Les femmes élues de la Chambre des représentants du Missouri ne peuvent plus porter de manches courtes


Anne-Sophie Poiré
Les bras nus ne sont plus tolérés à la Chambre des représentants du Missouri, mais juste pour les femmes. Depuis la semaine dernière, les élues sont obligées de porter des manches longues dans l’enceinte du Capitole de Jefferson City, après une modification du code vestimentaire.
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La Chambre des représentants du Missouri, contrôlée par les républicains, a profité de la journée d'ouverture de sa session, le 11 janvier dernier, pour resserrer le code vestimentaire des élues, sans toutefois modifier celui des hommes, qui doivent quant à eux porter veston et cravate.
Ces changements ont été proposés par la représentante républicaine de l'État, Ann Kelley. «Il est essentiel de toujours maintenir une atmosphère formelle et professionnelle», a-t-elle plaidé.
Malgré l’opposition des démocrates, qui ont qualifié cette mesure de «ridicule», la Chambre a finalement approuvé une version modifiée de la proposition, rapporte le Washington Post.
Résultat: les femmes — qui occupent moins d'un tiers des sièges — doivent se couvrir les bras entièrement dans l’enceinte du Capitole de Jefferson City, la capitale du Missouri. Les cardigans et les vestes sont autorisés.

Tous les deux ans, au début de la législature, les élus débattent du règlement de la Chambre du Missouri, dont le code vestimentaire.
Contrôler le corps des femmes
Les démocrates du Missouri ont critiqué les républicains pour avoir imposé de nouvelles restrictions. Ils jugent que cette décision est «sexiste».
Et elle l’est, selon les experts interrogés.
«Interdire les manches courtes, c’est du sexisme pur et dur», affirme d’emblée Angelo Dos Santos Soares, professeur au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQÀM et membre de l’Institut de recherches et d’études féministes.
«On peut se poser la question: en quoi l’habillement d’une personne peut-il influencer ses compétences? Et au fond de cette question, la réponse est le contrôle du corps des femmes», déplore-t-il.
Madeleine Goubau, chargée de cours à l’École supérieure de mode de l’UQÀM, se dit «surprise» par cette décision de la Chambre du Missouri.
«C’est plutôt surprenant de s’attaquer aux manches courtes alors que les lectrices de Fox News — un repaire de républicains — ont les épaules dégagées, des décolletés plongeants et des robes de satin», illustre-t-elle.
«D’autant qu’on a plus tendance à abolir les frontières associées aux genres dans les codes vestimentaires à notre époque», ajoute celle qui s’intéresse particulièrement à l’habillement comme outil de communication.
Elle voit cette décision comme «un pas de recul» et «une volonté de contrôler le corps de la femme».
«Le corps des élues est utilisé comme instrument marketing pour valoriser la pensée conservatrice», qui est très forte dans cet État du centre des États-Unis, ajoute le professeur Dos Santos Soares.
Le code vestimentaire après l’avortement
Pour les démocrates de la Chambre des représentants du Missouri, qui occupent 52 sièges sur 163, le renforcement du code vestimentaire n’est qu’une mesure de plus pour renforcer le contrôle du corps des femmes de cet État qui interdit l’avortement depuis le 24 juin dernier.
Après l’annulation de l’arrêt Roe contre Wade le 22 juin 2022 -- décision historique de 1973 où se trouvait affirmé le droit constitutionnel à l’avortement dans l’ensemble des États-Unis -- le Missouri est en effet devenu le premier État à criminaliser l’avortement.
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Les avortements ne sont plus autorisés au Missouri que dans les cas où la vie de la mère serait en danger, tandis que la loi y punit les médecins qui les pratiquent.
Les codes vestimentaires qui dérangent
Depuis quelques années, les codes vestimentaires sont de plus en plus contestés, ici comme ailleurs.
C’est le cas au Japon, où des femmes ont protesté en 2019 contre l’obligation de porter des chaussures à talon haut au travail. Avec la campagne #KuToo — dont la prononciation joue sur la similarité entre kutsu (chaussure) et kutsuu (douleur), puis la proximité avec le mouvement #MeToo —, les militantes soulignaient qu’il est quasiment impossible d’échapper aux talons une fois qu’elles entrent sur le marché du travail.
L’ancien ministre japonais du Travail, Takumi Nemoto, avait refusé de légiférer pour empêcher cette pratique. Il considérait plutôt que les talons étaient «professionnellement nécessaires et appropriés».
Depuis 2017, la Colombie-Britannique interdit aux entreprises de forcer leurs employées à porter des talons hauts.
Les codes vestimentaires imposés dans plusieurs écoles du Québec et ailleurs au pays ont également été critiqués de la part d’élèves et d’organismes, codes jugés «injustes», «discriminatoires» et «sexistes».
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Ce qui est considéré «décent», telles la longueur de la jupe ou la présence de manches, cible surtout les filles et les femmes.
«La pression est 1000 fois plus importante sur l’habillement des femmes que sur celui des hommes. Elles sont beaucoup plus scrutées à la loupe sur ce qu’elles portent», fait valoir Madeleine Goubau.
Angelo Dos Santos Soares cite en exemple les vêtements légers imposés aux employées du restaurant Hooters de la rue Crescent, à Montréal, ou le port du maquillage, exigé dans certains milieux comme les supermarchés.
«Les femmes peuvent s’habiller ou se maquiller comme elles le veulent. C’est l’exigence qui n’est pas acceptable», dénonce le spécialiste.
«C’est bouleversant de voir comment les femmes sont traitées concernant leur habillement en milieu de travail. C’est cruel», poursuit-il. «Les hommes ne subissent pas le même contrôle, même si le veston-cravate est dépassé.»