Des étudiants nous racontent comment leur vie est bousculée par les mesures sanitaires
Genevieve Abran et Anne-Lovely Etienne
Après deux ans de pandémie, les impacts des mesures sanitaires se font de plus en plus sentir sur les jeunes Québécois et Québécoises. On a demandé à quelques-uns d’entre eux de nous partager leur réalité.
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Rosie Héroux, 20 ans, Montréal
Les mesures sanitaires plus sévères, comme un confinement, font retomber Rosie Héroux «dans [ses] vieilles habitudes». Lorsqu’elle doit s’isoler chez elle, elle boit et fume plus, autant de la cigarette que du pot. Ses troubles alimentaires sont aussi plus importants lorsqu’elle doit s’isoler, remarque la jeune femme de 20 ans.
Le stress qu’occasionne la pandémie affecte aussi sa motivation pour l’école. «J’adore mon programme, mais j’ai failli lâcher parce que j’étais trop submergée par tout ce qui se passait autour de moi», confie l’étudiante en technique de construction textile. Son trouble d’attention fait en sorte qu’elle redoute particulièrement les cours en ligne.
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Rosie reconnait avoir de plus en plus de difficulté à être «docile» face aux mesures sanitaires comme elle l’était au début de la pandémie. Elle questionne surtout l’efficacité du couvre-feu. Même si elle ne sort pas normalement durant ces heures, elle n’aime pas être brimée de sa liberté.
«J’ai l’impression que je suis passée à côté de tellement de choses. D’avoir perdu deux ans de ma vie», admet-elle. Après deux ans à faire tous les efforts nécessaires, elle se sent exaspéré d’un retour du confinement. «Je ne vois pas la fin.» Elle avait aussi hâte de vivre plusieurs expériences qu’elle a dû mettre de côté en raison de la pandémie.
«Chaque individu a le poids de la santé de tout le monde sur ses épaules», dit-elle, une réalité qui pèse bien lourd.
Erline Desrosiers, 23 ans, Montréal
Depuis mars 2020, Erline Desrosiers doit s’ajuster à ses cours au baccalauréat à l’UQAM en gestion de ressources humaines donnés en ligne. Ce n'est pas le meilleur contexte pour apprendre, dit-elle.
«La réalité, c’est que je vis avec toute ma famille. J’entends ma sœur qui travaille en vidéoconférence, ma grand-mère qui fait ses appels à sa famille en Haïti, et moi, il ne me reste que ma petite chambre.»
Elle vit en plus avec des troubles d’apprentissage, ce qui augmente le défi dans son cas. Durant le pic de la pandémie au printemps 2020, plusieurs de ses professeurs ont abandonné l’enseignement en ligne en optant plutôt pour des lectures obligatoires en format PDF.
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«Personnellement, je trouvais ça dur parce qu’écrire et lire c’est long pour moi, donc imaginez à distance», dit-elle.
« On était laissés à nous même. Ça fait que je procrastine beaucoup et je manque de motivation», témoigne celle qui a hésité à poursuivre ses études.
La Montréalaise trouve aussi dommage de ne pas avoir eu la chance de côtoyer d’autres élèves de sa cohorte, qui sont, pour plusieurs, démotivés comme elle.
«Je ne me suis pas fait d’amis à l’université à cause de la pandémie... Je parle avec d’autres élèves et je vois que c’est tough et ils procrastinent aussi», conclut-elle.
Loïc Vachon-Lincourt, 23 ans, Montréal
Alors que Loïc Vachon-Lincourt s’apprête à commencer sa maitrise en administration des affaires – en ligne – à l’hiver, il s’inquiète de ne pas avoir l’occasion de rencontrer des jeunes professionnels comme lui et de s’établir un réseau. «C’est un handicap de ne pas connaître toutes sortes de personnes.»
Après avoir complété son baccalauréat en administration des affaires en avril, Loïc Vachon-Lincourt «avait besoin d’un break» à l’automne dernier.
«J’avais un peu l’impression de suivre des cours sur YouTube», se rappelle-t-il, ce qu’il trouvait très démoralisant et démotivant. Il s’est aussi ennuyé de l’entraide à laquelle il avait été habitué dans les salles de classe. Loïc et ses collègues de classe avait l’habitude de former des groupes d’études pour se préparer aux examens.
