Manifestation libérez les seins: «Je me promène en bedaine comme certains hommes»
Julien Bouthillier
Susie Simard se souviendra longtemps de sa baignade du 6 juin 2021 au parc du Lac-Leamy, à Gatineau. Deux jeunes hommes surveillant la plage lui ont demandé de couvrir sa poitrine. Elle a refusé d’obtempérer, sachant que la loi lui permettait d’être seins nus en public. Des gardes de parc et même des agents de la GRC ont été appelés en renfort, raconte celle qui s’est sentie «harcelée» par cette intervention.
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«Ils menaçaient de me jeter en dehors du parc si je ne portais pas mon haut de maillot. [...] Je leur ai dit "Donnez-moi une contravention" pour me démontrer clairement à quelle loi j’ai contrevenu», a-t-elle raconté dimanche, en marge d’une manifestation pour «libérer les seins».
Les policiers lui avaient finalement remis un «avertissement» pour s’être conduite «de façon choquante sur les terrains de la Commission [de la capitale nationale]», la société d’État fédérale qui gère le parc du Lac-Leamy, est-il écrit sur un document qu’elle a montré au 24 heures.
«Comme c’est un avertissement, je ne peux pas contester en cour. Je ne peux pas aller défendre nos droits», se désole Mme Simard.
La femme de 61 ans qui a subi une double ablation mammaire à la suite d’un cancer du sein revendique son droit d’être elle-même.
«J’ai pas de seins, donc ça démontre encore plus la stupidité de cette chose-là que de couvrir quelque chose qui n’existe pas. C’est juste une forme qui est perçue comme un objet sexuel.»
L’histoire de Éloÿse Paquet Poisson, qui a été confrontée à une situation similaire au début du mois, alors que des policiers de Québec lui ont demandé de se couvrir la poitrine dans un parc, lui a rappelé son expérience désagréable de l’été dernier. Elle n’a pas hésité à faire la route de Gatineau à Montréal dimanche matin, avec sa fille, afin de participer à la «Manifestation subtile Libérez les seins», qui se tenait sur le coup de midi au pied du mont Royal.
Mme Simard tenait à être présente afin «d’appuyer le mouvement qui veut que les femmes soient libres de s’habiller comme elles veulent».
Féministes de mère en fille
Laura Carrelli, 17 ans, et sa mère, Sophie, étaient quant à elles venues de Vaudreuil pour encourager la cause. Laura, qui a terminé ses études secondaires cette semaine, participait à sa première manifestation.
«Le monde n’est pas assez bien éduqué et formé sur l’éducation sexuelle et sur la sexualité en général. Donc quand j’ai vu passer l’histoire de cette femme à Québec qui s’est fait interpeller par la police quand elle faisait juste bronzer seins nus dans un parc, ça me choque! Si les gars ont le droit de se promener bedaine à l’air, chest à l’air dans le parc, pourquoi est-ce que les femmes on est plus jugées par rapport à ça? Parce que oui on a le droit, mais on se fait tellement interpeller», explique Laura.
Sophie, quant à elle, est particulièrement fière du combat mené par sa fille. «Elle est féministe et fière de l’être. Elle est assumée dans ses convictions. Elle sait que ça n’a pas de sens qu’il y ait des inégalités entre les hommes et les femmes. Je l’ai élevée dans un esprit d’égalité donc ça la heurte qu’il y ait autant de deux poids, deux mesures.»
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Un changement de mentalité et non de loi
Au Québec et au Canada, il n’est pas illégal en soi d’être seins nus dans un espace public, puisque le Code criminel ne l’interdit pas expressément, selon l’organisme Éducaloi. Une ville ou une municipalité ne peut pas non plus interdire aux femmes d’être seins nus en public.
La manifestation de dimanche, à laquelle ont pris part une quinzaine de femmes seins nus accompagnées d'alliés et d'alliées, ne visait donc pas à obtenir un changement législatif, mais plutôt à normaliser la présence de poitrines dénudées dans l’espace public.
«En le faisant en gang comme ça, il n’y a pas personne qui va voir une seule personne seins nus et capoter. Ils vont se dire voyons on est obligés de l’accepter, c’est comme ça», estime l’organisatrice de l’événement, Alice Lacroix.
Des passants indifférents
Les passants rencontrés par le 24 heures aux abords du rassemblement ne voyaient pas de problème à ce que tant les hommes que les femmes retirent leur chandail pour profiter du soleil de juin, malgré le vent frisquet qui se faisait ressentir dimanche.
«On comprend parfaitement la revendication de l’égalité entre les hommes et les femmes», estime Manuel, un touriste français qui profitait du soleil pour se balader au parc du Mont-Royal dimanche.
«C’est de la discrimination de ne pas autoriser les personnes qui ont des seins à se mettre torse nu», selon Cléo et Marie, qui pique-niquaient à proximité.
«Moi, je ne le ferais pas parce que je suis trop pudique, mais les autres s’ils veulent le faire pourquoi pas, ça ne me dérange pas pantoute», estimait pour sa part Claudine, une Lavalloise de passage pour profiter des tams-tams du dimanche.