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«Longtemps, j’ai détesté m’habiller»: pas facile de trouver des vêtements quand on est une personne grosse

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Photo portrait de Genevieve            Abran

Genevieve Abran

2022-07-28T11:00:00Z
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Manque de choix, vente en ligne uniquement, prix gonflés: pas facile de s’habiller comme on veut quand on est une personne grosse, regrettent des femmes qui dénoncent un manque de considération de l’industrie de la mode.  

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«Longtemps, j’ai détesté m’habiller, parce que, pour moi, aller dans un magasin, c’était comme aller lutter. Je devais faire la guerre aux vêtements», lance la blogueuse Nadia Tranchemontagne.   

«Si je demande à une personne qui porte du small ou du medium où elle magasine, elle peut me répondre qu’elle va n’importe où. Nous, il faut qu’on vérifie avant, et si on rentre dans un magasin et que ce n’est pas notre taille, on a droit au regard des personnes qui travaillent là», poursuit-elle.   

Une offre réduite au Québec 

Ce manque d’offre, Nadia Tranchemontagne est loin d’être la seule à le subir.   

«En magasin, j’ai vraiment très très peu de choix. Je pense que je peux m’habiller dans deux ou trois magasins, c’est vraiment peu», se désole la photographe Julie Artacho. Parmi les adresses qu’elle fréquente le plus: le magasin québécois Penningtons, qui vend exclusivement des vêtements taille plus, c’est-à-dire qui vont de la taille 14 à la taille 32. 

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Dans les autres chaînes de vêtements, l’offre, qui était déjà limitée avant la pandémie, s’est amenuisée dans les derniers mois.   

Les boutiques Old Navy, par exemple, ont récemment arrêté de vendre plusieurs de leurs vêtements de grande taille en magasin. Ceux-ci sont dorénavant uniquement accessibles en ligne. Les boutiques Addition Elle ont fermé leurs portes pour de bon l’an dernier, alors que l’Aubainerie a retiré sa collection taille plus à l’été 2020.   

«Avoir de la difficulté à s’habiller, avec tout le choix qu’on a aujourd’hui, avec toutes les boutiques qui existent, c’est vraiment un problème», regrette Sandra Muñoz Diaz.   

Sandra Muñoz Diaz
Sandra Muñoz Diaz MARTIN ALARIE / AGENCE QMI

Pour remédier à la situation, la Montréalaise, qui a étudié en design de mode, a ouvert en 2018 Mala MTL, une friperie de vêtements allant des tailles 14 à 6X. L’objectif: permettre aux personnes grosses de se vêtir à un coût réduit, en plus de redonner une seconde vie à des vêtements qui se retrouveraient autrement à la poubelle.   

Elle vend ses morceaux en ligne, sur le compte Vinted de Mala MTL, et en personne, sur rendez-vous.   

Il est possible de magasiner en personne chez Mala MTL en prenant rendez-vous.
Il est possible de magasiner en personne chez Mala MTL en prenant rendez-vous. Photo Martin Alarie

Pas de léopard pour les gros? 

Pour Helen Brunet, directrice développement stratégique et opérations chez Vestechpro, un centre de recherche en habillement affilié au Cégep Marie-Victorin, la décision que prennent plusieurs enseignes de ne pas vendre de vêtements taille plus relève du «gros bon sens».   

«La décision des entreprises de ne pas produire tous les types de vêtements dans toutes les tailles n’est pas liée à la discrimination, mais elle est liée au gros bon sens», estime-t-elle.   

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À son avis, «il y a certains vêtements qui ne sont pas appropriés pour des vêtements de taille plus», ce qui explique que l’offre soit différente pour ces personnes.  

Aux yeux de l’industrie de la mode, une personne qui pèse 325 livres ne devrait pas porter un ensemble tout en léopard, comme une personne qui porte du XXXL ne devrait pas se baigner dans un maillot de bain rose fluo avec des fleurs jaunes, indique Helen Brunet.  

«Une personne qui est plus petite, qui est plus grande ou plus en rondeur sur certaines parties de son corps va devoir prendre en considération ces caractéristiques-là pour bien choisir ses vêtements», croit-elle.   

«Ça n'a peut-être pas de sens pour les concepteurs de développer certains modèles de vêtements dans certaines tailles, parce que ce n’est juste pas joli, ce n’est pas saillant», ajoute-t-elle.   

Un moyen d’expression 

Ces diktats de la mode, Nadia Tranchemontagne, Julie Artacho et Sandra Muñoz Diaz les rejettent pourtant du revers de la main. Les vêtements sont, pour elles comme pour tout le monde, une manière de s’exprimer. Mais ce n’est pas toujours facile d’en trouver à leur goût.   

Devant le peu d’options à prix raisonnable, plusieurs femmes grosses n’ont d'autre choix que d’opter pour des vêtements plus simples, qui ne correspondent pas nécessairement à leur style.   

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«Les vêtements, c’est une manière de s’exprimer, souligne Julie Artacho. Quand tu peux t’exprimer seulement avec des vêtements qui sont plus ou moins qui tu es, c’est un peu tough de prendre ta place, surtout quand tu te sens un peu moche dans les vêtements que tu portes.»  

Julie Artacho
Julie Artacho Photo Martin Alarie

«Comme c’est beaucoup de basics [des vêtements simples, des essentiels], qu’il y a beaucoup de femmes taille plus au Québec et qu’on a deux boutiques, on s’habille toutes pareil», déplore pour sa part Sandra Muñoz Diaz.   

Parfois, elle a l’impression de devoir s'habiller comme sa tante ou sa grand-mère.  

Virage en ligne forcé  

Malgré les nombreux obstacles, il y a de l’espoir. Les trois femmes avec qui nous avons parlé s’entendent pour dire que la montée en popularité du mouvement body positivity, notamment sur les réseaux sociaux, a eu un effet positif sur l’offre vestimentaire.   

Mais certains irritants demeurent.   

Pour se procurer des vêtements, les personnes grosses doivent la plupart du temps se tourner vers le magasinage en ligne. Et ce n’est pas toujours évident de s’y retrouver, puisque les grandeurs varient énormément d’une marque à l’autre.   

«Ça reste beaucoup d’étapes que les gens qui peuvent magasiner en magasin n’auraient pas à faire», mentionne Julie Artacho.  

Selon Helen Brunet, l’offre de vêtements taille plus en boutique est limitée, parce que la demande n’est pas suffisamment grande.  

Ce n’est pas tout: les options de vêtements taille plus sont souvent plus chères, ce qui incite les personnes grosses à se tourner vers le fast fashion, déplore Nadia Tranchemontagne.   

«Je pense que ça serait très difficile de dire moralement aux personnes grosses qu’elles ne devraient pas porter de fast fashion. La mode plus éthique est extrêmement chère et ça demande des moyens. Ce n’est pas tout le monde qui peut se le permettre», conclut-elle.   

Au sujet des prix, Helen Brunet avance que la différence de prix à la caisse peut s’expliquer par la plus grande quantité de tissu qui serait nécessaire pour réaliser les morceaux de grande taille, ainsi que la spécialisation que leur confection requiert.  

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