«Les négociations sont sur le bord du précipice»: voici ce qui bloque à la COP15
Andrea Lubeck
Les ministres arrivent jeudi au Sommet sur la biodiversité de l’ONU (COP15) pour le dernier droit des négociations afin d’en arriver à une entente pour protéger la nature. Jusqu’ici, les discussions achoppent notamment sur deux cibles cruciales (sur 22) de l’accord: l’objectif 30 x 30 et le financement. Voici où on en est et ce à quoi il faut s’attendre pour la suite.
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L’objectif 30 x 30
C’est la cible 3 du Cadre mondial sur la biodiversité, celle dont on entend le plus parler. C’est le principe visant à protéger 30% de milieux naturels terrestres et maritimes d’ici 2030. Pour l’instant, cet objectif est encore entre crochets dans le texte, ce qui signifie que les pays ne s’entendent toujours pas sur celui-ci.
Au début de la COP, le 7 décembre dernier, on trouvait environ 1400 crochets dans le document de travail du Cadre mondial sur la biodiversité. Au terme du sommet, tous ces crochets devront avoir disparu, explique Eddy Pérez, directeur de la diplomatie climatique internationale au Réseau action climat Canada. «Il faudra soit que les ministres continuent de négocier pour s’entendre, soit supprimer [les passages entre crochets].»
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Même si l’objectif 30 x 30 demeure encore entre crochets au milieu de la COP15, Eddy Pérez est confiant qu’il va se retrouver dans l’accord final, affirmant que cette cible «n’est pas contestée» des gouvernements, qui veulent d’un accord ambitieux sur la question.
«Il n’y a pas encore eu de vraies négociations sur la cible 3, précise-t-il. [Les crochets,] ça ne veut pas dire qu’elle va être effacée; ça veut seulement dire que d’autres acteurs, dans ce cas-ci les ministres, doivent s’engager là-dessus.»
Ce sont plutôt d’autres détails entourant cette cible, comme le respect des peuples autochtones dans la conservation ou encore comment le 30 x 30 peut se transposer à l’échelle domestique, qui soulèvent des questions chez les négociateurs, note Eddy Pérez.
Le financement
La question du financement – qui reste aussi entre crochets – menace de faire dérailler l’accord. Mais ce n’est pas exceptionnel à la COP15: à la COP27 sur le climat, qui s’est tenue il y a quelques semaines, le financement était l’un des derniers points sur lesquels les pays sont parvenus à s’entendre.
En conférence de presse mercredi, un représentant de l’ONG WWF a alerté que les négociations sur la question «sont sur le bord du précipice» et qu’un «effondrement total est imminent», mais qu’il y a tout de même une opportunité pour arriver à une entente.
D’ailleurs, dans la nuit de mardi à mercredi, les pays en développement ont claqué la porte des discussions sur la mobilisation des ressources, un peu avant 1h du matin, a rapporté Oscar Soria, directeur de campagne pour l’ONG Avaaz.
DEVELOPING: At 00:49 on Wednesday, #COP15 delegates from developing countries walked out of the contact group on resource mobilization, ending the meeting. The other contact group, on review mechanism, also ended its meeting soon after.
— Oscar Soria #COP15 (@oscar_soria) December 14, 2022
«Les délégués ont quitté la réunion parce qu’ils sentaient qu’il était impossible de faire progresser les discussions, les pays développés n’étant pas prêts à faire des compromis. Ils ont invité les parties qui font obstacle à réfléchir sur leur position afin d’avancer», a-t-il indiqué dans un tweet.
Dans une lettre relayée mercredi, certains des pays ayant quitté la réunion ont souligné leur rôle de leader dans la conservation de la nature, puisque la majorité de la biodiversité se trouve sur leur territoire.
«Lorsque la COP15 conviendra d'un cadre mondial ambitieux, nous supporterons une responsabilité plus lourde que les autres pour sa mise en œuvre. C'est pourquoi nous insistons, dans les termes les plus forts possibles, sur le fait que l'adoption du [cadre mondial] lors de cette COP doit s'accompagner de l'approbation d'un ensemble de mesures proportionnellement robustes sur la mobilisation des ressources», ont-ils poursuivi.
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Les pays en développement exigent 100 milliards $ ou 1% du PIB mondial par an jusqu’en 2030 pour restaurer leur biodiversité et renverser le déclin de la nature sur leur territoire.
Mais les pays développés, en particulier l’Union européenne, jugent l’augmentation irréaliste considérant que l’aide au développement dédiée à la biodiversité en 2020 s’élevait à 10 milliards $ par an. Ils s’opposent aussi à la création d’un nouveau fonds mondial sur la biodiversité, réclamé par les pays en développement.
Le Nord préfère pousser pour une réforme de la finance mondiale et une meilleure utilisation des ressources.
Des discussions difficiles à venir
En conférence de presse pour faire le point sur l’avancement des négociations, le ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique Steven Guilbeault, et le ministre chinois de l’Environnement et de l’Écologie, Huang Runqiu, ont servi un avertissement aux délégués: «Il ne nous reste plus beaucoup de temps», a prévenu ce dernier.
«Nous avons beaucoup de sujets et très peu de temps», a renchéri le ministre Guilbeault.
Les appels à l’accélération des négociations se sont ainsi multipliés au cours des derniers jours. Et pour cause: toutes les parties comprennent l’importance et les bénéfices d’adopter un accord ambitieux, explique Eddy Pérez.
«La possibilité de l’échec [de l’accord], ce serait un poids lourd à porter autant pour la Convention [sur la diversité biologique de l’ONU], que pour la Chine, parce que c’est son héritage, et pour le Canada, qui est l’hôte de la conférence. On a une obligation de résultats et ce qu’on voit, d’un côté, c’est une bonne volonté de faire avancer les discussions, mais aussi un manque de volonté politique de l’autre», poursuit-il.
La secrétaire exécutive du Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, Elizabeth Maruma Mrema, s’est néanmoins montrée optimiste face aux progrès réalisés. Reste que les discussions sur les points sur lesquels les pays ne s’entendent toujours pas «vont être difficiles», a-t-elle également indiqué.