Martin St-Louis veut faire la différence
Jonathan Bernier
«Le bateau m’importe peu. Je me considère simplement comme chanceux d’être dans un bateau. S’il faut que je rame, je vais ramer. Un moment donné, on finira par avoir un moteur. Et le jour où je partirai d’ici, j’espère qu’on aura un yacht.»
Martin St-Louis n’est pas fou. Il savait très bien dans quelle galère il s’embarquait lorsqu’il a accepté l’offre de Kent Hughes et Jeff Gorton. En homme de défis, il voyait dans cette occasion la chance de laisser sa marque.
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«Les gens se demandent pourquoi je viens ici. Selon eux, ça ne fait pas de sens parce qu’on n’a pas d’équipe. Au contraire, je trouve que c’est le meilleur moment. C’est dans une situation comme celle-là que tu peux faire la plus grosse différence», a lancé l’homme de 46 ans.
«Quand tu arrives au sein d’une équipe de séries, comment tu mesures l’impact que tu as eu?», s’est-il demandé.
C’est une façon constructive de voir les choses. D’autant plus que St-Louis, depuis son entrée en poste, martèle qu’il est en mode enseignement.
De plus, le Canadien a officialisé l’amorce de sa reconstruction en échangeant Tyler Toffoli aux Flames de Calgary, en retour d’un choix de 1er tour et d’Emil Heineman, un jeune espoir de 20 ans, entre autres.
Une transaction qui a fait dire à Nick Suzuki : « Nous connaissons tous notre situation. Avec la nouvelle direction, nous savions que des changements allaient survenir. Ce n’est que le début.»
Voilà bien le mystère d’une reconstruction. On sait quand elle commence, mais on ignore quand elle se termine. D’ailleurs, si cette stratégie a fonctionné pour certaines organisations, d’autres se sont royalement enfargées. Bref, on n’est jamais certain du dénouement.
Ne pas brûler les étapes
«Ça, le temps va nous le dire. De toute façon, ce que les dirigeants vont faire d’ici la fin de l’année et ce qu’ils vont faire cet été, je ne le sais pas. Et ce n’est pas mon travail. Mon rôle, c’est de coacher l’équipe, de lui inculquer une culture et une éthique de travail.»
«Je ne peux pas commencer à me demander quel joueur sera là et lequel va partir. Moi, j’enseigne à ceux que j’ai sous la main. Et je sais que l’an prochain, si je suis ici, on ne partira pas à zéro. C’est ce qui est plaisant : chaque année, on pourra ajouter des choses», a-t-il poursuivi.
C’est bien beau de prôner l’enseignement et de vouloir laisser sa marque auprès d’un groupe de jeunes joueurs, mais quelqu’un comme St-Louis, gagnant de la coupe Stanley, de l’or olympique, du trophée Hart et du trophée Art Ross peut endurer ce processus pendant combien d’années? A-t-il peur que ça ne vienne pas assez vite?
«Non, a-t-il répondu. L’équipe va me le dire quand elle sera prête à passer à autre chose. Mon travail, c’est d’essayer de faire ça le plus vite possible, mais il ne faut pas brûler les étapes. C’est comme quand tu suis un manuel d’instruction. Si tu essaies d’aller trop vite, ça se peut que tu oublies quelques chapitres.»
La reconstruction du Lightning
Au cours de sa carrière de 1134 matchs dans la LNH, St-Louis en a vécu des saisons creuses. De 2008 à 2013, le Lightning a raté les séries à cinq occasions. Deux fois de suite, l’équipe a terminé à l’avant-dernier rang du circuit. Deux hivers misérables qui ont permis à la formation de repêcher Steven Stamkos et Victor Hedman, deux piliers sur lesquels le Lightning s’est appuyé pour amorcer sa reconstruction.
«Même quand il y avait de jeunes joueurs au sein de notre formation, je ne me disais pas que j’allais travailler moins fort parce qu’on était en reconstruction. Quand l’année commençait, je voulais quand même gagner, s’est-il souvenu. Les joueurs ont leur fierté. Certains jouent pour des contrats, d’autres pour obtenir de plus gros rôles. Il y a beaucoup d’enjeux.»
St-Louis a lui-même fini par être impliqué dans ce processus, en mars 2014, lorsque le Lightning l’a envoyé aux Rangers en compagnie d’un choix de deuxième ronde, en retour de Ryan Callahan, de deux choix de 1er tour et d’un choix de 7e tour. Ce printemps-là, il a atteint la finale de la coupe Stanley.