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L’absence de socialisation a été «vraiment déprimante», confie-t-il. C’est difficile pour lui de ne «pas pouvoir vivre dans une communauté». Il se réjouit d’avoir gardé contact avec quelques amis proches, même s’il a perdu contact avec plusieurs camarades de classe.
Loïc remarque toutefois que la santé mentale est rendue un sujet «plus facile d’approche» avec ses amis de sexe masculin.
Carolann Tanguay, 14 ans, Sept-Îles
Carolann Tanguay avait 12 ans au début de la crise sanitaire. Elle a l’impression «qu’on ne pourra jamais revenir comme avant», et juge que ce sera difficile de ne pas en sentir les impacts à long terme.
Cette élève de secondaire 3 affirme que son estime personnelle a été ébranlée durant la pandémie. L’adolescente de 14 ans a toujours aimé prendre soin d’elle, de ses cheveux et de son visage. Avec le port du masque en classe, elle a commencé à avoir plus de boutons, ce qui la complexe. «Je me sens moins belle sans mon masque», pense-t-elle.
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La jeune fille, qui habite à Sept-Îles, remarque aussi que les mesures sanitaires affectent de plus en plus sa santé mentale, et que c’est plus difficile d’établir des relations avec les autres. «Je ne vais pas parler de ma vie personnelle à 2 mètres. On dirait que le lien avec la personne est moins là.»
Elle comprend que les mesures sont nécessaires pour sortir de la pandémie, mais sa motivation à les respecter s’amenuise avec le temps, dit-elle.
«On se sent contrôlés, on sent qu’on a moins de liberté, mais on sait que si on ne le fait pas, on aura encore moins de liberté», résume-t-elle.
Rébecca Joyal, 21 ans, Montréal
Rébecca Joyal craint qu’elle n’aura pas toutes les connaissances nécessaires pour exercer son métier à la fin de sa technique de physiothérapie en raison de l’enseignement en ligne. «Mon diplôme va valoir quoi à la fin de mes études?» s’interroge-t-elle.
Les mesures sanitaires ont fait «dégringoler» la santé mentale de Rébecca Joyal. Et c’est lorsqu’elles sont les plus sévères que son état psychologique se porte le moins bien, remarque la jeune femme de 21 ans.
«C’est plate d’avoir tout le temps des mesures sanitaires, mais je comprends l’urgence de la situation», souligne-t-elle.
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Avec ce nouveau confinement et un début de session en ligne à l’horizon, elle craint que sa motivation dans ses études s’effondre. La cégepienne se compte chanceuse d’avoir des cours en présentiel qui lui ont notamment permis de créer des liens avec les autres.
Malgré les difficultés, Rébecca reste optimiste. «Ça va être dur jusqu’à la fin de la pandémie, mais après on va revenir à la normale».
Elle se désole de voir que le gouvernement néglige les jeunes qui sont aux études supérieures dans la pandémie.
Joséphine Vilna, 19 ans, Terrebonne
Joséphine Vilna étudie en architecture au Collège Dawson. Les cours en ligne sont un véritable fardeau pour elle.
«J’ai enfin l’opportunité de vider mon sac!» a-t-elle même lancé quand on l'a contactée.
«Je trouve ça difficile. J’étais une excellente élève qui suivait des cours de maths, de chimie et de sciences physiques, mais là, avec les cours en ligne, je ne comprends rien», admet-elle.
Joséphine a l'impression que son éducation est brimée, et elle craint de ne pas être à la hauteur sur le marché du travail. Elle ressent aussi une pression d’exceller en tant qu’étudiante issue de l’immigration.
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«On a déménagé ici en 2009 à d’Haïti. Ma sœur et mon frère sont tous les deux ingénieurs. Je dois moi aussi réussir. Je trouve ça très épeurant», dit-elle, la voix chancelante.
Elle se désole aussi de n'avoir pas pu assister à son bal de fin d'année il y a deux ans.
«Je n’ai même pas eu le temps de dire au revoir à mes amis.»
