Boulay. Son ado, «roulée en boule», a alors eu envie de tout abandonner, ajoute-t-elle.
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Des notes «modérées»
Après plusieurs démarches, Mme Boulay finit par comprendre que la note-école de sa fille avait été abaissée en vertu d’un traitement statistique du ministère de l’Éducation appliqué à tous les élèves, qui existe depuis 1974. La «modération» vise à «rendre l’évaluation équitable pour tous les élèves», indique le Ministère.

Pour chaque groupe, les notes des élèves sont comparées avec celles qui sont obtenues à l’épreuve ministérielle. Si, dans le même groupe, plusieurs élèves obtiennent des résultats à l’examen bien plus bas que la note accordée par leur enseignant, celle-ci sera revue à la baisse. L’inverse est aussi vrai.
Il s’agit d’un processus, justifié selon certains, qui permet de s’assurer que les résultats des écoles valent la même chose d’un établissement à l’autre, afin d’éviter les «notes bonbons» ou les évaluations trop sévères.
Mais d’autres s’opposent à cette façon de faire, qui, à leurs yeux, accorde beaucoup trop de poids à l’examen ministériel dans le résultat final de l’élève (voir autre texte plus bas).
De son côté, le directeur de l’Institut d’enseignement de Sept-Îles, l’école secondaire privée que fréquente Amélie, défend bec et ongles le travail de son enseignante de mathématiques «super qualifiée» qui compte une dizaine d’années d’expérience.
Pour Mathieu Brien, c’est plutôt le contexte qui est en cause. Cette année, des élèves se sont moins bien préparés aux examens ministériels, puisqu’ils ne comptaient que pour 20% de la note finale, affirme-t-il.
Dans cette école secondaire, le taux d’échec aux épreuves ministérielles dans toutes les matières est d’ailleurs de trois à cinq fois plus élevé que d'habitude, indique M. Brien.
Ce dernier s’explique mal pourquoi le Ministère n’a pas modifié le processus de modération des examens cette année. «Je trouve ça difficile de voir les notes d’un élève qui a travaillé pendant dix mois être diminuées à cause d’une épreuve qui en valait 20%», laisse-t-il tomber.

Pour la mère d’Amélie, ce traitement statistique reste aussi difficile à avaler, car il pénalise des élèves qui performent mal sous pression, affirme-t-elle. «Avec cette façon de faire, le ministère fabrique des décrocheurs», lance Mme Boulay, qui a écrit au ministre Jean-François Roberge pour dénoncer la situation.
Au Ministère, on affirme vouloir évaluer la situation afin de déterminer si «des solutions pour des cas présentant des iniquités trop importantes pourraient être apportées».
Une demande de révision de notes est toujours possible, ajoute sa porte-parole, Esther Chouinard.
- Écoutez l’entrevue d’Alexandre Dubé avec Karine Boulay, mère d’Amélie Bérubé, sur QUB radio:
Un traitement statistique qui ne fait pas l’unanimité
Le traitement statistique effectué par le ministère de l’Éducation lors des épreuves ministérielles est loin de faire l’unanimité. Des experts s’y opposent, alors que des intervenants du réseau scolaire considèrent plutôt qu’il est tout à fait justifié.
Micheline-Johanne Durand, professeure à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, estime que la modération des notes «discrédite le jugement professionnel des enseignants» en accordant trop de poids à l’épreuve ministérielle dans la note finale de l’élève.
«Le ministère impose ses diktats sans nuance, je trouve ça désolant», affirme-t-elle.
Comme plusieurs autres intervenants, Mme Durand considère qu’il est grand temps que le ministère revoie sa politique d’évaluation.
Mélanie Tremblay, professeure à l’Université du Québec à Rimouski, remet elle aussi en question l’importance et la forme des épreuves ministérielles, où tout se joue en trois petites heures pour des milliers d’élèves.
Le maintien de la politique de modération vient aussi fausser l’allégement que le gouvernement voulait donner dans le contexte de la pandémie, ajoute Mme Tremblay.
Le son de cloche est toutefois différent au Groupe des responsables en mathématique au secondaire. Son président, Guy Gervais, est favorable à ce traitement statistique.
«C’est important pour s’assurer que le diplôme d’études secondaires ait la même valeur partout au Québec», dit-il.
À la Fédération des établissements d’enseignement privés, le directeur des services pédagogiques, Christian LeBlanc, défend lui aussi cette pratique qui est «tout à fait justifiée», même dans le contexte actuel, affirme-t-il.
«Le Ministère veut s’assurer que les élèves sont évalués de façon juste. Normalement, un enseignant qui respecte le programme et le cadre d’évaluation ne devrait pas trop avoir de surprises», dit-il.
Ce traitement statistique devrait toutefois être davantage connu et mieux expliqué aux élèves et à leurs parents, ajoute M. LeBlanc.
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