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Les écoles ne sont souvent pas équipées pour lutter contre les violences sexuelles

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Photo portrait de Anne-Sophie Poiré

Anne-Sophie Poiré

2023-02-09T12:00:00Z
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Des organismes dénoncent le manque de ressources pour les personnes qui signalent de l'inconduite sexuelle ou de la violence sexuelle dans les écoles primaires et secondaires du Québec, et demandent une loi pour protéger les jeunes en milieu scolaire. 

«Il n’y a rien qui a été pensé pour celles et ceux qui veulent dénoncer des inconduites sexuelles au primaire et au secondaire. C’est déjà difficile pour les adultes de se faire entendre, alors imaginez comment ça l’est pour les jeunes», lance Clorianne Augustin, intervenante jeunesse et cofondatrice du collectif La voix des jeunes compte.

Selon la sexologue responsable de la prévention chez les ados à la Fondation Marie-Vincent, Myriam Le Blanc Élie, aucun organisme ne se spécialise par ailleurs dans l'inconduite sexuelle en milieu scolaire. 

Des ressources comme le Centre de prévention et d'intervention pour les victimes d'agression sexuelle (CPIVAS) et la Fondation Marie-Vincent viennent en aide aux victimes et à leurs familles, mais le temps d’attente est long pour obtenir des services: entre trois et quatre mois au CPIVAS et jusqu’à 18 mois à la Fondation Marie-Vincent. 

«On sait que lorsqu’un ado appelle, l’intervention doit se faire immédiatement parce qu’il peut changer d’idée le lendemain. J’aurais besoin d’embaucher sept intervenantes. On ne suffit pas à la demande», souligne la directrice générale du CPIVAS, Monique Villeneuve. 

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Sur le terrain, l’organisme constate également que les écoles ne sont pas toutes équipées pour lutter contre les violences sexuelles. 

«Les enseignantes et les enseignants sont généralement réfractaires à faire de l’éducation à la sexualité. Il y a volonté de lutter, mais les écoles n’ont pas toutes les mêmes outils», assure la directrice générale de l’organisme, Monique Villeneuve. 

Et des jeunes qui tentent de dénoncer des actes de violence sexuelle à l’école ne reçoivent parfois aucun soutien, selon La voix des jeunes compte. 

Un processus qui ne fonctionne pas 

C’est le cas d’Isabelle*, qui a dénoncé une agression sexuelle qui aurait été commise par deux élèves de son école, alors qu’elle avait 14 ans.  

«Je suis allée en parler à mon coach de basket, une personne en qui j’avais confiance. On a rencontré le directeur le lendemain. Ils ont fait venir la police à l’école et mes parents, qui n’étaient pas encore au courant. Toute la journée, j’étais dans le bureau de la psychoéducatrice et j’ai dû raconter mon histoire à plein de monde», confie la jeune femme. 

«La police m’a demandé si je voulais porter plainte. Je ne savais pas trop, mais j’ai dit oui. Ce n’était pas mon intention à la base quand j’en ai parlé à mon coach, poursuit-elle. Tout s’est enchaîné très vite et j’ai l’impression de ne pas avoir eu mon mot à dire là-dedans.» 

L’entente multisectorielle du ministère de l’Éducation prévoit qu’en cas de dénonciation de violence sexuelle, la situation doit être portée à l’attention de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) ou de la police. 

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«Ça s’applique à tout le monde. Il faut signaler aussitôt que le développement de l’enfant ou sa sécurité est compromis. Ce n’est pas le travail de l’adulte qui reçoit cette information d’établir si ce que dit l’élève est vrai ou pas, même pour les commentaires déplacés qui entrent dans le spectre des violences sexuelles», explique Mme Le Blanc Élie. 

Clorianne Augustin est toutefois d’avis que l’entente multisectorielle met beaucoup de pression sur les épaules de la victime. «La police qui débarque devant toute l’école qui se pose des questions, ce n’est pas très subtil comme processus», dit-elle. 

Photo Joël Lemay, Agence QMI
Photo Joël Lemay, Agence QMI

 

Si la dénonciation d’Isabelle a été prise au sérieux par l’école, la jeune femme reconnaît ne pas avoir trouvé le soutien dont elle aurait eu besoin. 

