Le massacre de Boutcha forcera-t-il l’Occident à prendre les armes contre la Russie?
Gabriel Ouimet
La découverte de centaines de corps de civils dans des fosses communes ou jonchant le sol à Boutcha, en Ukraine, choque le monde. Cette vision d’horreur marquera-t-elle un tournant dans la guerre? S’agit-il du massacre de trop qui poussera l’Occident à prendre les armes contre la Russie? Des experts font le point.
• À lire aussi: Les Russes trahis par des photos et des images satellites à Boutcha?
• À lire aussi: Vladimir Poutine sera-t-il condamné pour crime de guerre? À quoi s’expose-t-il?
Hôpitaux bombardés, corps de soldats inanimés, mères et enfants terrorisés tentant de fuir les bombes: depuis 40 jours, nous sommes bombardés de photos et de vidéos de guerre. La violence des images provenant de la ville de Boutcha est toutefois inédite.
«Il y a un aspect très barbare: les corps retrouvés, on voit bien qu’ils n’ont pas été victimes de balles perdues ou de bombardements», souligne Marie Lamensch, membre associée à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand.
- Écouter aussi l'Ukrainienne Tetiane Polchenko en entrevue à l’émission de Philippe-Vincent Foisy diffusée chaque jour en direct 6 h via QUB radio :
• À lire aussi: La Russie se prépare-t-elle à utiliser des armes chimiques en Ukraine?
• À lire aussi: Les femmes et les enfants ukrainiens, des victimes idéales du trafic humain
«Aussi horrible que ce le soit, si on bombarde un hôpital, c’est possible de plaider qu’on croyait que des soldats s’y étaient établis, par exemple. Mais quand on retrouve des corps avec les mains liées et une balle dans la tête, c’est vraiment autre chose», poursuit celle qui est aussi coordonnatrice de projet à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia.
Le président ukrainien, Volodimyr Zelensky, a accusé dimanche la Russie de commettre un «génocide» sur son territoire, et le terme a été repris par les présidents espagnols et polonais. Ce dernier a d’ailleurs réclamé la création d’une commission d’enquête internationale sur le «génocide» en cours en Ukraine.
Bien qu’elle soutienne qu’il soit encore trop tôt pour parler de génocide en Ukraine, Mme Lamensch reconnaît que «l’accumulation de corps dans les rues et les fosses communes rappelle à beaucoup de gens des images du Rwanda».
• À lire aussi: On vous explique c'est quoi, un génocide
De son côté, la Russie nie les accusations, affirmant que les nombreuses photos et vidéos montrant les atrocités commises à Boutcha ne sont qu’une «provocation» et une «mise en scène» organisée par les États-Unis.
Le massacre de trop?
Ces images devraient créer une pression politique «très importante» sur les dirigeants des puissances occidentales, mais il ne faut pas s’attendre à ce que l’OTAN s’implique directement en Ukraine. Le risque d’un conflit nucléaire est bien réel, soutient Justin Massie, professeur de science politique à l'UQAM et codirecteur du Réseau d'analyse stratégique.
«C’est une dynamique qui rappelle grandement la guerre froide. Il faut se souvenir qu’à cette époque, les États-Unis ne sont jamais intervenus directement contre l’Union soviétique, justement par peur d’un conflit nucléaire. Ils ont plutôt armé des groupes dans les pays où les Soviétiques étaient impliqués, comme l’Afghanistan, par exemple. On pourrait donc s’attendre à ce que les livraisons d’armes à l’Ukraine augmentent, mais rien de plus au niveau militaire», analyse-t-il.
• À lire aussi: La Russie est-elle en train de perdre la guerre en Ukraine?
• À lire aussi: La Chine peut-elle (et veut-elle) mettre fin à la guerre en Ukraine? On vous explique
L’expert rappelle aussi que la volonté occidentale a des limites, malgré les nombreuses interventions armées dans lesquelles l'Occident a été impliqué ces dernières années.
«Dans les 30 dernières années, l’Occident est intervenu dans des conflits qui l'opposaient à des États plus faibles: l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Somalie, la Bosnie, le Kosovo... Les risques étaient moindres», détaille Justin Massie.
Pour cette raison, il croit que, même si l’on s’apercevait que la Russie avait commis d’autres gestes semblables ailleurs dans le pays – ce qu’il craint – et même si des accusations de génocide étaient portées, le potentiel d’action de l’OTAN demeurerait restreint.
«On accuse la Chine d’opérer un génocide contre les Ouïgours depuis quelque temps déjà, mais on n'interviendrait jamais militairement en Chine», précise-t-il.
Désaccord sur les sanctions économiques
L’escalade des sanctions devrait donc surtout se faire sur le plan économique, notent les deux experts. Mais encore là, cette question divise les pays de l’Union européenne, puisque la Russie est son premier fournisseur d’énergie fossile.
«Ce qui aurait le plus d’effet, ce serait de boycotter complètement le pétrole russe en imposant un embargo. Mais certains pays, comme l’Allemagne, sont fortement dépendants des ressources russes», rappelle Marie Lamensch.
Le scénario de l’embargo sur le gaz russe a en effet été rejeté par le ministre allemand des Finances, mardi, alors que la Commission européenne présentait à ses membres un cinquième projet de possibles sanctions économiques.
En plus de l’embargo sur des ressources naturelles russes comme le charbon, le pétrole et le gaz, les pays européens discutent de la possibilité de durcir les sanctions bancaires qui ont déjà été mises en place, et d’interdire pour 10 milliards d’euros d’exportations d’équipement industriel vers la Russie.
«Reste à voir si quelque chose sortira de ces discussions», conclut Marie Lamensch.