Les territoires ukrainiens conquis par la Russie sont probablement perdus à jamais
Gabriel Ouimet
Revigorées par la prise de villes stratégiques, les forces russes poursuivent leurs avancées dans l’est de l’Ukraine. Et bien que le président Volodymyr Zelensky refuse de l’envisager, Kyïv risque de ne jamais retrouver les territoires maintenant sous contrôle russe.
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Au front, le vent a tourné au cours du dernier mois et demi. Le changement de stratégie adopté par Moscou porte en effet ses fruits dans l’est de l’Ukraine, souligne Éric Ouellet, professeur spécialisé en commandement militaire stratégique et en prise de décision au Collège des Forces canadiennes.
«Actuellement, les Russes ont le dessus du pavé pour deux raisons principales. Ils ont repositionné leurs forces, non seulement en termes de nombre, mais aussi de qualité. Ils envoient leurs meilleurs effectifs dans les zones stratégiques, ce qu’ils ne faisaient pas dans les premiers mois du conflit. Ensuite, ils utilisent beaucoup mieux le soutien de leurs avions et de leur artillerie dans une approche frontale, ville par ville, village par village. Ils sont beaucoup plus méthodiques», analyse-t-il.
Résultat: après des semaines de combats sanglants, les troupes ukrainiennes ont été forcées de se retirer de la ville clé de Severodonetsk, dans l’est du pays, le 24 juin dernier. L’étau se resserre également à Lysychansk, la dernière ville de la région de Louhansk, dans le Donbass, encore contrôlée par l’Ukraine. Et alors que les forces russes poursuivent leur percée, l’armée ukrainienne estime perdre, en moyenne, une centaine de soldats par jour, depuis un mois.
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Zelensky espère une victoire d’ici l’hiver
Dans ce contexte, des dirigeants américains ont indiqué que le président Volodymyr Zelensky «devrait peut-être revoir sa définition de la victoire», et faire des concessions territoriales. Selon les Américains, l’Ukraine ne pourra jamais reprendre les territoires conquis par la Russie depuis quatre mois.
Ce scénario, le président ukrainien le repousse du revers de la main. Il demande plutôt aux Occidentaux d’accélérer la livraison d’armes pour que l’envahisseur soit complètement repoussé hors du pays «avant l’hiver prochain». Les chances de voir l’Ukraine reprendre possession de l’ensemble de ses territoires d’ici là sont toutefois très minces, soutient Éric Ouellet.
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«C’est beaucoup plus difficile de reprendre un territoire que de le défendre, et les Ukrainiens n’ont simplement pas la capacité militaire de le faire. Ils peinent déjà à contenir les avancées russes. Ils pourraient libérer des villes ici et là, mais je ne vois pas comment ils reprendraient la majorité des territoires dans le Donbass ou en Crimée, même avec les nombreuses livraisons d’armes promises par ses alliés.»
Selon le professeur, l’objectif des Russes est de contrôler une majorité du Donbass et des régions du sud, pour ensuite déclarer une victoire et négocier un «gel de front», c’est-à-dire à un cessez-le-feu non officiel qui durerait des années.
Un échec, malgré les avancées pour la Russie
David Dubé, chercheur à la Chaire Raoul-Dandurand, voit aussi ce scénario se dessiner, alors qu’une «lassitude de guerre» pourrait bientôt commencer à s’installer.
«La Russie a investi beaucoup plus d’argent, de matériel et de vie humaine qu’elle envisageait de le faire au début de conflit. Même chose pour l’Ukraine. De plus, les dirigeants occidentaux commencent à être irrités des effets de l’inflation et réalisent que tout ce qu’ils envoient permet en quelque sorte seulement à l’Ukraine d’être sur respirateur artificiel», dit-il.
Un contrôle du Donbass et du sud représenterait néanmoins une victoire en demi-teinte pour la Russie, affirme David Dubé.
«L’objectif initial de la Russie était de destituer Zelensky et de s’emparer du parlement, puis de l’ensemble du territoire. L’annonce du repositionnement dans l’est de pays était en quelque sorte un aveu que Moscou était incapable d’accomplir son plan initial», dit-il.
Un autre objectif de Vladimir Poutine était d’empêcher l’expansion de l’OTAN et de l’Occident dans la zone d’influence de la Russie.
«C’est clairement un échec: l’OTAN va gagner deux membres avec l’ajout de la Suède et de la Finlande. En plus, l’Ukraine est maintenant candidate à une adhésion à l’Union européenne», indique-t-il.
L’Ukraine limite les dégâts, mais perd aussi
Est-ce dire, donc, que c’est l’Ukraine qui en sortirait grande gagnante? Pas exactement, insiste David Dubé.
«Dans l’optique où on croyait que Kyïv allait tomber en trois jours en début de conflit, on peut dire qu’elle a bien limité les dégâts et que c’est une victoire. Mais le pays reste sur le respirateur artificiel occidental et devra faire certaines concessions, même si elles sont moins importantes que ce l’espérait la Russie. Donc il n’y a pas vraiment de victoire claire qui se dessine pour l’un ou l’autre des pays», conclut-il.