Biographie de Karl Lagerfeld: Percer le mystère du grand designer


Louise Bourbonnais
Il est perfectionniste à l’excès, brillant stratège, mais aussi distant, voire hautain, ce qui en fait un être énigmatique. Mais derrière cette image fabriquée de toutes pièces, se trouve un grand designer qui a cumulé les succès comme en témoigne son règne de 36 ans à la tête de la maison Chanel, qu’il a remise sur les rails alors qu’elle était à deux doigts de la faillite. Décédé à 85 ans, le grand couturier, Karl Lagerfeld, qui était aussi photographe, s’est éteint en toute discrétion.
En observant les nombreuses photos qui figurent dans cette biographie, on a un peu de mal à admirer cet homme aux allures sombres. Toujours habillé de noir, il ne sourit jamais et ses lunettes noires, qu’il porte de jour comme de soir, nous empêchent de percevoir son regard. Impossible de le trouver sympathique avec son visage figé comme une statue, à la limite de l’arrogance. Pourtant, en lisant la biographie écrite par William Middleton, c’est une tout autre personnalité que l’on découvre.

William Middleton
Éditions Bouquins
514 pages
L’auteur, qui a mené de nombreuses entrevues avec de proches collaborateurs et amis de Karl Lagerfeld, écrit que, derrière cette image qu’il prenait plaisir à façonner, se cachait un homme chaleureux, drôle et sensible.
Il n’en demeure pas moins qu’il est raffiné, mais surtout autoritaire par choix, sa façon à lui de se faire respecter dans un monde aussi superficiel que lucratif.
« Ç’a été un grand défi de capturer le créateur tel qu’il était réellement », écrit l’auteur qui a déjà rencontré Lagerfeld en 1995, alors qu’il était chef du bureau de Women’s Wear Daily.
Né en Allemagne en 1933 dans une famille prospère, Karl Lagerfeld a tous les atouts pour assouvir ses idées de grandeur. Son père avait fait fortune comme importateur, tandis que sa mère était autrefois membre du parti nazi. Tout comme ses parents, il est polyglotte, parlant couramment l’allemand, l’anglais et le français.
À seulement quatre ans, pour son anniversaire, il demande à ses parents d’avoir son propre valet, une voiture et un chauffeur. Outre ses goûts richissimes, il s’intéresse au dessin. À cinq ans, il dessinait des robes, puis Christian Dior deviendra son modèle à suivre.
Une vie mondaine
À 19 ans, il part pour la France afin de lancer sa carrière tout en suivant des cours d’illustration de mode. Outre le design de mode, il s’intéresse à la photographie, au design d’intérieur et aux défilés de mode, surtout ceux qui sont extravagants. Quelques mois plus tard, il gagne déjà un prix, ce qui lui permet de se faire une place chez le couturier Balmain. Puis, suivent Jean Patou, Chloé et Fendi avant qu’il lance sa propre marque.
Finalement, en 1983, il assure la direction de Chanel. Avant son arrivée, Chanel ne possédait qu’une seule boutique et les parfums représentaient environ 90 % de son activité.
Au cours de son règne de 36 ans, Lagerfeld fait passer l’entreprise de la quasi-faillite à un chiffre d’affaires de 11 milliards $ US (plus de 15 milliards CAD).
À la lecture de sa biographie, on comprend qu’il a complètement réinventé Chanel tout en conservant son style classique si unique.
Au passage, le grand couturier allemand a habillé les grandes stars et toutes lui vouent un très grand respect. Nicole Kidman, qui a d’ailleurs été l’égérie du parfum n° 5, figure parmi la liste des nombreuses stars habillées par Lagerfeld.
Véritable bourreau de travail, méticuleux au point d’en être maladif, Karl Lagerfeld œuvra pratiquement jusqu’à son décès en 2019, à l’âge de 85 ans, en demeurant à la tête de la prestigieuse maison de haute couture Chanel, y travaillant toujours avec acharnement.
Un grand excentrique
L’excentricité fait aussi partie de sa vie. Il ne faisait rien comme les autres. Il a pratiquement toujours voyagé en jet privé, refusant de monter dans un avion commercial principalement pour ne pas avoir à retirer ses chaussures et sa ceinture devant le public au point de contrôle. « Ce n’est pas classe », doit-on comprendre.
Grand dépensier, il dilapide ses biens jusqu’à frôler la ruine.
Tout est un peu étrange chez Lagerfeld. Son style, sa façon de penser, sans parler de sa relation avec l’amour de sa vie, Jacques de Bascher, décédé des suites d’une maladie liée au sida en 1989 et qui était l’amant de son ennemi juré, Yves Saint Laurent.
Lagerfeld a passé les derniers mois de sa vie en solitaire luttant secrètement contre le cancer de la prostate. À son décès, il a laissé une grande fortune et des instructions strictes à l’endroit de sa chatte Choupette, un sacré de Birmanie dont il était amoureux fou. Elle a son propre compte Facebook et Instagram. « Elle ne manquera jamais de rien », avait-il affirmé en entrevue peu avant sa mort.