«J’aurais aimé qu’on m’explique ce qui s’était passé. Je voulais juste qu’on m’écoute, qu’on m’explique quelles étaient mes options d’un point de vue juridique. L’école n’a fait aucun suivi avec moi après ma dénonciation», déplore-t-elle. 

Isabelle n’aurait pas non plus été dirigée vers une ressource, contrairement à ce que prévoit l'entente multisectorielle. 

Les signalements s’accumulent 

Plusieurs scandales sexuels ont éclaté dans les écoles de la province dans les derniers mois.  

Depuis 2017, pas moins de 56 employés d’établissements scolaires primaires et secondaires ont été inculpés ou condamnés pour des crimes sexuels, rapportait Le Journal de Montréal en août dernier. Les gestes reprochés concernent autant des enseignants que des directeurs, des concierges et des entraîneurs.  

Pour y répondre, le ministère de l’Éducation mise sur un pouvoir renforcé du Protecteur national de l’élève, lequel est entre autres responsable du traitement des plaintes de toutes sortes, comme les cas d’intimidation ou les révisions de notes.  

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Un élève ou un membre du personnel scolaire qui veut dénoncer une situation de violence sexuelle pourra, dès septembre 2023, contacter directement le Protecteur régional de l’élève sans avoir à passer d’abord par la direction de son école.  

Les jeunes du milieu sportif peuvent également utiliser le formulaire en ligne «Je porte plainte».  

Le collectif La voix des jeunes compte croit toutefois que le Protecteur de l’élève n’est pas outillé pour encadrer les violences sexuelles. «Il n’y a pas de prévention ni d’éducation qui est faite à l’école. Et on encourage à dénoncer, plutôt que d’aider les victimes à passer à travers les violences qu’elles ont vécues», soulignait la militante Kenza Chahidi, 19 ans. 

Photo Joël Lemay, Agence QMI
Photo Joël Lemay, Agence QMI

Et les signalements ne seraient pas toujours pris au sérieux. 

Le Bureau d’enquête de Québecor révélait lundi qu’un enseignant d’une école secondaire de Trois-Rivières qui a eu un enfant avec l'une de ses étudiantes de 16 ans pouvait toujours enseigner malgré des dénonciations. 

En février 2022, trois entraîneurs de basketball de l’école secondaire Saint-Laurent, à Montréal, ont été accusés d’agressions sexuelles.  

Les résultats d’une enquête commandée par le ministère de l’Éducation ont révélé que des joueuses supervisées par ces trois coachs ont enduré dans le silence leurs comportements inappropriés malgré des plaintes déposées auprès du Centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB), de l’école secondaire Saint-Laurent et de la Fédération de basketball du Québec. 

L’enquête précise que si une école, le Réseau du sport étudiant du Québec ou la Fédération reçoivent un signalement via le service «Je porte plainte», l’information n’est pas nécessairement partagée entre les instances. 

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Les signalements concernant des comportements inacceptables peuvent donc s’accumuler sans faire l’objet d’un examen, prévient le ministère.  

Une loi demandée depuis 2017  

La voix des jeunes compte réclame depuis 2017 la création d’une loi pour prévenir et combattre les violences à caractère sexuel dans les écoles. Une loi semblable existe déjà dans les cégeps et les universités.  

Le collectif est notamment appuyé par le CPIVAS. 

«Il n’y aura jamais assez d’outils pour lutter contre les violences sexuelles, que les statistiques ne bougent pas vraiment avec les années. Il y a encore un travail important à faire», déplore Monique Villeneuve. 

«Il y a un angle mort dans les écoles. On ne peut pas forcer une victime à dénoncer aux autorités, et il faut que le personnel soit formé pour recevoir ce genre de confidence. C’est pour cette raison qu’on demande une loi depuis cinq ans», fait quant à elle valoir Clorianne Augustin. 

Au Québec, 62,5% des victimes d’infractions sexuelles enregistrées par les services policiers étaient mineures, selon les données de 2019 de l’Institut national de santé publique du Québec.  

Les moins de 18 ans ne représentaient pourtant que près de 20% de la population québécoise.  

«Les élèves doivent avoir la même protection que les étudiants des cycles supérieurs qui sont protégés par une loi depuis 2017», plaide la co-coordonnatrice du collectif, Alexandra Dupuy.  

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