Les hommes des cavernes raffolaient des végétaux!


Richard Béliveau
On imagine souvent nos ancêtres de l’âge de pierre comme de gros mangeurs de viande, se nourrissant principalement des produits de la chasse. Une étude récente montre cependant que le menu des hommes préhistoriques était beaucoup plus varié qu’on le croyait et qu’une forte proportion de leurs calories provenait plutôt d’aliments d’origine végétale, loin des clichés établis.
Il y a environ 10 000 ans, l'être humain a progressivement abandonné son mode de vie nomade, axé sur les produits de la chasse et de la cueillette comme sources de nourriture, pour une vie plus sédentaire, où sa survie est plutôt basée sur l'agriculture et l'élevage. Cette transition du Paléolithique au Néolithique est considérée comme l’une des plus grandes révolutions de l’histoire de l’humanité, autant pour ses impacts majeurs sur la nature de l’alimentation que pour son influence sur la vie culturelle, politique, militaire, économique et scientifique.
Transition graduelle?
Cette adoption de l’agriculture s’est produite de façon indépendante et presque simultanée dans plusieurs régions du monde, ce qui suggère qu’elle correspondait véritablement à un besoin ou encore à une inclination naturelle des humains pour ce mode de vie. Cependant, on peut difficilement imaginer qu’une modification aussi importante à l’alimentation se soit produite du jour au lendemain: pour prendre la décision de cultiver du blé, du riz, du millet ou du maïs (selon les régions) comme aliments essentiels à la survie, il fallait certainement que ces aliments soient déjà couramment consommés (et appréciés). Il est donc probable qu’une période de transition ait été requise pour permettre ce passage du mode de vie chasseur-cueilleur vers l’agriculture.

Végétaux au menu
Un bon exemple de cette transition vient d’être mis en évidence par les résultats obtenus par l’analyse de dents et d’ossements d’humains qui vivaient il y a environ 15 000 ans en Afrique du Nord, dans la région qui correspond au Maroc actuel1. Puisque l’analyse de sites archéologiques plus anciens (25 000 ans avant aujourd’hui) de cette région avait révélé que l’alimentation traditionnelle de ces chasseurs-cueilleurs contenait beaucoup de viande (mouflon de Barbarie, sanglier, escargots), l’étude de sites plus récents offre une bonne opportunité de visualiser la transition alimentaire des produits de la chasse vers les végétaux.
Ça peut sembler incroyable, mais il est possible de déterminer les grandes lignes de l’alimentation d’une personne décédée il y a plusieurs milliers d’années en mesurant certains isotopes stables (non radioactifs) qui sont présents dans ses ossements. Ces isotopes varient considérablement d’une source alimentaire à l’autre et représentent donc une signature atomique des principaux aliments consommés pendant la vie d’une personne. Par exemple, les isotopes de l'azote (15N) et du zinc (66Zn) contenus dans le collagène et l'émail des dents peuvent révéler la quantité de viande consommée et les isotopes du carbone (13C) peuvent indiquer si c’était surtout de la viande ou du poisson.

En utilisant ces outils méthodologiques, les chercheurs ont pu déterminer que la majorité des protéines consommées par cette population africaine provenait de sources végétales, d’une façon similaire à ce qu’on retrouve chez les populations au Moyen-Orient qui ont été les premiers à adopter un mode de vie agricole. Ils ont également observé une fréquence plus élevée de caries dentaires chez ces individus comparativement à ce qu’on observe habituellement chez les chasseurs-cueilleurs, un autre indice d’un apport élevé en glucides provenant des plantes céréalières et des noix. Enfin, les restes botaniques de noix, pistaches, pignons de pin, d’avoine sauvage et de légumineuses découverts sur le site confirment que ces aliments occupaient une place importante dans leur alimentation. Il n’y a donc pas de doute que la transition alimentaire des produits de la chasse vers les végétaux était déjà bien entamée chez cette population, plusieurs millénaires avant l’établissement de l’agriculture.
L’image qu’on se fait de l’homme des cavernes qui se nourrit exclusivement de viande est donc un mythe absurde qui ne correspond aucunement à la réalité. La proportion de viande et de végétaux dans le menu quotidien des hommes préhistoriques variait bien évidemment selon la latitude, avec plus de viande au nord et plus de végétaux dans les régions tempérées, mais les experts s’entendent pour dire que les végétaux ont toujours représenté une proportion importante de ce que mangeaient nos ancêtres. Et c’est cette importance accordée aux végétaux qui a catalysé le développement de l’agriculture, l’étape clé dans l’émergence des civilisations modernes.
1. Moubtahij Z et coll. Isotopic evidence of high reliance on plant food among Later Stone Age hunter-gatherers at Taforalt, Morocco. Nature Ecol. Evol, publié le 29 avril 2024.