Les balados sont-ils une source de désinformation?
Agence France-Presse
En s'opposant au géant de la diffusion de musique en continu Spotify, le musicien Neil Young a mis en lumière le potentiel d'influence, et donc de désinformation, des balados, moins massif que sur les réseaux sociaux, mais avec une puissante dimension intime.
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Le chanteur canadien, légende du folk rock, avait demandé à Spotify de cesser d'héberger le balado de l'animateur controversé, mais très populaire Joe Rogan, accusé d'avoir découragé les jeunes américains à se faire vacciner.
Sous le feu des critiques et face à un mouvement de boycottage sur les réseaux sociaux, le PDG du fleuron suédois de la musique, Daniel Ek, a annoncé de nouvelles mesures pour tenter d'éteindre l'incendie.
Les balados et émissions se rapportant à l'épidémie de COVID-19 pointeront désormais vers une page d'information, listant des sources scientifiques vérifiées. L'émission de M. Rogan, en revanche, n'a pas été retirée de la plateforme.
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Pour Daniel Ek, en effet, Spotify ne doit pas prendre une «position de censeur» ni exercer de responsabilité éditoriale sur les contenus diffusés.
«Nous avons aussi des rappeurs qui font des dizaines de millions de dollars (...) et nous ne leur dictons pas ce qu'ils doivent mettre dans leurs chansons», avait-il lancé cet été.
«Tant que les plateformes ne sont pas responsables de ce qu'elles diffusent, leur politique ne changera pas», affirme à propos de cette polémique le journaliste Thomas Huchon, réalisateur du documentaire «Comment Trump a manipulé l'Amérique» (Arte).
«Elles assurent qu'il s'agit de la liberté d'expression, jusqu'au jour où cela devient vraiment problématique», poursuit-il en évoquant la suspension des comptes de l'ancien président américain sur Twitter et Facebook.
Millions d'heures d'écoute
Le rival de Spotify, Apple Music, s'est empressé de rappeler que le catalogue de Neil Young était disponible sur sa plateforme... sans mentionner qu'elle héberge un autre balado controversé: «War Room», animé par le sulfureux ancien conseiller de Donald Trump, Steve Bannon.
Spotify avait aussi fait l'objet de critiques en 2020 quand Joe Rogan, qui venait de signer un contrat d'exclusivité avec la plateforme estimé à 140 millions de dollars canadiens, avait reçu dans son émission le «pape» des complotistes américains, Alex Jones.
Comparée aux réseaux sociaux et à leur nombre vertigineux d'abonnés (près de 3 milliards pour Facebook), l'influence du balado est longtemps restée discrète, malgré une solide montée en puissance ces dernières années.
Difficile d'imaginer que Spotify, qui héberge désormais 3,2 millions de balados, puisse continuer de fermer les yeux sur la nature des contenus qu'il héberge. Au risque de créer un angle mort dans la lutte contre la désinformation.
Même si la France est encore très en retard sur les États-Unis, où s'est bâtie une véritable économie du balado, 33% des Français en écoutent désormais contre 23% en 2019, indiquait en octobre une étude du CSA et Havas Paris.
Preuve de son influence, ces résultats précisent par ailleurs que 74% des auditeurs ont déjà changé d'avis ou de regard sur un sujet après l'écoute d'un balado.
Au-delà des émissions d'actualité, le succès des témoignages à la première personne, qui créent un rapport de confiance particulier avec l'auditeur, pose aussi la question du point de vue unique et de l'absence de contradiction.
D'où l'importance pour Sarah Koskievic, productrice éditoriale des balados de Slate.fr, de replacer les récits dans leur contexte grâce à une courte introduction.
«On nous a parfois dit que les gens ne l'écoutaient pas, mais ça nous semble extrêmement» utile «d'accompagner l'auditeur dans l'histoire, et de lui donner des pistes de réflexion grâce à une étude ou une oeuvre», détaille-t-elle.
Reste que sur une plateforme qui mélange contenus professionnels et amateurs, les millions d'heures d'écoute mises à disposition rendent la modération particulièrement épineuse.