Sydney Moncho, 22 ans, Terrebonne
Depuis le début de la pandémie, Sydney Moncho a vécu plusieurs crises de panique. Celle qui est en année préparatoire pour un baccalauréat en enseignement remarque que son anxiété monte en flèche quand les mesures sanitaires sont plus sévères.
Elle souhaiterait consulter un psychologue, mais c’est un service très coûteux. «C’est soit que je prends soin de ma santé mentale, soit que je me nourris», dit-elle.
À la suite d’un cancer de la thyroïde, Sydney a «le système immunitaire d’un enfant de 12 ans». Elle fait donc particulièrement attention pour ne pas contracter la COVID-19. Avec le divorce de ses parents après 23 ans de mariage, Sydney affirme avoir vécu une «année de bouette».
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«J’ai pris beaucoup de poids, j’ai mangé mes émotions», avoue-t-elle.
Ses performances scolaires ont aussi été affectées. L’étudiante de 22 ans a toujours eu des bonnes notes facilement, mais elle a «pleuré toute sa session» pour passer. «Je vis beaucoup d’anxiété de performance», juge-t-elle.
Aryane Francoeur, 17 ans, Mauricie
Théâtre, hockey cosom, Secondaire en spectacle, animation... Aryane Francoeur a toujours été impliquée dans la vie étudiante. La pandémie lui a retiré plusieurs activités, ce qui a rendu la fin de son secondaire et le début de son parcours collégial beaucoup moins motivants.
«Ça a été difficile de ne pas pouvoir vivre cette dernière année [d’école secondaire] comme les autres cohortes», souligne-t-elle, en faisant référence au bal des finissants et à la remise des diplômes, qui ont dû être remaniés pour respecter les mesures sanitaires.
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Dans sa technique de travail social, Aryane ne peut pas effectuer de stage sur le terrain qui sont normalement obligatoires. Le stage qu’elle aurait normalement fait dans un CHSLD a été remplacé par des appels téléphoniques. L’étudiante craint d’être mal outillée pour son entrée sur le marché du travail.
La jeune fille de 17 ans ressent beaucoup d’instabilité face à l’incertitude de la session d’hiver. Elle admet que plusieurs étudiants comme elle ressentent de l’anxiété de ne pas savoir si la session sera en ligne ou en présence.
Bogdan Alexandru-Sava, 18 ans, Montréal
Bogdan Alexandru-Sava comprend de moins en moins les mesures du gouvernement, comme le couvre-feu, ce qui affecte son acceptation de celles-ci. Il se questionne aussi sur les impacts négatifs sur la santé mentale de la population, notamment les jeunes comme lui.
Le jeune homme de 18 ans a toujours été confiant que suivre les mesures sanitaires était la chose à faire pour protéger les autres et se sortir de la pandémie. Cette assurance s’est détériorée au fil du temps. Aujourd’hui, il partage cette «frustration générale dans la population qu’on ne peut pas contrôler la situation».
«Ça prend plus d’énergie adhérer à des règles qui ne semblent pas justifiées», soutient-il. Elles occupent une plus grande charge mentale quand on les remet en question, selon lui.
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Le cégepien déplore aussi le manque de stabilité qui vient avec les mesures sanitaires. Il considère que c’est angoissant de ne pas pouvoir prévoir de plans, notamment pour sa session d’hiver. Il redoute l’idée de vivre une session entièrement en ligne.
Même s’il souhaite pouvoir suivre ses cours au cégep, il comprend que le gouvernement priorise les élèves du primaire et du secondaire pour qu’ils puissent «vivre leur jeunesse». «Je suis prêt à faire le sacrifice pour eux».
Anne-Lennie Grandpierre, 20 ans, Montréal
De mars 2020 à mars 2021, Anne-Lennie Grandpierre travaillait comme caissière dans un supermarché en même temps que ses études, et malgré toute sa bonne volonté, elle est plongée dans une dépression.
«Tout ce que les gens vivaient allaient vers moi. Je ressentais tout le désarroi des clients. C’était vraiment stressant», raconte-t-elle.
La jeune femme qui étudie au cégep en sciences humaines confie éprouver aussi également de l’anxiété de performance.
«Je trouve qu’en tant que minorité visible, j’ai l’impression de devoir exceller plus que les autres... C’est comme ça que nos parents nous ont appris à travailler», poursuit-elle.
