Louise Portal révèle les trois rencontres fondamentales dans sa vie
Michèle Lemieux
L’existence de Louise Portal est marquée par trois relations qu’elle identifie comme étant les fondements de sa vie. Dans une biographie intitulée Aimer, incarner, écrire, l’actrice, chanteuse et romancière raconte sa carrière remarquable, ses amours flamboyantes, ses réflexions profondes, mais nous invite aussi à découvrir cette part d’intimité dans son lien à sa sœur jumelle, à son père et à son mari.
Louise, à la lecture de votre livre, on constate comme vous avez touché à tout durant votre carrière: chanson, télé, cinéma, écriture.
Oui, je suis polyvalente. Je m’exprime par la création. J’ai recommencé à dessiner durant la pandémie, j’ai même mis quelques dessins dans le livre. Enfant, je dessinais beaucoup. Ma coach, Catherine Jalbert, qui était la meilleure amie de ma sœur jumelle, Pauline (Lapointe, qui était actrice), dit qu’avec les mots, je suis dans mon élément, qu’ils soient chantés, écrits ou échangés dans le cadre d’une conversation.
Ça vous impressionne de dresser le bilan d’un parcours aussi rempli que diversifié?
Je pense que j’ai fait ma place. À cause de mon lien gémellaire, me distinguer a été mon moteur. Jusqu’à ce que je puisse m’affranchir, on nous appelait «les jumelles». Au moment où j’ai décidé de faire du théâtre amateur à Chicoutimi, puis de venir à Montréal, je me suis révélée à moi-même. Je pouvais me distinguer. Changer de nom a aussi été important pour trouver mon unicité.
Le lien symbiotique qu’entretiennent les jumeaux fait beaucoup rêver, alors qu’il peut être porteur de souffrances...
Oui, même le coauteur du livre, Samuel, disait qu’on s’imagine qu’être jumeau, c’est extraordinaire. Habituellement, les jumeaux identiques sont fusionnels, à part quelques exceptions. Pour les non identiques, c’est différent. Il y a un besoin de s’affranchir. L’un veut fusionner, l’autre non. C’est ce qu’il faut arriver à traverser de la façon la plus positive possible. Mais c’est sûr qu’il y a des écueils.
Cette relation vous a donné la pulsion nécessaire pour affirmer votre différence?
Je crois que oui. Toutes les épreuves nous permettent de mesurer notre capacité à rebondir. Si on ne veut pas être victime des événements, il faut avancer. Aujourd’hui, je travaille sur l’humilité. J’ai tellement voulu de reconnaissance — et je l’ai eue —, qu’il est temps de passer à autre chose. Être née avec Pauline, c’est le fondement même de ma vie. C’est «la» rencontre de ma vie... (Louise s’arrête, émue.)
C’est encore douloureux?
Oui. Pauline, mon père et Jacques (Hébert, son mari), ce sont les trois rencontres fondamentales de ma vie. L'une a été difficile, celle avec Pauline. Celle avec mon père a été très motivante et inspirante. Il m'a reconnue, aimée, poussée. Et Jacques, pour sa part, a guéri toutes les blessures. J'ai été chanceuse.
Ce lien à votre père est très intime pour un homme de sa génération.
C’est pour cette raison que Les mots de mon père (sorti en 2005), qui portait sur notre correspondance, a eu un tel écho. Beaucoup de femmes de ma génération n’ont pas eu le privilège d’avoir une relation d’intimité spirituelle, intellectuelle avec leur père. Le mien était médecin, mais c’était un artiste. Nous étions très proches. Comme j’ai été pensionnaire et que j’ai été la première à quitter le nid familial, nous avons entretenu une correspondance. Mon père était écrivain. Il adorait nous écrire. J’ai pris son nom de plume, Portal. Alors, que je le veuille ou non, il y a une grande identification au père... Le mien m’a fait des confidences que les lecteurs et lectrices découvriront dans mon livre.
