Luc Provost, l’interprète de Mado Lamothe, revient sur son passage déterminant à La vraie nature
Erick Remy
Le Québec connaît un incroyable engouement pour les drag-queens. Elles sont de toutes les émissions et de tous les événements, et elles attirent les foules: Rita Baga, Barbada de Barbades, Gisèle Lullaby, Mona de Grenoble et, bien sûr, Mado Lamotte. Depuis plus de 35 ans, cette dernière et son alter ego, Luc Provost, ont ouvert la voie à une nouvelle génération de drags tout en faisant tomber les préjugés à leur égard.
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«Je n’aime pas m’attribuer ce mérite d’avoir ouvert la voie et cette acceptabilité sociale. Je dirais plutôt que c’est, entre autres, à cause de Mado plutôt que grâce à elle. C’est sûr qu’en sortant du Village, en étant à la télé ou en faisant des bingos à travers le Québec, elle a ouvert des portes. Pour beaucoup, les drag-queens n’étaient que des bibittes étranges, des amuseurs à temps partiel. Aujourd’hui, les gens réalisent, en voyant tout le travail qu’il y a derrière notre art, qu’on est des artistes à part entière», explique Luc Provost, créateur et interprète de la célèbre Mado Lamotte. Cette discipline artistique exige, pour en atteindre les échelons supérieurs, une maîtrise, un dévouement et un investissement de temps et d’argent parfois colossal, ce que confirme Luc. «Ça prend de la rigueur, de la discipline et du talent. Il ne s’agit pas simplement de se maquiller, de revêtir une robe et de porter une perruque. Quand on fait du personnage, c’est-à-dire des célébrités, il faut faire de la recherche pour être le plus ressemblant possible. Si on fait de l’humour, on doit écrire ses textes. Et c’est, bien sûr, important de maîtriser l’art du maquillage et, souvent, il faut faire soi-même ses costumes de scène. Il faut être créateur, concepteur et interprète.
Une question de tolérance
Bien que notre société soit plus ouverte et plus inclusive, il y a des gens, surtout sur les réseaux sociaux, qui se sont indignés qu’on confie à des drag-queens la lecture de contes pour enfants, par exemple. Avec modération et justesse, Luc leur répond. «C’est de l’ignorance. Ils ne font pas la différence entre une drag qui fait un spectacle dans un bar à 22 h devant un public avisé et celle qui débarque à 8 h le matin pour raconter une histoire aux enfants. Même les humoristes s’adaptent à leur public. Quand on ouvre des portes, d'autres essaient de les refermer.»
Il raconte comment il en est venu à s’immuniser contre les regards réprobateurs et les préjugés. «Ç’a toujours été normal d’être qui je suis. Mes parents et moi n’avons pas eu à en parler. Avant qu’ils ne me voient en drag, je leur disais que je travaillais dans un bar. C’était vrai, mais ils ignoraient que j’étais shooter girl! La première fois qu’ils m’ont vu en Mado, c’était dans le cadre du Festival Juste pour rire, où je faisais des bingos dans le Vieux-Port. À la fin, ma mère m’avait dit qu’elle m’avait trouvé drôle, et mon père s’était éloigné pour pleurer. C’était un grand émotif. Il était fier de moi. Mon côté comique me vient de lui. Quant à ma maman, Pauline, âgée de 97 ans, j’ai hérité d’elle mon côté extraverti, épicurien et bon vivant. Depuis l’an dernier, à la suite de la diffusion de La vraie nature, elle se vante, à sa résidence, d’être ma mère et celle de Mado! (rires)»
Avant cette émission, il avait toujours refusé de se montrer au naturel. «J’ai toujours tenu à ce que Mado soit une entité à part entière.» À la suite de son passage, il s’est produit quelque chose d’inespéré. «En entrevue, on nous demande toujours combien de temps ça prend pour se préparer, comment c’est d’être une drag, etc. Mais Mado ne peut répondre à ces questions. Elle n’est pas drag-queen, elle est juste Mado! C’est l’actrice, la chanteuse, la danseuse. Je tenais à ce qu’on fasse la différence entre elle et moi. À La vraie nature, j’ai exprimé le souhait de pouvoir un jour jouer au théâtre en tant que Luc Provost. Cet automne, je serai de la distribution de Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres au théâtre Le Trident, à Québec. Un mash-up de deux pièces de Michel Tremblay. Je jouerai Hosanna», dit-il en ajoutant qu’à la mi-octobre, sa «Madographie» (biographie) sera lancée.
Elle et lui
N’allez pas croire que Luc veut mettre Mado de côté; au contraire, il adore ce qu’elle lui fait vivre depuis 35 ans. «Quand je vois des salles, même en région, pleines de gens qui hurlent son nom, c’est grisant. Contrairement à d’autres personnages, Mado est encore très aimée et elle est largement suivie sur les réseaux sociaux. Mais le succès n’est jamais acquis: on doit sans cesse aiguiser son talent et se renouveler. J’essaie de garder Mado actuelle. C’est difficile, car j’ai deux types de public. Les jeunes n’ont pas les mêmes références. Ils ne connaissent pas Dalida, Michèle Richard ou les grands classiques. Leur humour est basé sur le moment et l’actualité. Deux semaines plus tard, la blague est désuète, mais on peut éduquer les gens», précise l’artiste qui est aussi propriétaire du Cabaret Mado, qui vient de fêter ses 21 ans.
Situé en plein cœur du quartier gai de Montréal, l’endroit, qui compte 30 employés réguliers et met en vedette près de 50 drag-queens, est devenu un incontournable pour quiconque veut se plonger dans une atmosphère festive. Sept jours sur sept, il accueille des gens de partout, de tous les âges, issus de toutes les couches de la société. «Au début, le cabaret était surtout fréquenté par la communauté LGBTQ+. Puis, graduellement, tout en conservant ses clients plus âgés, les 25 à 40 ans — des couples, des célibataires, plus de femmes que d’hommes — ont commencé à affluer. Depuis la pandémie, à cause du couvre-feu, l’heure du spectacle de fin de soirée au cabaret, qui était jadis à 23 h, a été devancée à 21 h. Les gens assistent au spectacle et, parfois, ils restent pour danser. Jamais je n’aurais cru qu’un jour je pourrais me coucher avant minuit!» dit-il, heureux de ce changement de rythme. Si Mado n’a que 35 ans d’âge, son interprète, lui, ne rajeunit pas. Se voit-il un jour tirer sa révérence? «On peut être drag très longtemps. Guilda l’a fait jusqu’à 88 ans. Je compte vivre jusqu’à 100 ans. Vers 75 ans, je commencerai à en faire moins!»
Le théâtre Le Trident présentera Hosanna ou la Shéhérazade des pauvres du 12 septembre au 7 octobre.
On s’informe sur le Cabaret Mado.