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Avec les cours au cégep en ligne, elle décide de passer quelques mois sans emploi, le temps de se refaire une santé mentale.
«Maintenant je le vis mieux et j’ai appris à mieux gérer mon anxiété. Je suis retournée travailler après six mois, parce que ta seule vie sociale est au travail», confie-t-elle.
Camille Perron, 17 ans, Mauricie
Le début de la pandémie a été dur pour Camille Perron : la jeune femme de 17 ans a même dû recommencer à prendre une médication contre l’anxiété en avril 2020.
Elle se dit «en paix» avec les mesures sanitaires et en comprend la nécessité, mais elle reconnaît aussi que le retour du confinement la désespère. «Je n’ai pas l’impression que ça va finir. [...] Je ne comprends pas comment on va s’en sortir», dit-elle à propos de la pandémie.
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Après une session en Arts et technologies des médias (ATM) à Jonquière, elle a décidé de se réorienter vers un DEC en éducation spécialisée à l’automne prochain. Elle était heureuse de retourner chez ses parents en Mauricie pour recommencer à sortir avec ses amis, mais avec l’annonce du confinement, elle s’est beaucoup isolée dans sa chambre.
«Je m’ennuie du contact humain, mais je comprends la nécessité [des mesures]», dit-elle.
Sandrine Blondeau, 22 ans, Laval
Après deux ans à respecter les mesures sanitaires, Sandrine Blondeau se sent «découragée». «J’ai l’impression que je me fais voler des années de ma jeunesse», croit l’étudiante en enseignement d’art dramatique de 22 ans.
Alors qu’elle a toujours aimé prendre part à la vie étudiante, elle se désole que son université soit rendue uniquement un lieu d’études. «Ça me démotive.» Elle s’ennuie aussi du manque de socialisation. La future enseignante craint que nos relations sociales soient affectées longtemps par l’isolement que force la pandémie
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Sandrine, qui a plusieurs troubles anxieux, vit beaucoup d’incertitude face à la session d’hiver. «On ne sait pas ce qui va se passer et c’est anxiogène», soutient-elle. Elle doit faire une session intensive et s’inquiète de devoir assister à tous ses cours en ligne. L’étudiante ne sait pas non plus si elle pourra faire si elle aura la possibilité de faire le stage qui est prévu.
Elle considère que les étudiants qui sont arrivés pendant la pandémie ont été oubliés par son université.
Raphaëlle Brisson, 15 ans, Sept-Îles
Après deux ans de pandémie, Raphaëlle Brisson ressent un «vide». «C’est comme si on m’enlevait ce que j’imaginais plus jeune», explique la jeune fille de 15 ans. Même si elle comprend la nécessité des mesures sanitaires, elle se dit «exaspérée» et «frustrée» d’être isolée de ses amis. «On fait tout ça pour 10% de la population [non-vaccinée], c’est assez dérangeant».
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Sa santé mentale tient le coup malgré tout puisqu’elle est consciente que les mesures sanitaires sont pour son bien.
Raphaëlle a vu sa motivation et ses résultats scolaires chuter drastiquement lors du premier confinement, alors qu’elle avait toujours eu de bonnes notes facilement. L’étudiante de secondaire 3 remonte la pente tranquillement, mais elle se sent toujours aussi démotivée. La suspension des activités parascolaires jusqu’à nouvel ordre ne l’aide pas à retrouver le plaisir de l’école.
Éloi Béland, 17 ans
Éloi Béland, un jeune homme de 17 ans, remarque que les mesures sanitaires le rendent plus irritable et qu’il s’isole plus. Il y voit toutefois du positif : «ça m’aide à me retrouver, à être mieux avec moi-même». Il est aussi content d’éviter de contracter la COVID-19.
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«On dirait que je gaspille des années de ma vie», lance-t-il. Le jeune homme affirme avoir manqué plusieurs spectacles et partys en raison des mesures sanitaires. Même si sa vie sociale est affectée, il garde contact avec ses amis.
L’élève de secondaire 5 se rappelle avoir vécu plusieurs difficultés à suivre ses cours à distance par le passé. À l’époque, il n’avait passé que trois matières. Le retour en présentiel à temps plein l’a grandement aidé.
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