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L'article provient de TVA Nouvelles

Les émissions polluantes de Mines Noranda : un air de déjà vu

Thierry de Noncourt/La Frontière/Agence QMI
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Jessica Riggi, doctorante en histoire de l'environnement à l'UQAM

2022-07-22T13:45:27Z
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En voyant les titres déferler dans les journaux depuis quelques semaines sur la Fonderie Horne, l’impression de déjà vu m’est apparue comme une triste évidence. Je dis bien triste évidence, car ce n’est pas la première fois que les citoyennes et les citoyens de Rouyn-Noranda doivent lutter contre les émissions polluantes de la fonderie de Mines Noranda.  

Comme le révèlent bien les sources qui se trouvent dans le fonds du Comité permanent sur l’environnement à Rouyn-Noranda (P229), la pollution minière dans cette région, qui est le sujet de ma thèse de doctorat, est une réalité bien connue, voire même bien documentée, depuis la fin des années 1970. 

En effet, dès 1975, les Services de protection de l’environnement (SPE) (ancêtre du ministère de l’Environnement) font publier un rapport alarmant sur les plusieurs centaines de tonnes de polluants qui sont rejetées par les cheminées de la fonderie chaque année. Plomb, zinc, arsenic, cadmium et dioxyde de soufre (gaz qui est alors tenu responsable des pluies acides en Amérique du Nord) sont inhalés au quotidien par la population de Rouyn-Noranda. 

En 1977, Marcel Léger, qui est alors ministre délégué à l’Environnement, retient d’ailleurs en priorité la région de Rouyn-Noranda pour une étude sur l’état de contamination du milieu, étude qui est alors réalisée par le Bureau d’étude sur les substances toxiques (BEST). Le ministre crée également le Comité permanent sur l’environnement à Rouyn-Noranda (CPERN), comité formé de divers membres issus de la communauté, qui une fois son mandat terminé auprès du gouvernement, devient l’un des acteurs les plus proactifs de la lutte contre la pollution en Abitibi-Témiscamingue. 

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Mauvaise gestion des déchets miniers

S’appuyant sur les conclusions du rapport Écologie Rouyn-Noranda du BEST qui décrit la région de Rouyn-Noranda comme étant gravement contaminé, par « une mauvaise gestion des déchets miniers, notamment de la part de Noranda Mines Ltd. », le CPERN fait des émissions polluantes de la Fonderie Horne son principal cheval de bataille. À l’époque, ce sont toutefois les rejets de dioxyde de soufre qui retiennent l’attention. Dépassements fréquents de la norme horaire et émissions annuelles huit fois plus importantes que celles de l’ensemble de la communauté urbaine de Montréal selon les SPE, le dioxyde de soufre abîme sur une base régulière la peinture des voitures, le mobilier urbain, les arbres, les pelouses et les potagers des résidents des villes-sœurs. 

Le CPERN fait alors pression pour que le gouvernement du Québec oblige la compagnie à réduire de 80% ses émissions sulfureuses d’ici à l’an 1990. Lorsque le gouvernement décide de forcer la fonderie à se moderniser en optant pour la construction d’une usine d’acide sulfurique, il adopte néanmoins une position plus conciliante envers la compagnie exigeant de cette dernière une réduction de l’ordre de 50% de ses émissions. 

Mines Noranda agite alors l’épouvantail de sa fermeture, mentionnant qu’elle n’a pas les moyens financiers pour procéder à sa modernisation. Des négociations avec les gouvernements provincial et fédéral s’en suivent et une entente est conclue. Les deux paliers gouvernementaux offrent un prêt de 40 millions chacun à Mines Noranda Ltd. pour financer la construction de son usine d’acide sulfurique et, par le fait même, la réduction de ses émissions de dioxyde de soufre. 

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Mais, scandale, les articles de Louis-Gilles Francoeur parus dans Le Devoir du 10 et 11 mai 1988 révèlent que les prêts gouvernementaux fédéral et provincial consentis à la compagnie sont en réalité des subventions déguisées, puisque la compagnie peut déduire des remboursements de ses prêts une grande partie de ses investissements faits au Québec. Le CPERN dénonce vertement la situation dans une lettre qui paraît dans Le Devoir du 25 mai 1988. Le comité affirme alors : « Il est injuste que la collectivité québécoise paie la totalité de la note de cette usine, et que la Noranda, multinationale prospère, s’en tire à si peu de frais ». 

Qui va payer pour ça?

Déjà vu donc? Qui paiera pour la refonte des installations de la Fonderie Horne dans la prochaine décennie? Les Québécoises et les Québécois encore une fois? Les Québécoises et les Québécois qui paient déjà les frais de santé pour tous les malades de la Fonderie Horne qui pollue l’environnement abitibien depuis bientôt 100 ans? Les résidentes et les résidents de Rouyn-Noranda qui subissent depuis de trop nombreuses années les conséquences de décisions gouvernementales laxistes, comme s’ils étaient des citoyennes et des citoyens de seconde zone? Si non comment expliquer l’inertie gouvernementale vis-à-vis de Mines Noranda? 

Des études de plombémie réalisées en 1979 et 1989 révélaient que plus de la moitié des enfants âgés entre 2 et 5 ans du quartier Notre-Dame, quartier adjacent la Fonderie Horne, étaient surexposés au plomb (La Frontière, 5 décembre 1989). Et bien que cette proportion ait baissé sous la barre des 10% en 1999 à la suite de l’adoption de mesures correctrices par la fonderie selon un rapport préparé par la Régie régionale de la santé et des services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue, un groupe de travail interministériel établissait dès 2004 que les concentrations d’arsenic dans l’air ambiant à Rouyn-Noranda étaient en hausse constante. La moyenne annuelle était passée de 164 ng/m3 en 1991 à 1041 ng/m3 en 2000, comparativement aux 1 à 2 ng/m3 observés en moyenne dans les autres villes québécoises (Walsh P. et al., Avis sur l’arsenic dans l’air ambiant à Rouyn-Noranda, 2004). 

Il n’est donc pas surprenant que l’étude de biosurveillance réalisée en 2019 dans le même quartier Notre-Dame révélait que les enfants de ce quartier sont jusqu’à quatre fois plus contaminés par l’arsenic que la normale (Deshaies T. « Une présence élevée d'arsenic chez les enfants du quartier Notre-Dame à Rouyn-Noranda », 7 mai 2019, Radio-Canada). 

Ce qui est davantage surprenant, est que le gouvernement tolère en toute connaissance de cause depuis plus d’une quarantaine d’années que la santé de la population de Rouyn-Noranda et que les écosystèmes de la région soient mis à mal par une multinationale multimilliardaire. Espérons que cette fois-ci le gouvernement saura être garant du bien-être collectif en exigeant de la multinationale qu’elle se soumette aux normes qui s’imposent partout ailleurs au Québec et que la multinationale assumera à elle seule les coûts de sa modernisation. 

Photo courtoisie
Photo courtoisie

Jessica Riggi, Doctorante en histoire de l’environnement à l’UQAM

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