Ces confidences nous permettent d’entrevoir la profondeur du lien que vous partagez.
Tout à fait. C’est pour cette raison que ç’a été si dur de remplacer la figure paternelle dans ma vie. La majorité des femmes disent que le premier homme de leur vie, c’est leur père. Le mien avait tellement de qualités que la barre était haute... Je ne faisais jamais les bons choix amoureux, car ceux que je choisissais ne ressemblaient en rien à ce père. J’ai mis du temps avant d’achever mon deuil. Je me souviens d’un moment avec Jacques, durant les premiers mois de notre relation. J’avais mis mes grandes bottes noires en suède. J’étais tout habillée de noir. Jacques a noué un ruban jaune sur chacune de mes cuissardes et m’a amenée devant un miroir. On ne voyait que ces rubans qui tranchaient sur le noir. Jacques m’a alors dit: «Regarde-toi, Louise. Ton deuil n’est pas terminé. Tu as encore à faire le deuil de Cordélia (film sorti en 1980, dont elle tenait le rôle-titre), de ta passion amoureuse, de ton père.» Ça m’avait tellement interpellée. Il avait raison...
Comment avez-vous réussi à faire le deuil de votre père, si vous y êtes parvenue?
Oui, j’ai réussi. Le deuil de Pauline est fait, lui aussi. Ça ne veut pas dire que je ne pleure pas, parfois. Mais je suis en paix avec tout ce qui a été. À force de vivre avec Jacques, j’ai compris que c’était un homme avec lequel j’allais être heureuse, avec lequel j’aurais toujours une grande complicité spirituelle. J’ai, avec lui, la complicité, l’intimité, la spiritualité que j’avais avec mon père.
Dans votre livre, on se rend compte que...
Je suis une grande amoureuse! (rires) J’ai eu une vie de séductrice. C’est pour cela que le sous-titre est Aimer, incarner, écrire. Ce sont trois mots qui me définissent très bien. Aimer la vie, les êtres, mon métier... Comme si l’arrivée de Jacques dans ma vie m’avait fait comprendre que la place était libre: je pouvais aimer intensément et pour toujours cet homme-là.
Votre mère a-t-elle envié cette relation avec votre père?
Non, mais peut-être que j’aurais voulu avoir toute la place dans le regard du père. Mon père était un bon père, il aimait tous ses enfants, était formidable avec ma mère. Ce lien était tellement fort avec lui que j’ai délaissé ma mère. Mais j’ai eu le temps de me rapprocher. Quand elle a eu le cancer, je l’ai amenée à La Malbaie et l’ai fait chanter dans le hall d’entrée avec un piano à queue. Elle qui en avait rêvé! Comme toutes les femmes de sa génération, elle n’a jamais poursuivi ses rêves. Elle s’est occupée de sa famille.
Comment avez-vous fait le deuil de la maternité?
Lorsque j’ai fait ma première fausse couche, je ne désirais pas être enceinte. J’avais 22 ans. La deuxième est survenue à 45 ans, alors que j’étais avec Jacques. J’ai trouvé ça dur, car ma sœur et ma belle-sœur étaient enceintes. Jacques a proposé de faire un rituel: ça m’a aidée à faire le deuil. La vie m’avait montré que la maternité n’était pas pour moi. Avec le temps, j’ai réalisé que la vie allait donner plusieurs enfants à l’actrice que je suis...
Sa biographie Aimer, incarner, écrire, publiée chez Druide, est écrite en collaboration avec Samuel Larochelle. L’autrice sera présente à différents salons du livre, dont celui de Montréal, en novembre. Elle participera au Festival Québec en toutes lettres, où elle offrira deux ateliers sur l’écriture de la correspondance et une table ronde les 21 et 22 octobre. Elle tourne dans la série Web La dernière communion et a tourné, au printemps, dans les films Le jour où le dromadaire est parti, de Geneviève Sauvé, et Le grand vide, de Jessy Dupont.