Price en gymnase
Toffoli parti, qui sera le prochain? Ben Chiarot et Christian Dvorak étaient de retour à l’entraînement, hier matin. Ils n'ont pas obtenu le feu vert pour revenir au jeu, mais ils s'entraîneront tout de même avec leurs coéquipiers cette semaine.
On peut se demander si la direction n’use pas de ce subterfuge pour éviter une blessure qui viendrait faire avorter une transaction.
Par ailleurs, le CH a dévoilé que Carey Price ne patinera pas cette semaine. Il passera plutôt du temps en gymnase.
Surpris par la proposition inattendue de Montréal
La direction du Canadien en a surpris plusieurs en embauchant Martin St-Louis au poste d’entraîneur-chef. Tellement, que même le principal intéressé a été pris de court par la proposition de Kent Hughes.
«J’ai toujours dit à ma femme que la seule chose qui me ferait arrêter ce que je faisais, c’est d’obtenir un job d’entraîneur-chef dans la LNH. Mais je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que ça n’arriverait pas tout de suite», a raconté le Lavallois de 46 ans, en entrevue avec Le Journal.
Si l’ancienne vedette du Lightning croyait bon de rassurer sa conjointe, Heather, c’est que, au cours des dernières années, des équipes l’avaient approché pour lui offrir des postes d’entraîneur-chef dans la Ligue américaine ou d’adjoint dans la LNH.
Et comme l’embauche d’entraîneur-chef sans expérience est pratiquement inexistante dans le circuit Bettman, il ne croyait pas être placé devant ce type de dilemme aussi rapidement.
«Personne n’a le courage de prendre une décision comme celle-là, mais Kent, c’est un gars à qui ça ne fait pas peur.»
Oui, St-Louis et Hughes se connaissent depuis une trentaine d’années. Le premier est allé à l’école de hockey du second alors que celui-ci étudiait encore à Middlebury College.
Quelque temps plus tard, Hughes est devenu l’agent de Vincent Lecavalier, qui allait lui-même devenir l’un des grands amis de St-Louis lors de leur passage avec le Lightning de Tampa Bay.
«Juste une vie à vivre»
Puis, au cours des dernières années, les deux se sont affrontés derrière le banc d’équipes de hockey mineur, avant que certains de leurs fils évoluent ensemble au sein du programme national de développement américain ainsi qu’avec les Huskies de l’université Northeastern.
Comme chez tous les papas d’aréna, le hockey meublait l’essentiel de leurs discussions.
«Parler de hockey et analyser des situations, on faisait juste ça», a raconté St-Louis.
Mais l’idée que ces discussions puissent, un jour, déboucher sur le poste d’entraîneur-chef du Canadien ne lui a jamais traversé l’esprit.
Dans une entrevue accordée à l’auteur de ces lignes, en novembre 2020, St-Louis avait admis qu’une carrière dans le coaching l’intéressait, mais qu’il souhaitait d’abord s’investir auprès de ses trois garçons.
D’ailleurs, il entraînait toujours les deux plus jeunes (Lucas et Mason, avec les Rangers de Mid Fairfield) lorsque Hughes lui a tendu sa proposition. Pourquoi modifier le plan de match, alors que ses deux plus jeunes rejetons évoluent encore au niveau pee-wee?
«Quand Kent m’a approché avec cette idée, ça a allumé une flamme, a-t-il admis. Hey! On parle quand même du Canadien! On a juste une vie à vivre. Ce sont de grosses responsabilités, mais ce sera une expérience de vie incroyable. Je sais que je vais tout donner.»
Une maison à rebâtir
Mais au-delà de la symbolique de coacher le Canadien de Montréal, l’équipe qu’il a chérie en admirant les prouesses de Mats Naslund, St-Louis soutient que la progression de ses fils lui permet de partir l’esprit tranquille.
«Je voulais avoir une grande influence sur leur développement, autant au niveau humain qu’en tant que joueurs de hockey. La seule manière d’y arriver, c’est d’être là tous les jours. Aujourd’hui, je suis à l’aise de prendre cette décision. Je sais que la fondation est solide. Ils sont à la bonne place mentalement et physiquement.»
C’est maintenant à la fondation du Canadien que St-Louis compte s’attaquer. Une fondation qui, comme il la lui-même expliqué, en a pris pour son rhume au cours des sept derniers mois.
«Quand tu perds une grosse partie de ta fondation avec les [Carey] Price, [Shea] Weber, [Joel] Edmundson, et que le temps devient mauvais et que ça brasse, comme ce fut le cas avec la COVID, ça se peut que ta maison ait de la misère à tenir debout.»
Et quand la maison s’effondre, il ne reste plus qu’à la reconstruire.